Charles III en France : oublié le Brexit, vive l’Entente cordiale !

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 22 septembre 2023

« Je lève donc mon verre en l’honneur de Votre Majesté (…). Je le lève en l’honneur du Royaume-Uni, et de l’Entente Cordiale qui unit, dans une alliance indéfectible, nos deux peuples frères. Vive le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, vive l’amitié franco-britannique ! » (Emmanuel Macron, le 20 septembre 2023 à Versailles).

Les services de sécurité français doivent être sur les dents cette semaine : en plus de la Coupe du monde de rugby depuis quelques semaines, il y a la venue en France du pape François ces 22 et 23 septembre 2023... et le roi du Royaume-Uni.

Le roi Charles III était en effet en visite d'État en France du 20 au 22 septembre 2023. Cette première visite d'État aurait dû se dérouler du 26 au 29 mars 2023, il y a six mois, mais à la veille du voyage, le Président Emmanuel Macron avait préféré la reporter alors que le pays était plongé en pleines grèves contre la réforme des retraites (Charles III n'a cependant pas annulé sa visite à Berlin qui devait suivre, les 29 et 30 mars 2023). En quelque sorte, cette venue du souverain britannique est le dernier point final à la (longue) séquence de la réforme des retraites. Le pays est passé à autre chose, et ce ne sont pas les préoccupations qui manquent aux Français.

D'où la tarte à la crème des polémiques classiques et récurrentes : fallait-il autant de pompes, de fastes, de luxe, pour la venue de Charles III alors que beaucoup de Français ont du mal à joindre les deux bouts à cause de la précarité et de l'inflation ? C'est une tarte à la crème car cette question a toujours été posée, mais ceux qui posent cette question, pour fustiger le pouvoir en place et préférentiellement Emmanuel Macron, sont généralement les premiers à regretter l'ancienne grandeur qu'était la France par exemple sous De Gaulle.

Pourtant, le protocole a été largement assoupli depuis De Gaulle ! Et même encore avant : en 1914, la France avait accueilli le roi George V avec dix-sept plats ! Aurait-on voulu qu'Emmanuel Macron invitât Charles III pour dîner dans un MacDo ? ou chez un marchand de kebab ? ou encore dans un restaurant chinois ? ou (soyons patriotes !) une petite brasserie de cuisine bien française ?

Non, bien sûr, il fallait recevoir le roi du Royaume-Uni avec les honneurs, c'est le moindre des respects que la France pouvait avoir pour cet hôte de marque, c'est aussi la pratique diplomatique qui veut qu'on réserve les meilleurs traitements à ses meilleurs amis, et malgré le Brexit, le Royaume-Uni fait partie des meilleurs alliés, des meilleurs amis de la France, avec l'Allemagne et l'Italie. Du reste, le château de Versailles est devenu, sous la République, selon l'expression présidentielle, « un temple à l’amitié diplomatique ».

On peut aussi se souvenir des fastes du G7 du 4 au 7 juin 1982 au château de Versailles, présidé par François Mitterrand, probablement le plus monarque de nos Présidents de la République, n'hésitant pas à annoncer le surlendemain, les mets à peine digérés, dans une conférence de presse devenue mémorable, la fin du programme socialiste et le début de l'austérité budgétaire, constatant l'effondrement des finances publiques après un an de dépenses folles, de clientélisme, de rasages gratis.

L'amitié franco-britannique n'est pas une vaine expression. Au cours du dîner dans la Galerie des Glaces le 20 septembre 2023, temps fort de la visite d'État, Emmanuel Macron a d'ailleurs rappelé que l'Entente cordiale avait presque cent vingt ans (en effet, à l'initiative du ministre Théophile Delcassé, des accords de coopération et d'amitié franco-britanniques ont été signés le 8 avril 1904), et que les deux pays avaient toujours eu la même vision des choses : « Vous êtes l'incarnation de cette alchimie unique, et vous avez contribué à faire de cette Entente cordiale (…) une réalité tangible, une proximité amicale. (…) Le Royaume-Uni et la France vibrent au diapason d’une philosophie démocratique séculaire, d’un élan vers l’art et le savoir (…). Nous avons la même lecture des enjeux de notre temps, la même quête du progrès scientifique, qu’elle concerne les avancées médicales ou l’essor de l’Intelligence Artificielle, la même volonté de défendre la sécurité de notre Europe là où elle est en cause, comme aujourd’hui en Ukraine, le même attachement à la lutte contre les inégalités et pour le climat. ».



