Chassez le naturel

par L’enfoiré
mercredi 29 juillet 2009

...il revient au galop. Période de vacances, la recherche d’évasions de proximité peut venir à l’esprit. A Bruxelles, il y a quelques coins naturels et très secrets. Le Moeraske et Hof Ter Musschen sont de ceux-là. Sans aucune prétention, mais qui remonte dans l’histoire. Alors, en silence, à l’écoute de la Nature, laissons lui raconter son histoire...

Pour une ville et une capitale, Bruxelles a de nombreux espaces verts. Des espaces de parcs, de bois, une forêt de Soignes, de jardins fleuris auxquels chacun s’attache à donner le meilleurs aspect. Tous entretenus au mieux des disponibilités et des moyens. Tous dédiés à des moments de recueillements pour faire oublier l’excitation de la ville, avec des bancs publics pour se foutre du regard oblique des passants honnêtes, comme chantait Georges Brassens. Dans cette ambition de perfection, le côté naturel n’est plus la principale préoccupation. Cela doit être beau, fleuri, attirant pour le regard. Rien à dénigrer dans cette vision, dans ses propos et ceux qui vont suivre. Le but est ailleurs. Une manière de présenter le naturel par la beauté. Le naturel pur a ses propres règles qui ne sont pas moins belles, mais seulement moins sensibles aux humains que nous sommes.

L’écologie est à la mode, mais ce n’est pas uniquement un parti vert, c’est aussi une idéologie de respect envers la nature avec sa beauté et avec ses erreurs, en dehors de toute interprétation anthropomorphe. Saisissons l’occasion pour le prouver et pour en découvrir les tenants et les aboutissants par un autre point de vue.

Près de chez moi, se cachent quelques endroits moins choyés par les interventions humaines, plus libres, que l’on veut maintenir plus divers. Il faut les connaître par le bouche à oreille. Pas touristique pour un sous.

Le Moeraske fait partie de cette d’une petite nature, simple, sur un site de 14 ha en longeant un chemin de fer. Comme voisinage immédiat, le train qui vient de Liège. La gare de Schaerbeek, à proximité, est un point de concentration des trains, et son trafic n’est pas nécessairement discret.

Là, la nature garde le champ libre de décider comment elle veut évoluer et exister. Plantes, oiseaux et animaux osent s’y retrouver, alors qu’il ne le ferait plus naturellement en ville. Dans cet espace confiné, à l’écart des hommes dans un silence saccadé seulement par ce bruit de train parfaitement identifié, il y a des chances, alors, de sortir des chemins battus. Ce n’est pas encore de l’aventure, mais on s’en rapproche pour un botaniste.

Cela ne veut pas dire, dans un espace aussi réduit, qu’il faille lui laisser la bride sur le coup et la totalité de liberté. Car, il est question de garder la biodiversité. Certaines plantes sont trop envahissantes et ne laisseraient aucune chance à ses comparses de prospérer, si l’homme ne les gérait avec un minimum de soins. Cela arriverait d’ailleurs très vite. Il faut éradiquer ou restreindre ces appétits. Ce ne sont plus les études d’architecte de jardin ou d’agronomie, trop productiviste qui seront à l’honneur avec l’expérience du terrain.

La biodiversité a un programme à respecter et une philosophie très particulière.

Les petits animaux qui s’y cachent, s’habituent au train électrique. Cela ne pollue pas, sinon par le bruit. Hors du cycle des voitures et des échos de la rue. Seuls quelques chiens promènent leur maître (non, je ne me suis pas trompé le sens de ma phrase !).

"Moeraske" veut dire "petit marais" en néerlandais. Pourtant, au fond de la vallée de la Senne, il n’était pas destiné à cela dans l’histoire. A cheval sur trois communes autour de Bruxelles, le site suivait la source du Kerkebeek, qui coule toujours à vitesse soutenue, tel un ruisseau ou plutôt un ru, pour rafraîchir les souvenirs des cruciverbistes. Des épinoches ne s’en privent pas.

