Hausse des taux : la BCE entre vice de forme et faute conjoncturelle

par Laurent Herblay
samedi 5 août 2023

Papier publié en avant-première sur Front Populaire

 

C’était annoncé en juin dernier, et largement attendu  : la BCE a procédé à un nouveau tour de vis monétaire en remontant ses taux directeurs de 0,25 point. La chute, seulement récente, et encore limitée, de l’inflation justifie cette décision pour les faucons, quand les colombes pointaient le risque que cela fait peser sur la croissance, craignant une réaction excessive. Une double erreur.

 

Le retour de la malédiction de l’euro

Ce débat sur la politique monétaire de la BCE n’est pas nouveau. Il ressurgit fréquemment depuis vingt ans car la diversité des situations macro-économiques souligne à nouveau le problème d’une politique monétaire taille unique pour des pays en réalité trop différents pour partager une même monnaie. Que les Allemands soient favorables à une nouvelle hausse n’est pas totalement surprenant, même si leur économie est déjà entrée en récession. Après tout, l’inflation atteint encore plus de 6% outre-Rhin et l’histoire du pays a créé une telle aversion pour la hausse des prix qu’il n’est pas illégitime qu’ils cherchent à la minimiser coûte que coûte. Mais ce n’est pas du tout le besoin de l’Espagne, dont l’inflation est tombée à seulement 1,9% en juin, du fait de sa sortie du marché européen de l’électricité.

Cela fait des mois qu’une hausse des taux est injustifiée pour ce pays. Mieux, une divergence des politiques monétaires, avec une fin anticipée de la hausse des taux pour Madrid, et une poursuite de la hausse des taux en Allemagne, aurait aidé Berlin pour son objectif, avec une montée du mark qui aurait poussé les prix des importations à la baisse et calmé plus rapidement l’inflation outre-Rhin. Mais la taille unique imposée par la monnaie unique impose une politique un peu trop modérée pour Berlin et bien trop aggressive pour Madrid, comme un miroir inversé du début des années 2000, quand elle était alors trop accomodante pour les pays d’Europe du Sud, et trop dure pour l’Allemagne. Bref, cette situation souligne encore le fait que la zone euro n’est absolument pas faite pour partager une seule monnaie.

Et au problème structurel de la zone euro, s’ajoute une erreur d’appréciation conjoncturelle, qui révèle, pour qui en douterait encore, le biais idéologique oligarchiste de la BCE. L’inflation a eu deux raisons : la hausse des prix de l’énergie, exagérée par les mécanismes délirants de fixation des prix de l’électricité à l’échelle de l’UE, et l’effet d’aubaine de beaucoup d’entreprises, qui en ont profité pour gonfler à l’excès leurs prix et leurs profits. Mais ce sont des causes temporaires et non reproductibles à ce niveau dans la durée. La rechute était attendue, elle arrive. Avec une inflation en fort recul (-0,6 point sur juin) et une zone euro proche de la récession, continuer à monter les taux d’intérêt n’a aucun sens et a toutes les chances d’accentuer un retournement économique qui n’en avait vraiment pas besoin.

Les banquiers centraux ne prennent pas suffisamment en compte les conséquences des hausses des taux passées, qui ne se matérialisent pas toujours immédiatement, mais en différé, par la chute des volumes de crédit. C’est ainsi que la demande de crédit des entreprises est au plus bas depuis 20 ans  ! Le retournement du marché immobilier est également violent. Tout ceci va fortement peser sur la demande des prochains mois. En outre, la remontée des taux pèse également sur les marges de manœuvre des Etats en augmentant le coût de financement de la dette (d’autant plus que la monétisation a été arrêtée), ce qui va peser sur les autres budgets, et donc sur la demande publique. Tous les mécanismes d’un retournement économique semblent en place, avec une demande qui a fortement baissé en juillet.

Bref, le choix de la BCE est délirant. Nous sommes sur une inflation largement zombie, qui va fortement reculer dans les mois à venir et cette hausse risque d’amplifier encore le retournement économique. Ce faisant, on peut y voir tous les biais de cette banque centrale, qui tend trop souvent à mener la politique que souhaite l’Allemagne et ses satellites, au détriment des autres. Mais on peut aussi y voir un profond biais oligarchiste. Car qui s’inquiête d’un excès d’inflation ? Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas ou pas beaucoup d’argent. Ce sont ceux qui en ont beaucoup, et qui n’apprécient pas que la valeur de leurs économies diminue. De même, Christine Lagarde justifie son action au regard de la hausse des salaires, prenant la défense d’un patronat rétrograde qui ne veut pas partager la richesse créée. Elle est prête à casser la croissance pour remettre l’économie dans une direction moins favorable aux salariés.

Cette décision malheureuse a le mérite de nous rappeler deux faits majeurs. D’abord, la monnaie unique n’a aucun sens économique et affaiblit tous ses membres. Ensuite, une banque centrale prétenduement indépendante est surtout un agent au service inconscient des intérêts de l’oligarchie. Voilà pourquoi il faut non seulement quitter l’UE et l’euro, mais aussi remettre le pouvoir monétaire dans le cadre démocratique, et donc dans les mains de politiques qui rendent des comptes au peuple.


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