Algérie : Les défis du Président Abdelmadjid Tebboune

par Yacine Chibane
samedi 29 août 2020

 

Après près d’un an de règne, le président de la République Algérienne démocratique et populaire Abdelmadjid Tebboune fraîchement élu dès le premier tour avec 58 % des voix le 12 décembre 2019 dans une élection très controversée avec un taux d’abstention record atteignant les 61% du corps électoral, annonce un référendum constitutionnel pour ce 1er novembre dans le but d’établir les bases d’un nouveau régime politique. Tebboune promet une « Algérie nouvelle », est-ce une chance pour l’Algérie ?

Crise du Covid-19 et arrêt du hirak…

La première année de son premier mandat a été marquée négativement par la pandémie du Covid-19 qui avait freiné l’élan de réforme qu’avait initié le président Tebboune qui avait initialement déclaré que le référendum constitutionnel était prévu pour le printemps, les élections législatives vers l’été et les élections locales (communales et départementales) pour la fin 2020. Cela été compromis à cause du confinement partiel instauré qui avait été en partie levé le 15 août avec la réouverture des cafés, des hôtels et des restaurants avec le maintien du couvre-feu mais reconduit à 21h dans 29 départements sur 48.

Les conséquences des mesures de confinement se font sentir avec la crise de liquidités dans les bureaux postes (qui servent de banque publique où les fonctionnaires et les retraités récupèrent leur argent) ce qui fait que milliers de personnes n’ont pas perçu leurs salaires depuis des mois, ajouté à cela encombrements dans les administrations et une bonne partie du secteur privé qui avait été suspendu de toute activité.

Le « Hirak » a grandement perdu de son ampleur depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019. Cependant, certaines parties du Hirak appellent à poursuivre les marches, ce qui est particulièrement le cas du mouvement Rachad (résidus du FIS affiliés au congrès de la Oumma et aux frères musulmans) qui adopte une attitude jusqu’au-boutiste notamment depuis que le Hirak ait pris pour cible les « généraux » et l’armée algérienne. A l’instar des frères musulmans en Egypte, en Syrie et en Libye, Rachad s’attaque à l’armée algérienne et les généraux dans une logique revancharde vis-à-vis des évènements des années 90 où l’armée avait confisqué la victoire du FIS (front islamique du salut) aux élections législatives.

D’autres courants « hirakistes » que l’on appelle de manière péjorative les « éradicateurs » (renvoyant à la dichotomie entre éradicateurs et dialoguistes lors de la guerre civile des années 90 sur la question de la négociation ou non avec les terroristes islamistes) qui sont en fait des « laïcards » ant-islamistes, appellent à la suspension des marches et se sont retournés contre les islamistes avec lesquels ils manifestaient côte à côte.

Il existe deux opinions circulent au sein du Hirak : La première selon laquelle il faudrait renverser totalement le régime (d’où le slogan « Yetnahaw Ga’ ! » signifiant « Qu’ils dégagent tous ! ») pour ensuite instaurer une transition (constituante ou gouvernement de coalition) et discuter de la nature du nouveau régime. La deuxième opinion récuse la première pour sa démarche hasardeuse et aventuriste car elle pourrait déboucher sur un régime théocratique, ce qui explique le conflit « laïc-islamiste » qui avait éclaté depuis quelques mois.

Comme solution, le Président Abdelmadjid Tebboune appelle la société civile à s’organiser en associations, mais aussi en forces pour les prochaines élections qui devraient se tenir en 2021 pour élire des assemblées « réellement représentatives ».

 

La différence avec ses prédécesseurs :

Contrairement au « monarque républicain » Bouteflika, au militaire démissionnaire Zeroual, au « roi fainéant » Chadli Bendjedid et au despote populaire Boumediène, Abdelmadjid Tebboune incarne l’élite des gestionnaires technocrates formés après l’indépendance. Tebboune est né en 1945 à Méchria d’une famille paysanne. Il intègre l’école nationale d’administration (ENA d’Alger) en 1969, section économie et finances. Il incarne la génération intermédiaire entre la jeunesse et la génération révolutionnaire à bout de souffle. Il est cependant membre du parti du Front de Libération Nationale depuis les années 70 (alors parti unique) ce qui était un passage obligé pour devenir administrateur à l’époque.

Le parcours de Tebboune est à la fois administratif et politique : Il commence par devenir secrétaire général de la wilaya de Djelfa en 1975 et devient wali (équivalent de préfet) en 1983. Il intègre le gouvernement pour la première fois de 1991-1992 sous le Président Chadli Bendjedid et Boudiaf où il est désigné comme ministre délégué aux collectivités locales au gouvernement.

