Je ne vois que ce en quoi je crois

par C’est Nabum
vendredi 13 juin 2025

 

Pauvre Saint Thomas.

 

Saint Thomas en sera pour ses frais. Sa vision des choses a pris un sacré coup de moins bien car désormais il n'est plus temps de déclarer péremptoirement : « Je ne crois que ce que je vois ! » pour marquer un scepticisme de bon aloi mais plus sûrement d'affirmer les effets de la sournoise injonction numérique en constatant amèrement : « Je ne vois que ce en quoi je crois ! »

Les algorithmes divins de nos Gafa ont ainsi décrété que nous devions sans cesse nous confronter à nos certitudes, à nos penchants, à nos préférences plutôt que d'affronter le monde inquiétant et hostile de la controverse, des pensées différentes et des plaisirs inconnus. Le tri est fait par les serveurs bien nommés puisqu'ils livrent à vos gourmandises d'informations, d'échanges et de loisirs que ce qu'ils ont déterminé qui était à votre convenance.

Nul ne risque désormais de se voir confronter au péril de la surprise, au désagrément du désaccord, au risque du débat. Tout ce qui vous est permis de voir, lire, entendre, par cet immense réseau de sélection, correspond à votre inclinaison naturelle. Vous n'avez plus à réfléchir, l'intelligence numérique ou artificielle le fait pour vous, vous enjoignant la mission de rester fidèle au portrait-robot qu'elles ont tracé de vous.

C'est tellement commode et plus encore confortable de ne découvrir sur ses écrans que ce en quoi vous accordez le plus grand crédit. Il n'est pas à se mesurer à la différence, à celui qui ne pense pas comme vous, à ce qui vous est inconnu ou étranger. Des loisirs à la culture, de la distraction au divertissement, des vacances aux courants idéologiques, vous ne croiserez jamais un avis contraire, une orientation divergente, un possible désarçonnant.

Le travail est mâché, digéré, dégluti pour vous mettre en relation avec tout ce qui vous ressemble, vous agrée, vous rassure, vous renforce dans vos pensées magiques. C'est ainsi que petit à petit vous parvenez à cette formidable conclusion que tout le monde pense, agit, vit, mange, voyage, aime comme vous.

Vous devenez le maître étalon de votre propre manière d'envisager le monde qui vous entoure, pensant sournoisement que tous ceux que vous côtoient sont à votre image. Posture des plus confortable qui vous renforce plus encore dans vos convictions, vos croyances. Elles prennent ainsi du galon au point de devenir des valeurs universelles.

Vous en êtes tellement réjoui que vous n'hésitez plus un seul instant. Vous affichez sans honte ni crainte votre point de vue, persuadé qu'il est majoritaire, qu'il relève de la pensée commune dans l'univers qui est le vôtre. C'est alors que sans nul complexe, vous pouvez proférer ce qui pour d'autres, seront des horreurs, des propos indignes de se dire en société.

Mais puisque votre société se résume à vos pareils, pourquoi s'encombrer de précautions oratoires, de prudence ou de dignité. Vous n'hésitez pas un seul instant à franchir la ligne rouge, celle de la décence, de la tolérance, de la prudence et de la raison. Vous frappez fort sur ceux qui vous sont différents, opposés, contradictoires.

Vous serez renforcé par vos semblables qui viendront en remettre une couche et ainsi de strates en strates, vos commentaires et ceux de vos pareils vont accumuler des monceaux d'ignominie, de propos diffamatoires, d'abjections dont vous ne prendrez jamais consistance. Vous baignez dans un marigot idéologique qui est le même cloaque que tous vos compagnons, amis inconnus certes, mais semblables dans une expression dénuée de toute modération.

C'est ainsi, que par le truchement d'algorithmes insidieux naissent les ferments d'une prochaine guerre civile, d'une plongée dans l'effroi fascisant, dans l'intolérance et la haine. Et le pire, c'est que cette abjection est le grand dessein de ceux qui ont pensé cette abomination numérique.


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