Législatives en Pologne 2023 : grande victoire de l’Europe !

par Sylvain Rakotoarison
mardi 17 octobre 2023

« La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons écartés du pouvoir ! » (Donald Tusk, le 15 octobre 2023).

Ce dimanche 15 octobre 2023 ont eu lieu les élections parlementaires en Pologne, c'est-à-dire le renouvellement des deux chambres du Parlement polonais, la Diète, qui est la chambre basse composée de 460 députés, et le Sénat composé de 100 sénateurs. Ces élections étaient considérées comme les plus importantes depuis celles du 18 juin 1989, les premières élections libres depuis la fin de la guerre.

Par ailleurs, je le cite seulement car les résultats ne sont pas encore connus, un référendum quadruple, ou plutôt, quatre questions ont été soumises au référendum le même jour ce 15 octobre 2023, la première portait sur la privatisation d'entreprises publiques, la deuxième sur l'augmentation à 67 ans de l'âge légal de départ à la retraite (la France n'y est pas encore !), la troisième sur le retrait de la barrière à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie et enfin, la quatrième sur le Pacte migratoire européen.

L'enjeu de ces élections parlementaires était très important tant sur le plan intérieur que sur le plan européen. Depuis presque huit ans (depuis le 16 novembre 2015), le gouvernement polonais est dirigé par le PiS (parti Droit et Justice) qui est un parti de droite musclée (ou ultraconservateur) qui a engagé la Pologne vers la voie d'un régime "illibéral", entre autres, avec des réformes qui remettent en cause l'indépendance de la justice, ce qui fait que la Pologne est en conflit moral avec l'Union Européenne car elle ne répond plus à toutes les conditions requises pour être un État de droit, ce qui a gelé des subventions européennes.



Ce parti ultraconservateur et populiste est présidé par Jaroslaw Kaczynski (74 ans) depuis le 18 janvier 2003, ancien Premier Ministre du 14 juillet 2006 au 16 novembre 2007. Son prédécesseur à la tête du PiS était son frère jumeau Lech Kaczynski, fondateur du parti le 29 mai 2001, maire de Varsovie, qui fut élu Président de la République du 23 décembre 2005 jusqu'à sa mort accidentelle le 10 avril 2010 (il fut parmi les nombreuses victimes du crash de l'avion pour Katyn). Le PiS dirigeait effectivement le gouvernement également du 31 octobre 2005 au 16 novembre 2007. Revenu au pouvoir en 2015, l'actuel Premier Ministre (précisément Président du Conseil des ministres) est un banquier, Mateusz Morawiecki (55 ans) depuis le 11 décembre 2017, reconduit à la suite des précédentes élections parlementaires du 13 octobre 2019. Ce parti, en plus de remettre en cause les conditions élémentaires d'un État de droit, se présente comme eurosceptique. Jaroslaw Kaczynski est encore membre du gouvernement en tant que Vice-Président du Conseil des ministres (du 6 octobre 2020 au 21 juin 2022 et depuis le 21 juin 2023).

En face de lui, se dresse la Plate-forme civique (PO), parti de centre droit, libéral et pro-européen. Il est actuellement présidé par Donald Tusk (66 ans) du 1er juin 2003 au 8 novembre 2014 et depuis le 3 juillet 2021. Ce parti a été au pouvoir (et a dirigé le gouvernement) entre le 16 novembre 2007 et le 16 novembre 2015. En particulier, Donald Tusk a été le Premier Ministre du 16 novembre 2007 au 22 septembre 2014, et s'il a quitté le gouvernement polonais, c'était pour prendre des fonctions officielles dans l'Union Européenne puisqu'il a été élu Président du Conseil Européen du 1er décembre 2014 au 30 novembre 2019 par les vingt-huit membres du Conseil Européen.



Le combat était donc très clivant, à la fois politique et personnel : Jaroslaw Kaczynski vs Donald Tusk. Le PiS a d'ailleurs fait une campagne électorale très offensive pour ne pas dire très haineuse contre son adversaire. Dans les meetings, Jaroslaw Kaczynski n'hésitait pas à dire que Donald Tusk était un traître, un vendu, un antipatriote, etc. tandis que ce dernier représentait assez bien la voie européenne de la sagesse pour la Pologne. Tous les meetings de la Plate-forme civique furent perturbés par des militants du PiS.



