Victoria Amelina assassinée par une terreur aveugle

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 19 juillet 2023

« C’était une longue fille qui ressemblait à son père toute en os saillants, front bombé et longue tête, chevilles de mulet. Elle montrait juste dans l’alignement des cuisses ligneuses deux fesses grosses comme le poing fermé qu’elle s’efforçait en vain de remuer avec arrogance. Son devantier aussi plat qu’un battant de porte, on ignorait encore s’il se garnirait ou pas. » ("La Maison assassinée" de Pierre Magnan).

Le mardi 27 juin 2023, l'armée russe a bombardé la ville ukrainienne de Kramatorsk, une ville industrielle de 150 000 habitants située à 75 kilomètres de Donetsk. Deux frappes de missiles balistiques avaient visé des bâtiments civils. Ce n'est pas la première fois que, depuis le début de sa tentative d'invasion de l'Ukraine il y a seize mois, l'armée russe s'en prend à des populations civiles, souvent à la manière d'un mâle mal assuré qui veut la montrer pour se rassurer.

Mais c'était la première fois depuis la tentative de putsch par Evgueni Prigojine, trois jours après son échec. La crédibilité du pouvoir de Vladimir Poutine s'est effondrée à cette occasion : le Kremlin a même rendu public le fait que Poutine avait négocié avec Prigojine le 29 juin 2023 alors que ce dernier voulait foncer sur Moscou, ce qui donne une autre idée du "pouvoir fort" que le Président de la Fédération de Russie voudrait montrer à l'extérieur. S'il était effectivement aussi fort qu'il le prétend, Poutine n'aurait pas laisser la vie sauve, la liberté et même quelques millions de dollars à son détracteur favori qu'est Prigojine (cette histoire n'est pas terminée, forcément, et aura certainement encore d'autres conséquences).

L'une des premières conséquences, hélas, c'est la population civile de l'Ukraine qui en a payé le prix fort. Poutine voulait montrer (sans convaincre) qu'il gardait toute son autorité. La cible principale a été un restaurant de Kramatorsk, une pizzeria qui accueillait 80 clients. Les explosions ont fait de nombreuses victimes : 11 personnes ont été tuées (en particulier deux sœurs jumelles de 14 ans et une fille de 17 ans) et 61 autres ont été blessées.

La langue de bois du pouvoir russe justifiait ce bombardement par la traque d'instructeurs militaires étrangers, et assurait que son objectif a été atteint, mais personne n'est dupe puisqu'il n'y a eu aucun militaire parmi les victimes.

Malheureusement, ce genre de bombardements n'est pas le premier ni le dernier, le peuple ukrainien subit ces crimes de guerre sans discontinuer depuis seize mois. Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a violemment condamné cet attentat (car c'est un attentat, c'est du terrorisme d'État, le Kremlin veut faire régner la terreur dans la population civile ukrainienne). L'indignation internationale a pu s'exprimer, comme d'habitude, mais sans effet sur l'avenir, comme c'est le cas de Joe Biden qui a qualifié Poutine de « paria du monde entier », ou encore l'équivalent du Ministre des Affaires étrangères de l'Union Européenne, l'Espagnol Josep Borell, qui a également condamné cette attaque. Il semblerait qu'un espion aurait transmis à l'armée russe une vidéo de véhicules ukrainiens garés près du restaurant, ce qui aurait motivé les bombardements sans vérifier la réalité de la cible (supposée être des instructeurs étrangers).

Je le répète, d'autres frappes sur la population civile ont eu lieu par la suite, et c'est une sorte de manière, totalement stérile, de la part du pouvoir russe, de répondre aux humiliations qu'il a subies, un peu à l'instar des nazis qui assassinaient des prisonniers (juifs ou communistes de préférence) en représailles aux attentats de la Résistance.



Parmi les personnes blessées de ces frappes russes, l'écrivaine ukrainienne Victoria Amelina n'a pas survécu à ses blessures et est morte le samedi 1er juillet 2023 à Dniepr à l'âge de 37 ans (elle est née le 1er janvier 1986 à Lviv). Victoria Amelina mangeait avec un écrivain colombien et un ancien haut-commissaire pour la paix en Colombie qui ont survécu aux bombardements.

Auteure notamment de deux romans, Victoria Amelina était reconnue en Ukraine par plusieurs prix, membre du Pen Club et elle a même créé le festival de littérature de "New York" (Niou-Iork), qui est une ville de 10 000 habitants située à 70 kilomètres au nord de Donetsk (et aussi à 40 kilomètres au sud de Bakhmout).

Comme l'explique le site Wikipédia, dans son premier roman ("Le Syndrome de l'automne ou Homo Compatiens") publié en 2015, Victoria Amelina évoquait la révolution égyptienne de 2011 et la révolution ukrainienne de 2014. Son second roman ("Le Royaume Idéal de Dom" publié en 2017) raconte l'histoire de Lviv par les yeux du chien d'une maison qui accueille de nouveaux locataires. Elle a aussi publié en 2016 un livre pour enfants ("N'importe qui, ou Cœur d'Eau").



Après le début de l'agression russe en Ukraine, Victoria Amelina a délaissé tous ses projets et s'est attelée à suivre les événements comme une correspondante de guerre, en allant sur le front pour s'occuper des enfants et surtout, en instruisant tous les crimes de guerre commis par l'armée russe, en particulier près d'Izioum, une ville de 50 000 habitants à 120 kilomètres de Kharkiv. Izioum avait été conquise par l'armée russe le 1er avril 2022, mais reprise par l'armée ukrainienne le 10 septembre 2022, et cinq jours plus tard, un charnier de 447 corps y a été découvert, dont une trentaine de corps ont montré des signes de torture (corps émasculés, corde autour du cou et mains liées dans le dos, membres brisés, etc.). Parmi les victimes, il y avait 22 militaires et 5 enfants (et parmi les civils, 194 femmes).



Le témoignage du gouverneur de la région de Kharkiv, Oleh Synyehubov, le 15 septembre 2022, est accablant : « Parmi les corps qui ont été exhumés aujourd'hui, 99% présentaient des signes de mort violente. Il y a plusieurs corps avec les mains liées dans le dos et une personne est enterrée avec une corde autour du cou. De toute évidence, ces personnes ont été torturées et exécutées. Il y a aussi des enfants parmi les enterrés. ». D'autres charniers ont été découverts faisant état du massacre de centaines d'autres victimes, mais n'ont pas été mis à jour en raison du grand nombre de mines anti-personnelles que le terrain recèle.

L'histoire de l'Ukraine me fait penser un peu, pour certains côtés, à "La Maison assassinée" de Pierre Magnan : « Dans les champs à travailler, on ne rencontrait que veuves en grand deuil pauvre qui se confondaient sur les lointains avec des arbres calcinés ; enfants de noir vêtus ; aïeuls tristes, le nœud de crêpe à la casquette, qui labouraient, bien que ce ne fût plus de leur âge, poussant exténués la charrue devant eux, n'osant plus engueuler les chevaux qu'à voix basse. ».

Victoria Amelina s'était investie de cette mission essentielle de l'écrivain, la mission mémorielle. Elle voulait retracer cette mémoire de son peuple pour laisser des traces pour l'avenir. Et probablement aussi pour permettre des condamnations lorsque le temps des procès sera venu. Mais elle n'aura pas eu le temps d'envisager de les suivre, victime innocente, une parmi des centaines de milliers d'autres, d'une guerre anachronique dont Poutine est le seul responsable.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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