Le parc de Walkiers qui en fait partie, est un ancien parc à l’anglaise de 4,5 ha. Il était à l’origine la possession d’une riche famille. Un château existait en ces lieux mais il a complètement disparu. Pas question de faire revivre un patrimoine prestigieux.

Famille qui remonterait à un architecte du 17ème siècle. Une rue d’Evere porte encore son nom. Au 19ème siècle, cette famille s’agrandit et se retrouve à Auderghem avec une avenue. Voilà, pour le souvenir familial.

Le Moeraske était une campagne bucolique au 18ème siècle. Prairies, bergers se partageaient l’espace. La vie à la campagne, tout en restant à portée de calèches, on en connaissait déjà les privilèges dans ce genre de famille. 1835, le chemin de fer changeait la donne. La gare de Schaerbeek prend une telle extension qu’elle gâche le côté bucolique de l’horizon. Un pensionnat et un orphelinat prennent place dans cet environnement. Les autoroutes du 20ème siècle vont, une nouvelle fois, complètement changer la destination des lieux et lui lancer son chant du cygne.

Ce n’est pas l’église Saint-Vincent, dont il ne reste plus grand chose de l’origine qui ferait obstruction à cette décadence et à l’abandon de tout le site. Si l’extérieur gardait un cachet de petite église brabançonne typique, l’intérieur ne laisserait pas un souvenir impérissable.

L’espace devient, dès lors, un remblai abandonné avec seulement quelques bassins d’orages. Pourtant, ils subsiste des sources, un marais, des potagers, juste ce qu’il faut pour rendre le site le plus naturel possible.

La décision est prise en 1989 et la Commission de l’Environnement de Bruxelles et Environs (COBE) fait naître le site avec le respect du naturel. Protéger et conserver le patrimoine des sites naturels se réalise, autour de Bruxelles, comme une charte de bonne conduite. L’Hof ter Musschen, accompagne le Moeraske avec son parc du Bon Pasteur dans une préoccupation de préserver à tout prix.

Les surprises commencent. Il suffit de se baisser, de tendre l’oreille pour s’en apercevoir. Des oiseaux chantent, cachés, seulement repérables par leurs cris. Reconnaître les oiseaux par leur chant répétitif donnerait une leçon à l’apprenti de signaux Morse. Quand les nids sont occupés, les sponsors en sont avertis de leurs occupants occasionnels. Une manière d’entretenir le bien fondé de l’action et pour les tenter d’enrichir ou de maintenir la manne des donations.

Une soixantaine d’espèces d’oiseaux dont un tiers nicheurs : Bécassines des maraisfauvettes, martin-pêcheurs, canards colvert, poule d’eau, pics épeiche, perruches à collier, mésanges, hérons, bécasses, pouillot véloce, loriots se partagent les mares, les arbres et le ciel pour nicher, hiverner ou simplement survoler.

Symphorines roses, sorbes, arôme gouet, circe commun, liserons des champs ou des haies, butlea qui attirent les abeilles et les papillons, voilà les échantillons visibles. Rien d’extraordinaire, me direz-vous. Comme si la nature devait toujours être exceptionnelle pour exister. Pas d’orchidées au détour d’un chemin pour répondre à la nouvelle mode des fleuristes pour suivre l’air du temps. Le "très petit" demande un regard plus rapproché, de la patience et une position macro à son appareil numérique ou analogique pour le capté à sa juste valeur.

Le site, dans sa grande partie, est d’accès libre. Le parc Walkiers, par contre, est fermé aux visiteurs non accompagnés. Sa protection nécessite la clé de cadenas des barrières. Le chemin de fer reste encore trop poreux aux intrusions iconoclastes et il faut le constater avec désolation. Protéger la nature n’est pas une chasse aux sorcières, mais une lutte contre les déprédations.

Une fois par mois, la visite de ce parc est programmée avec un guide qui s’occupe en permanence de l’endroit.

