Le retour surprise de David Cameron

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 16 novembre 2023

« J'ai peut-être été en désaccord avec certaines décisions individuelles prise par Rishi Sunak, mais c'est un Premier Ministre fort et compétent, qui fait preuve d'un leadership exemplaire dans un moment difficile. » (David Cameron, le 13 novembre 2023).

Une petite révolution de palais a eu lieu à Londres au début de cette semaine : ce lundi 13 novembre 2023, en effet, le Premier Ministre britannique Rishi Sunak a rappelé son lointain prédécesseur David Cameron pour réintégrer le gouvernement avec le poste de Ministre des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement.

Pour preuve de l'étonnement généralisé de la classe médiatico-politique du Royaume-Uni, ce petit commentaire d'une journaliste de Sky News raconté par "Courrier international" : « Devant Downing Street, le bal des grosses cylindrées accompagne la petite musique du remaniement. Un enchaînement cohérent… jusqu’au pas de côté inattendu. Silence : David Cameron vient de poser le pied sur le bitume. Éclats de rire. "Quoi ? s’exclame la journaliste (…), alors là, je ne m’y attendais pas du tout" ! ».

À ma connaissance, il est très rare, voire sans précédent depuis la fin de la guerre, qu'un ancien Premier Ministre britannique reprenne ainsi du service dans un gouvernement au Royaume-Uni. Au contraire de la France où cela est devenu de plus en plus fréquent, de Michel Debré à Jean-Marc Ayrault, en passant par Alain Juppé et Laurent Fabius (sous la Troisième et Quatrième Républiques, c'était très fréquent). Pour la plupart (en France), ces retours sont pour les Affaires étrangères, parmi les attributions les plus prestigieuses, mais aussi les Finances et la Défense.

Expliquons très rapidement comment David Cameron est revenu. Il s'agit d'une énième crise au sein du parti conservateur. Ce parti est au pouvoir depuis treize ans, et pourtant, depuis le référendum sur le Brexit, il est très divisé, ne serait-ce que parce que ce parti s'est coupé en deux entre brexiter et remainer.

La Ministre de l'Intérieur (depuis le 6 septembre 2022) Suella Braverman, considérée comme positionnée à l'aile droite du parti conservateur (et malheureuse candidate au poste de Premier Ministre), a été démise de ses fonctions à la suite d'une provocation de trop : dans le quotidien "Times", elle avait critiqué sévèrement la police en l'accusant de partialité pour avoir autorisé la manifestation en faveur de la cause palestinienne du 11 novembre 2023 à Londres. Il y a un an, Suella Braverman avait été la cause de la démission de la Première Ministre Liz Truss ; elle avait démissionné le 19 octobre 2022 pour protester contre les promesses non tenues pour lutter contre l'immigration illégale (et aussi en raison d'un scandale, celui d'utiliser sa boîte email personnelle pour envoyer un document confidentiel), mais elle fut renommée à l'Intérieur six jours plus tard par Rishi Sunak qui avait remplacé Liz Truss entre-temps.



Pour la remplacer à l'Intérieur, Rishi Sunak a nommé James Cleverly, ancien Ministre de l'Éducation de Boris Johnson et Ministre des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement depuis le 6 septembre 2022. Pour remplacer James Cleverly, Rishi Sunak a donc appelé David Cameron, l'ancien Premier Ministre.



Ce choix est surprenant à plusieurs titres. David Cameron est un peu la cause de la confusion politique qui s'est emparée du parti conservateur depuis sept ans. À la tête du gouvernement britannique du 11 mai 2010 au 13 juillet 2016 (à 43 ans ; le plus jeune de l'histoire britannique depuis 1812, battu par Rishi Sunak de quelques mois !), grâce à la victoire des conservateurs aux élections législatives du 6 mai 2010, David Cameron a été réélu à la suite de sa victoire aux élections législatives suivantes du 7 mai 2015. Pour maintenir l'unité de son parti, il s'était engagé à organiser un référendum sur le Brexit ou le Remain (maintien du Royaume-Uni dans l'Union Européenne).

Cette promesse était une pirouette électorale pour se maintenir au pouvoir en préservant l'unité de son parti (très divisé sur la question) et, partisan du Remain, il n'imaginait pas un oui à ce référendum. Rishi Sunak, comme Boris Johnson, a voté pour le Brexit. Finalement, lors du référendum du 23 juin 2016, une courte majorité a dit oui au Brexit... et donc non à David Cameron qui a démissionné le 13 juillet 2016, laissant à Theresa May la mission impossible de traduire cette volonté populaire du Brexit dans les faits.

En quelque sorte, la légèreté et l'irresponsabilité de David Cameron sont la cause d'une demie décennie d'immobilisme européen en forçant les Européens à perdre un temps fou dans des négociations de départ des Britanniques. C'est donc étrange qu'il soit ainsi nommé à la tête de la diplomatie britannique alors qu'il s'est complètement discrédité en 2016. Cité par "The Guardian", une source européenne a expliqué : « Les gens se souviennent de lui comme de l'homme qui a provoqué le Brexit pour sauver son propre gouvernement. Je pense qu'aux yeux des Européens, il est tellement discrédité que personne ne voudra traiter avec lui, ce qu'ils devront quand même faire évidemment. ».



Sa nomination n'a peut-être pas pour mission de renforcer les liens de la Grande-Bretagne avec l'Europe, mais plutôt de gérer les crises en Ukraine et au Proche-Orient. Lors de son passage au 10 Dowing street, David Cameron avait condamné fermement les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie et critiqué le blocus contre Gaza en 2010, mais s'était qualifié d'ami solide d'Israël. Sa mission serait aussi de maintenir de bonnes relations avec la Chine alors que sous son gouvernement, il avait décrété l'âge d'or des relations sino-britanniques pour attirer les capitaux chinois en Grande-Bretagne. Il avait alors invité le Président chinois Xi Jinping en 2015 à Londres.

La nomination d'un ancien Premier Ministre considéré comme un conservateur modéré et proeuropéen est étonnante aussi car il pourrait faire de l'ombre à Rishi Sunak. Se posera probablement rapidement un problème de leadership par la concurrence des deux personnalités. À 57 ans, David Cameron a par ailleurs imposé de se faire nommer à la Chambre des Lords le même jour, ce qui a pour effet qu'il ne pourra s'exprimer qu'avec ses pairs, à savoir les Lords, et pas avec les membres de la Chambre des communes.

En 2018, le futur ministre fut recruté par Greensill Capital et a fait du lobbying après des gouvernements britannique et saoudien. David Cameron possédait environ 60 millions d'euros de stock options de Greensill Capital quand ce fonds d'investissement a fait faillite en 2021 à cause de la crise du covid-19. Une enquête a conclu qu'il avait respecté toutes les lois et règles d'éthique et il a ainsi été lavé de tout soupçon de malversation.

Le retour d'un poids lourd de la politique britannique au gouvernement devrait faire front aux sondages très favorables actuellement aux travaillistes. David Cameron ne jouit pas d'une forte popularité, un sondage en octobre 2023 évaluait à environ 25% les opinions positives et 45% les opinions défavorables. Les prochaines élections législatives auront lieu dans un an (au plus tard en janvier 2025).

Pour Rishi Sunak, la nomination de David Cameron lui permettra de se concentrer surtout sur les sujets économiques et sociaux pendant que son ministre très expérimenté sera focalisé sur les relations internationales. Ce sera aussi un moyen de séduire à nouveau les électeurs modérés de plus en plus déboussolés par des conservateurs brexiters très dissipés depuis 2016.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2023)
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Pour aller plus loin :
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Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
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Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
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