L’Italie face à son destin en 2022

par Sylvain Rakotoarison
samedi 24 septembre 2022

« Les responsables européens ne veulent pas commenter les politiques nationales, mais il règne généralement une atmosphère d'appréhension lorsqu’un nouveau gouvernement aux comportements imprévisibles peut arriver au pouvoir. » (Vincenzo Genovese, Euronews le 22 septembre 2022).

Ce dimanche 25 septembre 2022 a lieu un scrutin très important non seulement pour l'avenir de l'Italie mais aussi pour l'avenir de l'Europe. Il s'agit des nouvelles élections générales en Italie, c'est-à-dire du renouvellement de la Chambre des députés et du Sénat italiens, les deux chambres dissoutes le 21 juillet 2022 par le Président de la République Sergio Mattarella à la suite d'une énième crise gouvernementale. Je reviendrai sur les crises.

Les précédentes élections générales ont eu lieu le 4 mars 2018 pour un mandat de cinq ans. Après l'Allemagne et la France, ce renouvellement en Italie est crucial pour l'avenir de l'Europe dont l'avenir dépend principalement du volontarisme politique des trois grands pays fondateurs (la France, l'Allemagne et l'Italie), d'autant plus que le Royaume-Uni n'en est plus membre. Une incertitude politique plane donc sur l'Europe dans une période très tendue de guerre en Ukraine, de forte inflation, de pénurie d'énergie...

Si on croit que la vie politique française est compliquée, je conseille de se tourner vers l'Italie. Comprendre la vie politique italienne, c'est un petit exploit, mais cela fait aussi tout le charme de l'Italie et de nos amis italiens.

Pendant plusieurs mois, il a été très difficile de trouver un gouvernement issu des dernières élections générales du 4 mars 2018. Il y avait trois blocs : le principal vainqueur était le Mouvement 5 étoiles (M5S), parti de "société civile" qualifié souvent de parti "attrape-tout", populiste mais surtout issu de cadres, d'artistes, d'intellectuels qui en ont ras-le-bol des politiciens actuels. Il était parti seul, sans allié, et il a fait le meilleur score des partis. Cependant, face aux deux autres blocs, il ne faisait pas le poids car ces blocs, constitués de coalition, pouvaient avoir plus d'élus que le seul M5S.



Ainsi, le principal concurrent était le bloc de "centre droit", dont l'appellation me gêne un peu dans la mesure où on y retrouvait des "résidus" d'extrême droite. J'écris "résidus" pour bien préciser que ce n'est probablement plus de l'extrême droite mais une origine claire d'extrémisme et de populisme dont l'un de points communs est le combat contre l'immigration, considérée comme le principal mal politique de notre époque. Dans ce bloc, il y avait trois partis : Forza Italia (FI), le parti du vieillard Silvio Berlusconi (il va avoir dans quelques jours 86 ans !), la Ligue du Nord devenue la Ligue (Lega) du fougueux Matteo Salvini et Frères d'Italie (FdI) de la jeune Giorgia Meloni. Ces trois partis avaient déjà gouverné ensemble dans les gouvernements Berlusconi à une époque où Forza Italia était très majoritaire dans la coalition. Frères d'Italie est un parti issu de l'ancienne Alliance nationale de Gianfranco Fini, lui-même héritier du MSI de Benito Mussolini (adolescente, Giorgia Meloni a été militante du MSI). Des trois partenaires, jusqu'à maintenant, Frères d'Italie était négligeable par rapport à ses deux autres alliés. La grande surprise politique de 2018 a été la suprématie de la Ligue devançant largement Forza Italia et ainsi, la reprise par Matteo Salvini du leadership du "centre droit", ce qu'avait refusé Silvio Berlusconi. Cette coalition avait obtenu plus de sièges que le M5S.

Enfin, il y avait la coalition de centre gauche, que je ne mets pas entre guillemets bien qu'y coexistent certains partis parfois d'origine communiste. Il est principalement composé du Parti démocrate (PD), dominant tous ses autres partenaires. Cette coalition est pro-européenne et pourrait être assimilée au centrisme en France, voire au macronisme.