Et le Président de la République française de rappeler la présence de Charles III, représentant son pays aux obsèques de De Gaulle (Emmanuel Macron se trompe sur son âge, il allait avoir 22 ans le 14 novembre 1970), que le Royaume-Uni avait accueilli à Londres pendant la Résistance à partir du 17 juin 1940 : « Dans la grande nef de Notre-Dame, vous avez rendu les derniers hommages de votre nation à celui en qui elle avait cru quand personne n’y croyait, celui à qui elle s’était alliée avant même que les Français ne s’y rallient, celui auquel la reine Élisabeth II avait dit une fois qu’elle le considérait comme "a part of the family". Nous n’oublierons jamais que c’est sur vos terres que le flambeau de la Résistance et de l’espoir a pu brûler et rayonner, que c’est depuis votre capitale que l’appel du général De Gaulle s’est élancé vers les foyers et les combattants français. Nous n’oublierons jamais tout ce que l’armée de l’ombre doit à l’accueil de Londres. Cette histoire, vous en portez la mémoire. ».

Le chef de l'État français n'a pas manqué, non plus, alors qu'elle a été enterrée il y a un an, le 19 septembre 2022, de rendre hommage à la mère du roi, Élisabeth II, avec une certaine émotion : « Les glaces qui ce soir renvoient votre image ont reflété jadis le visage de la reine Victoria, de George VI, d’Élisabeth II, et j’aime à penser que, quelque part, elles s’en souviennent un peu. (…) Je voudrais en cet instant rendre hommage à celle qui exerça sa mission avec un dévouement constant, qui conjugua les relations franco-britanniques aux temps modernes, qui chemina, durant soixante-dix ans, aux côtés des géants du siècle qu’elle s’en est allé rejoindre. Vous savez quelle affection le peuple français a portée à la reine Élisabeth II, votre mère, tout au long de sa vie et de son règne, et combien il a partagé la peine du peuple britannique dans le deuil. Nous pensons profondément à elle et au prince Philip, en vous recevant, ce soir, avec la reine. ».



Le programme du roi, accompagné de sa femme, la reine Camilla, était assez chargé : aux côté d'Emmanuel Macron, il a déposé une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu sous l'Arc-de-Triomphe, et est descendu les Champs-Élysées avant d'être reçu au Palais de l'Élysée. Brigitte Macron et Camilla auraient, dit-on, joué au ping-pong.





Le lendemain, jeudi 21 septembre 2023, après s'être adressé aux sénateurs le matin, ce qui est sans précédent pour un souverain britannique (j'y reviendrai), Charles III a rejoint Emmanuel Macron au Muséum national d'histoire naturelle afin de conclure le Forum de mobilisation de financements pour le climat et la biodiversité, thème qui a toujours passionné l'ancien Prince Charles. Ce forum est une suite du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial tenu à Paris les 22 et 23 juin 2023 et qui a rassemblé 120 délégations d'États et d'organisations internationales dont 40 chefs d'État. Le couple royal s'est rendu aussi à la Basilique Saint-Denis (nécropole des rois français) et à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Ce vendredi 22 septembre 2023, Charles III était attendu à Bordeaux, dans une région où habitent beaucoup de résidents britanniques, notamment pour visiter une forêt expérimentale de l'Université de Bordeaux, réponse aux nombreux incendies qui ont ravagé la région en été 2022.



Un début de polémique a tenté de germer sur le protocole, selon lequel le couple élyséen n'aurait pas respecté les usages. En effet, Brigitte Macron a carrément fait la bise à Camilla en l'accueillant tandis qu'Emmanuel Macron, au cours de la journée de mercredi, a plusieurs fois touché Charles III, le bras, le dos, d'un geste toujours amical (le Président français est très tactile). Le roi ne s'en est pas formalisé ; en allant à l'ambassade du Royaume-Uni, ils ont pris un bain de foule et Charles III serrait allègrement, sans protocole, les mains du public présent pour l'occasion, avant de planter un chêne dans le jardin de la résidence de l'ambassadrice.

Pour la petite histoire, les deux chefs d'État se sont offert mutuellement des cadeaux. Emmanuel Macron a offert au roi un des 85 exemplaires numérotés de l'édition originale du roman de Romain Gary, "Les Racines du ciel", tandis que Charles III a offert au Président un exemplaire de l'édition originale des "Lettres sur les Anglais" du génial Voltaire qu'il av écrites à Londres où il avait séjourné de novembre 1726 à l'automne 1728 (Voltaire adorait l'Angleterre et s'était rendu en avril 1727 à l'enterrement du physicien Isaac Newton qu'il admirait beaucoup : « Il a vécu honoré de ses compatriotes et a été enterré comme un roi qui aurait fait du bien à ses sujets. »). La version française de cet essai est les "Lettres philosophiques" publiées en avril 1734. La période du Brexit et de Boris Johnson est bel et bien révolue, place aux retrouvailles des deux pays les plus puissants militairement d'Europe (hors Russie).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
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