Il est reconduit en 1999 dans le premier gouvernement du Président Abdelaziz Bouteflika comme ministre de la culture et de la communication, puis comme ministre du logement jusqu’en 2002 et de 2012 jusqu’en 2017 et est nommé à la même année comme premier ministre pendant seulement trois mois.

Plusieurs rumeurs circulaient dans le sérail de l’Etat algérien depuis 2017 quant à la candidature d’Abdelmadjid Tebboune, il se présente finalement à l’élection du 12 décembre 2019 après que celles du 18 avril et du 4 juillet aient été annulées. Son fils était pourtant incarcéré pour corruption et aucun parti politique de l’avait soutenu, pas même le parti-FLN qui avait choisi soutenu le candidat Mihoubi. Tebboune l’emporte avec seulement 4,9 millions de voix sur 24 millions d’électeurs inscrits.

Quant à sa manière de faire, Tebboune emploie un langage populaire simple mélangé d’arabe et de français pour bien se faire comprendre. Pour faciliter la communication avec les citoyens, il invite régulièrement des journalistes à la présidence pour un entretien diffusé à la télévision nationale. Comme signe de rupture, Tebboune avait exigé à ne plus être appelé « son excellence » mais simplement « monsieur le Rrésident de la République ». Il adopte un discours anti-corruption insiste notamment sur fait que l’ « Algérie nouvelle » doit rompre avec tout pouvoir personnel.

 

Programme politique, socio-économique et vision géopolitique :

Avant d’être élu, Tebboune avait inscrit dans son programme une série de réformes « radicales » économiques et politiques. D'abord, la nouvelle constitution accorde une place plus importante à la langue amazighe et à l’assemblée populaire nationale (APN ou chambre basse du parlement) qui aura le pouvoir de nommer et de destituer le chef du gouvernement, mais aussi le droit de véto sur la sortie de l’armée en dehors des frontières ce qui dépendait du président auparavant. La nouvelle constitution devrait également prévoir l’organisation des élections par l’ « Autorité Nationale Indépendante des élections » (ANIE) alors cela relevait des prérogatives du ministère de l’intérieur, ce qui est considéré comme la cause des fraudes aux différentes élections. Précisons toutefois que la mouture finale n’a pas encore été présentée en dehors des grandes lignes. On annonce que 60% du contenu de l’ancienne constitution a été changé ou modifié.

Le pays est jusqu’à aujourd’hui dépendant des hydrocarbures à 20% de son économie et à 95% de ses exportations, le gouvernement prévoit une réduction à 80 de cette dernière via l’exportation des produits agricoles et des matières première alternatives (phosphate, uranium, terres rares etc.). La situation financière est encore confortable avec 60 milliards de dollars de réserves de change et 0,0 dettes extérieures. Parmi les promesses controversées, on peut citer celles du « rapatriement des avoirs détournés ».

Tebboune a grandement insisté sur le caractère social de l’Etat, il avait même déclaré à la télévision « Nous ne sommes pas un pays capitaliste, nous sommes un pays social !  ». Ainsi, le SMIC a été augmenté et l’IRG pour les plus bas revenus a été supprimée, on prévoit également la mise en place d’un impôt sur la fortune. La politique des subventions est également remise en cause car la politique actuelle consiste à subventionner des produits ce qui permet à tout le monde d’en bénéficier. Sans compter le taux de change officiel qui est subventionné et qui est considéré comme un gaspillage de devises notamment pour les importations. Une banque publique pour les start-up et les micro-entreprises devrait également voir le jour pour soutenir le tissu économique des TPE/PME.

Cela dit, la vision géopolitique du Président Tebboune n’est pas différente de celle de ses prédécesseurs qui est celle du non-alignement ; soutien indéfectible à la cause du Sahara occidental et à la Palestine et principe de non-ingérence dans les affaires d’autrui. Il ambitionne également de faire la médiation pour la paix en Libye sous l’égide de la communauté internationale et affirme que l’Algérie est à égale distance entre les deux belligérants. L’Algérie avait déjà fait par le passé des médiations diplomatiques, que ce soit entre l’Erythrée et l’Ethiopie en 2000 ou entre l’Irak et l’Iran en 1978. Tebboune entreprend d’apaiser les relations avec la France, l’ancienne puissance coloniale et de dépasser une bonne fois pour toutes le problème de la mémoire.

« Nous ne nous laisserons plus caporaliser par quiconque. » a-t-il déclaré pour le journal Français « L’Opinion ».

 

Conclusion

Le nouveau Président de la République se montre déterminé pour accomplir sa mission et passer postérité comme le président d’une transition importante dans l’histoire du pays, alors qu’il est justement en fin de carrière. Nous verrons donc les résultats lors de la fin de son premier mandat en 2024…

 

Yacine Chibane


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