État des lieux
par C’est Nabum
jeudi 5 septembre 2013
Une nouvelle aventure en SEGPA
Ça ne va pas être de la tarte !
« Vous serez professeur de cette classe car depuis deux années qu'ils sont au collège, il n'a presque jamais été possible de les cadrer, d'obtenir d'eux respect et écoute. Ils vont si mal qu'il y a déjà eu deux conseils de discipline et que dès la sixième, il a fallu exclure un de ces élèves. La tâche n'est pas simple car les dégâts sont réels ! »
Voilà une belle feuille de route, un joli programme qui me met au défi d'inverser le cours des choses. Il s'agit tout autant d'un jugement sans appel à priori qui induit forcément ma prise de contact avec ce groupe de seize élèves de quatrième. Comment aborder l'obstacle qui se dresse devant moi ? Vais-je parvenir à infléchir un dysfonctionnement installé et si confortable ?
Sitôt l'appel effectué, j'hérite d'un troupeau informe. Chacun s'apostrophe, se tape dans les mains, garde casquette et mains dans les poches. Très peu de regards se tournent vers le nouveau professeur. Ils discutent, ne se soucient absolument pas de moi. Je vois que l'immersion au pays du chahut est immédiate. Il va falloir jouer serré, sans être père fouettard ni renoncer aux exigences sociales.
Je réclame un rang acceptable pour monter en classe, fais ranger deux casquettes, demande à quelques mains de sortir des poches. J'attends patiemment le silence, dois le réclamer à plusieurs reprises sans élever le ton. Il faut doser cette prise de contact sans pour autant ouvrir à nouveau la porte aux comportements passés. C'est l'enjeu des deux petites heures de « dressage » qui s'offrent à moi.
Je devine que ce terme peut écorcher des oreilles libertaires. Il faut préciser que dès cette année, ces encore enfants de tout juste quatorze ans vont se trouver confrontés au monde du travail, aux attentes d'un maître de stage, aux règles de l'entreprise ou du commerce. L'école n'est qu'un passage et pour eux, il ne va pas tarder à s'achever. Le temps presse pour appréhender les codes sociaux.
La montée en classe se déroule presque convenablement. Le rang se disloque pourtant au premier escalier. Je reprends la main, arrête les éclaireurs, remets la troupe dans un ordre acceptable. Nous croisons sur notre route une dame chargée de l'entretien des locaux. Pas un bonjour ! J'arrête le groupe, appelle cette dame et précise que lorsqu'ils seront avec moi dans le collège, chaque adulte croisé devra entendre au moins un « bonjour ! ». Le principal a évoqué son exigence de respect, il commence par cette marque élémentaire de civilité.
Ils se rangent cette fois relativement bien devant la classe. J'attends le silence pour les inviter à rentrer avec une des mes formules rituelles : « Soyez les bienvenus dans ce lieu de savoir et de travail que constitue cette classe ! » L'ont-ils entendue ? Qu'importe, chaque jour, ils seront ainsi accompagnés dans ce geste par des mots de cette teneur.
Quatre ou cinq élèves s'asseyent immédiatement. Nouvelle intervention, nouvelle précision sur cette règle de courtoisie qu'on retrouve également à la maison : « Un visiteur ne s'assoit qu'à l'invitation de ses hôtes. Vous êtes ici mes invités, je suis heureux de vous recevoir mais je tiens à ce que tout se passe dans le respect mutuel. Je vous prierai de vous assoir quand vous aurez retiré veste et cartable, foulard et chewing-gum. Merci ! »
J'entends déjà les remarques hostiles. C'est une fois encore le fameux dressage de l'école ! C'est peut-être vrai. Pourquoi croyez-vous que l'école ne favorise la réussite que des enfants d'enseignants et des représentants de l'élite ? Justement parce que ces enfants disposent des clefs de la bienséance et que les autres se perdent en chemin dans des habitudes qui leur fermeront bien des portes.
Ce n'est pas à moi de juger de la nécessité de se comporter ainsi, c'est cependant un préalable à l'écoute et à la concentration. Naturellement, j'explique, je restitue ces attentes dans le contexte professionnel. Je rassure sur les comportements extérieurs que je n'ai pas à juger. Ce que je demande n'est destiné qu'à la seule situation de travail. « Vos habitudes ne sont pas moins bonnes que celles que je demande, elles ne sont simplement pas celles qui seront entendues dans le monde professionnel ».
Durant deux heures, je vais rappeler ces exigences tout en évoquant des traditions différentes qui sont tout autant respectables. Ainsi, regarder un adulte en face et si possible dans les yeux sans le toiser d'un regard agressif est une attente européenne. » Dans d'autres sociétés, c'est un tabou qu'il vous importe de respecter si c'est le cas quand vous retournerez chez vous. Mais ici, il faut apprendre à se comporter comme on l'attendra de vous plus tard « !
Je parle beaucoup, j'explique chaque exigence, je la restitue dans un contexte de découverte d'un monde nouveau. Je ne fais pas que ça d'ailleurs, sinon ce ne serait qu'une farce grotesque. Je les mets immédiatement au travail en situation interactive. Je me moque que le carnet de correspondance ne soit pas rempli, que l'emploi du temps ne soit pas distribué, il faut de suite apprendre et comprendre, découvrir et participer, s'écouter et compléter, agir et interagir.
Il y aura des désaccords, des remarques, des réflexions derrière mon dos qui seront reprises et commentées. Il y aura encore la promesse de ne point punir car ce n'est pas ainsi que l'on fait avancer un humain. Il faut obtenir son adhésion, lui donner une perspective, offrir des sorties dignes de cette école qu'il déteste tant. C'est un rude travail, je ne suis absolument pas certain d'y parvenir, de conduire l'ensemble du groupe vers des jours meilleurs, mais je m'y attelle !
Je sors épuisé de ces deux premières heures. J'ai donné beaucoup d'énergie, j'ai parlé tout autant qu'écouté, j'ai cadré et recadré, j'ai fixé des limites et je me suis présenté en garant d'un ordre qui se limite à ma seule classe. Je crois avoir vu quelques sourires quand ils sont sortis les uns après les autres avec l'obligation de restituer une information apprise ce jour. Ce sera ainsi chaque fois que le contexte le permettra. Les élèves sont à l'école pour apprendre, ce n'est pas un vain mot. Il est inconcevable qu'ils ne se souviennent de rien de ce qui vient de se passer en leur présence.
Nous verrons bien la suite de cette aventure. J'ai remarqué des résistants farouches, des trublions pour la forme, des pauvres gamins sans repères, des enfants victimes de camarades perturbateurs qui n'aspirent qu'à plus de sérénité, des provocateurs, des mômes qui souffrent de cette obligation d'immobilité, d'autres qui détestent viscéralement l'école. Ils ne rentreront pas tous dans un moule unique, c'est un leurre qui conduit à la catastrophe. Ils devront trouver une proposition la mieux adaptée possible à leur problématique car ils ont tous leur place dans cette classe ! Ce sera une rude bataille, j'en suis certain !
Précisément leur.