Finalement, un accord a été établi entre Matteo Salvini et Luigi Di Maio, chef du M5S, pour gouverner ensemble, contre Forza Italia et contre le Parti démocrate. Ce tandem improbable a réussi à gouverner l'Italie pendant un peu plus d'un an sous la Présidence du Conseil d'un universitaire qui ne faisait pas de politique mais proche du M5S, Giuseppe Conte, collé de ses deux vice-présidents Luigi Di Maio et Matteo Salvini. Dans cette configuration, si le M5S était arithmétiquement dominant, c'était Matteo Salvini qui politiquement dominait au point d'inverser le rapport des forces dans les sondages.

Une nouvelle crise politique a conduit le M5S à changer radicalement de coalition en rejetant la Ligue dans l'opposition et en faisant alliance avec le Parti démocrate, toujours sous la direction de Giuseppe Conte. Cet attelage s'est poursuivi jusqu'en février 2021 où une nouvelle crise a amené la classe politique à former le 13 février 2021 un gouvernement de techniciens sous la présidence du très rassurant Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), soutenu par tous les partis parlementaires, sauf Frères d'Italie.



En juillet 2022, une nouvelle crise politique a été provoquée initialement par le M5S qui a voulu retirer son soutien au gouvernement pour retrouver une nouvelle virginité politique avant les élections générales prévues en 2023. Entre-temps, Giuseppe Conte avait pris la direction du M5S tandis que Luigi Di Maio avait quitté son parti pour créer le sien qui, aujourd'hui, se retrouve dans la coalition de centre gauche. Mario Draghi a obtenu un vote de confiance le 14 juillet 2022 chez les députés, mais sans le soutien du M5S. Il est allé présenter sa démission au Président Mattarella qui l'a rejetée. Mais le 21 juillet 2022 au Sénat, Mario Draghi n'a pas obtenu une majorité absolue de sénateurs votant la confiance, car la Ligue et Forza Italia ont rejoint le M5S dans l'abstention pour se refaire, eux aussi, une virginité politique.

Cette absence de majorité absolue, actée au Sénat, a conduit Sergio Mattarella à finalement accepter la nouvelle démission de Mario Draghi et à dissoudre les deux chambres. À partir de cette date, la campagne a donc cours pendant deux mois pour élire les prochains députés et sénateurs italiens.

Et dans les sondages, le parti qui s'était exclu de la coalition de techniciens de février 2021 a su capitaliser l'avantage électoral : Frères d'Italie a en effet le vent en poupe, dépassant largement les 20% d'intentions de vote (jusqu'à 25%), faisant jeu égal voire dépassant le Parti démocrate repris par l'ancien Président du Conseil Enrico Letta. À la différence énorme que le Parti démocrate a peu d'alliés permettant d'obtenir une majorité de coalition de centre gauche, tandis que FdI peut compter encore sur la Ligue et Forza Italia pour constituer une majorité (évaluée à 45% d'intentions de vote). Le parti de Silvio Berlusconi végète d'ailleurs en dessous de 10% d'intentions de vote, le M5S aurait perdu la moitié de son électorat de 2018, et le parti de Matteo Salvini a du mal à reprendre le leadership électoral de la coalition de droite.

En clair, à la veille du scrutin, l'hypothèse d'une coalition dirigée par la présidente de FdI Giorgia Meloni paraît la plus probable de toutes les hypothèses imaginables. À 45 ans, députée depuis avril 2006, Ministre pour la Jeunesse du 8 mai 2008 au 16 novembre 2011 dans le quatrième gouvernement de Silvio Berlusconi, présidente fondatrice de Frères d'Italie depuis le 19 mai 2013, Giorgia Meloni pourrait donc devenir la première femme chef du gouvernement italien. Et surtout, la première "descendante" du parti de Mussolini...

Ses mémoires ont fait un tabac éditorial au début du printemps 2022 et proche du pouvoir, elle a commencé à édulcorer ses propos en excluant toute sortie de l'Italie tant de l'Union Européenne que de la zone euro, en restant dans l'OTAN et en continuant à soutenir l'Ukraine malgré à l'origine une tentation poutinolâtre (sujet qui a tendu ses rapports avec Matteo Salvini).

N'hésitant pas à se dire aujourd'hui "de centre droit", Giorgia Meloni pourrait même séduire une grande partie des électeurs italiens qui aspirent à une renouvellement de leur classe politique. Évidemment, les observateurs politiques français surveilleront avec minutie les prochaines semaines politiques de l'Italie, qui pourrait être le précédent qui manquait à ...Marine Le Pen.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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