Dans les sondages, même si le PiS et ses alliés chutaient légèrement, ils restaient en tête et l'opposition n'était pas loin derrière eux. La première surprise a été la très forte participation, puisqu'au moins 74,1% des inscrits ont pris part au vote, ce qui est plus de 12 points supplémentaire par rapport aux précédentes élections de 2019 (qui bénéficiaient déjà d'une bonne participation). Ce sursaut démocratique (sans précédent depuis 1989) s'est déroulé contre le gouvernement sortant, à l'évidence.

D'après les résultats de 99,39% des bureaux de vote, le PiS et ses alliés ont chuté de près de 8 points à 35,7% des voix et ont obtenu seulement 192 sièges à la Diète (je n'évoque que les résultats de la Diète). Son adversaire de la Plate-forme civique et ses alliés ont atteint 30,5% des voix (soit 3 points de plus) et 156 sièges. Deux autres partis d'opposition ont obtenu un score honorable : les démocrates chrétiens de la Troisième voie ont presque doublé leur audience avec 14,4% des voix (près de 6 points supplémentaires) et 76 sièges. Enfin, la coalition de gauche, si elle a perdu un tiers de son électorat avec 8,6% des voix (4 points de moins), ses 27 sièges resteront cruciaux dans le futur gouvernement. Enfin, l'extrême droite polonaise (ou considérée comme telle) s'est maintenue à 7,1% des voix et a obtenu 9 sièges. Attention : ces données pourraient donc varier un petit peu par rapport aux résultats définitifs, ce ne sont que les données provisoires.

La majorité absolue est de 231 sièges (sur 460). Le PiS, même allié avec l'extrême droite, ne disposerait que de 201 sièges, nettement insuffisant pour former un gouvernement. Tous les regards se tournent donc vers les trois formations de l'opposition qui, à trois, disposeraient de 259 sièges, ce qui donnerait une majorité très confortable. L'hypothèse d'une coalition à deux, entre PO et Troisième voie, pourrait aussi s'envisager si les résultats en sièges étaient confirmés puisque, à eux deux, ils rassembleraient 232 sièges.

Des négociations vont donc se tenir entre la Plate-forme civique, la Troisième voie et la coalition de gauche. Elles ont une grande chance d'aboutir car elles ont une vision commune pour réintégrer pleinement la Pologne dans le processus européen, déjà en interrompant la réforme judiciaire, ensuite en mobilisant les fonds européens actuellement bloqués dans l'attente de modification de la politique judiciaire.

L'ancien Président de la République (et Prix Nobel de la Paix) Lech Walesa (qui vient d'avoir 80 ans récemment, il y a deux semaines) devrait être satisfait du résultat car le fondateur du premier syndicat libre du monde communiste Solidarnosc était inquiet des dérives autoritaires du régime politique, en particulier de la réforme judiciaire.

Concrètement, la formation du gouvernement risque de mettre un peu de temps. En effet, selon la procédure, c'est le Président de la République qui nomme le Premier Ministre, à charge pour lui de trouver une majorité au Parlement dans un délai de deux semaines. En cas d'échec, c'est au Parlement de désigner lui-même le futur Premier Ministre.

L'actuel Président de la République, Andrzej Duda, issu du PiS, en fonction depuis le 6 août 2015 (élu le 24 mai 2015 et réélu le 12 juillet 2020, avec deux mois de retard à cause de la crise du covid-19), a déjà annoncé que la logique institutionnelle voudrait traditionnellement que le Premier Ministre soit désigné au sein du parti ayant reçu le plus de voix, c'est-à-dire, ici, le PiS, même s'il a peu de chance d'y trouver une majorité. Cela profitera peut-être à l'actuelle opposition pour avoir un peu plus de temps pour négocier un contrat de gouvernement.

Aujourd'hui, la probabilité est donc forte pour que Donald Tusk fasse un retour surprise à la tête du gouvernement polonais, à la grande joie et au grand soulagement de (quasiment) tous les partenaires européens de la Pologne et aussi de l'Ukraine dont la cause avait été un peu oubliée pendant la campagne électorale. Ce n'est pas rien pour la suite de l'histoire européenne, car la Pologne est le plus grand pays de l'Europe centrale et orientale, et parmi les cinq pays les plus peuplés après l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne. Beaucoup disent ainsi que la Pologne revient au bercail de l'Europe. Les Européens se réjouissent donc de ce retour.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2023)
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Pour aller plus loin :
Législatives en Pologne du 15 octobre 2023 : grande victoire de l'Europe !
Législatives en Pologne du 18 juin 1989.
Lech Walesa.
Donald Tusk.
Tragique accident d’avion près de Katyn.
Wojciech Jaruzelski.


 


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