Ce deuxième dimanche du mois-là, j’étais au rendez-vous. Je n’étais pas seul. Un petit groupe de passionnées, bien plus au courant que moi-même accompagnaient. Le temps n’était pas au beau fixe. Des bottes ou de bonnes chaussures étaient conseillées, disait le prospectus. Le sol boueux et glissant le confirmait. La promenade devait compter théoriquement trois heures pour parcourir, en comptant large, d’à peine deux à trois kilomètres. Cela voulait dire meubler des moments par des explications détaillées et des réflexions d’expert. Moi, le citadin, "religieusement" consommateur de cette nature mais pas pratiquant, je ne cherche pas naturellement à donner des noms à toutes ces choses. J’allais en entendre plein les oreilles. L’homme s’est évertué à donner des noms délicats, intimistes, alambiqués et des références à tout ce qui l’entoure, mais pas toujours très mémorisable. Alors, on joue au botaniste, au zoologue. On essaye d’éliminer le côté Alzheimer qui sommeille en nous. Voilà les mots latins, qu’on ne retient pas sans les écrire. Heureusement, une version plus actuels, dans un langage très local fait parfois sourire. Avec le langage bruxellois, pas besoin de chercher bien loin dans son vocabulaire pour en faire ressortir l’humour.

Les mousses et les lichens sur lesquels chacun marche sans s’en rendre compte, prennent tout à coup une importance toute particulière. Une simple haie feuillue devient un mur de merveilles fréquentées par les abeilles.

Le besoin de pureté, de virginité ne veut d’ailleurs pas dire la même chose pour tout le monde. Cette pureté fait, parfois, ombrage aux autorités les plus compétentes en la matière. Il faut, alors, devenir plus écolo, que les écolos, eux-mêmes. Le parti vert a ses propres objectifs de plaire aux électeurs. Les autorité en charge de l’Environnement voudraient continuer le chemin tracé en traversant le parc défendu. Refus des propositions en bonne forme par le CIBE. Des projets, les plus fous, pour contourner le problème, bien vite oubliés vu le budget nécessaire ne donneront pas la solution. L’expérience et la patience ne permettent pas les compromissions. Chasser le naturel devient un dilemme qui ne se règle, alors, que par une visite devant un juge. La commune, elle-même, ne participe pas toujours avec l’effort souhaité.

Pas de terrorisme écologique. Là, on dépasserait le naturel. La nature n’en demande pas tant. Modèle pour l’homme, pas source de conflit. Les déprédations ne sont pas des mirages donc un maximum de précaution s’impose. Plus il y a d’espace, plus le visiteur en occupe, plus il détruirait finalement son environnement.

A Woluwe-Saint-Lambert, le site du Hof Ten Musschen ajoute le côté historique au naturel. Relique du paysage rural brabançon sur 6ha, il contient une ferme classée, l’ancien moulin du Fournil et un moulin à vent sur pivot. Plus loin, ce sera, même, le moulin à grain de Lindekemale, mû par une roue à aube qui complètent.

Le Patrimoine historique et naturel font très bon ménage dans l’air du temps. Le retour aux sources et aux racines n’y est certainement pas étranger. 

Un banal mur devient une représentation historique. Alors, pourquoi bouder son plaisir ?

On passe trop souvent, au galop, à côté des merveilles naturelles et historiques, sans s’en apercevoir. La nature a compris et réinvestit là où on lui en laisse le temps.

Ma promenade en images

 

L’enfoiré,

 

Citations :

 

  • « L’objet de la recherche n’est plus la nature en soi, mais la nature livrée à l’interrogation humaine, est dans cette mesure l’homme ne rencontre ici que lui-même. », Werner Heisenberg

  • « Il est dans la nature de l’homme d’endurer patiemment la nature des choses, mais non la mauvaise volonté d’autrui. », Jean-Jacques Rousseau

  • «  Vous arrivez devant la nature avec des théories, la nature flanque tout par terre. », Pierre-Auguste Renoir

  • « Je ne suis que le fil rassemblant les fleurs du bouquet. Mais ce n’est pas moi qui ai conçu les fleurs. Ni leurs formes, ni leurs couleurs, ni leurs parfums. Mon seul mérite est de les avoir sélectionnées et regroupées pour vous les présenter d’une manière nouvelle », Edmond Wells

 


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