Mariage homosexuel : En Guadeloupe, l’égalité doit encore convaincre

par David Auerbach Chiffrin
mercredi 3 août 2011

 « Le mariage des pédés ? Et puis quoi encore ! Qu’ils aillent faire leurs cochonneries en privé, qu’ils fassent leur porcherie de pédés ailleurs ! » Tels sont les propos fleuris qu’une auditrice de Radio Caraïbes International (RCI) tenait lundi 20 juin en Guadeloupe, au cours de l’émission « Le Bik Afternoon » animée par Judith Symphorien.

Rivière-Pilote - Pointe-à-Pitre,
mardi 28 juin / lundi 1er août 2011

 « Leurs porcheries de pédés »

 Profondément choquée, une seconde auditrice, lesbienne de son état, que nous appellerons Marlène, s’est rapprochée par courriel, le lendemain, de l’association Tjenbé Rèd Prévention : « Bonsoir, c’est un ami qui m’a laissé vos coordonnées et m’a décidé à vous écrire... Hier, j’ai soudain prêté l’oreille... La Guadeloupe est de plus en plus homophobe ces dernières années et maintenant les radios passent ce genre de message ! J’en suis encore dégoûtée et n’ai plus envie de parler depuis hier ! Je vous donne l’info si ce genre de choses vous intéresse encore ! Je ne sais pas si vous pouvez télécharger l’émission ou pas, cette radio je ne l’écouterai plus de toute façon. Mon île me dégoûte... »

 Les propos de la première auditrice appellent plusieurs commentaires. D’abord, c’est Marlène qui les a entendus, pas Tjenbé Rèd Prévention. En effet, cette association de prévention des racismes, des homophobies & du sida issue des communautés afro-caribéennes n’a pas de bénévole en Guadeloupe, où elle mène parfois cependant quelques actions (en août dernier encore) : elle est surtout active au sein de la communauté afro-caribéenne dans l’Hexagone (« en métropole », comme on disait au temps des colonies). Ensuite, c’est pourtant à cette association que Marlène s’est adressée, pas à celles qui luttent en permanence sur place contre les homophobies. Il en existe en effet, qui font avec courage un excellent travail, comme Rainbow Gwada ou Paroles autour de la santé : le plaidoyer reste ainsi une dimension qu’elles pourraient développer. Enfin, Marlène est réellement choquée : elle ne peut plus parler depuis la veille et semble rejeter son île natale (qui la « dégoûte ») voire, paradoxalement, les associations qu’elle appelle pourtant à son secours (puisqu’elle doute que « ce genre de choses » les « intéresse encore »).

 Pour en en venir aux propos considérés, ils sont indubitablement choquants puisqu’ils comparent une catégorie d’être humains (d’ailleurs désignés par une insulte générique : « les pédés ») à des animaux - et quels animaux ! Des porcs, qui transformeraient tout ce qu’ils touchent en « porcherie », y compris sans doute leurs sentiments, leur vie privée, leur intimité. De façon générale, ce type de propos peut avoir des effets dévastateurs auprès d’un jeune public LGBT (lesbien, gai, bi & trans), encore en structuration psychologique, et le conduire à la haine de soi, à la prise de risque face au sida ou au suicide. Pour autant, dans le cas présent, notons une forme de modération dans le propos, qui ne doit pas être sous-estimée : aussi choquante que soit la première auditrice (aussi choquée soit-elle d’ailleurs également), elle admet néanmoins une certaine légitimité aux orientations sexuelles minoritaires, elle ne les rejette pas de façon absolue, elle demande simplement - en des termes inacceptables - à ne pas les voir. La nuance est étroite mais pas nulle puisque de nombreuses autres personnes ne la font pas.

 Les effets dévastateurs du makrélage et des insultes

 Tjenbé Rèd Prévention a saisi la détresse de Marlène et approché Judith Symphorien, qui a bien voulu proposer à l’association de réagir à ces propos et de répondre aux questions du public au cours de son émission. Auparavant, Mme Symphorien a exposé le principe de son émission, qui est d’offrir une libre antenne aux différents points de vue : l’association est convenue de l’utilité d’une telle émission, rappelant cependant l’obligation légale de maîtrise de son antenne qui incombe à tout média (sauf à la Chaîne parlementaire ?), notamment au regard de la loi contre les propos homophobes. Mme Symphorien s’est également étonnée de ne pas avoir reçu d’autre appel en réaction à celui du 20 juin : l’association a rappelé la terreur d’être identifié/e qui est celle des personnes LGBT en Guadeloupe ou plus largement parmi les populations ultramarines. Appeler RCI, s’exprimer avec sa voix, c’est courir le risque d’être reconnu/e par des collègues de travail ou par des voisin/e/s, par la famille, par des ami/e/s. C’est s’exposer - et sa famille avec soi - à une spécialité antillaise bien connue, pas la plus sympathique : le makrélage, dont un récent ouvrage de Jean-Claude Janvier-Modeste, « Un fils différent » (paru aux éditions L’Harmattan), montre bien les conséquences ravageuses qu’il peut avoir au quotidien.

 Dans ces circonstances, le 27 juin, l’association annonce son passage à l’antenne et reçoit le second courriel suivant d’un autre Guadeloupéen, que nous appellerons Gabriel : « L’impulsion des élus est primordiale, ils fixent des cadres et proposent des chemins à la société. À ce titre, il serait intéressant de se pencher sur les positionnements de nos représentants dans la lutte contre les racismes, les homophobies et le sida... Tous les médias ont rapporté que l’ensemble de la gauche avait voté en faveur de la proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, le 14 juin dernier. C’est une erreur : le détail des votes des députés est instructif, notamment outre-mer, et particulièrement désolant en Guadeloupe et en Martinique. Parmi les quinze députés domiens, onze sont classés à gauche dont six ont déserté le vote. Plus de la moitié ! Dont Lurel et Letchimy... Quelle évolution des mentalités peut-on espérer lorsque de premiers d’entre-nous esquivent - encore et toujours - le sujet de l’homosexualité et préfèrent fuir l’hémicycle ? Voici le détail. Guadeloupe : Victorin Lurel : n’a pas voté ; Éric Jalton : pour ; Jeanny Marc : abstention ; Gabrielle Louis-Carabin : contre. Martinique : Serge Letchimy : n’a pas voté ; Louis-Joseph Manscour : n’a pas voté ; Alfred Marie-Jeanne : n’a pas voté ; Alfred Almont : contre. Guyane : Chantal Berthelot : n’a pas voté ; Christiane Taubira : pour. La Réunion : Hugette Bello : n’a pas voté ; Jean-Claude Fruteau : pour ; Patrick Lebreton : pour ; Jacqueline Farreyrol : pour ; René-Paul Victoria : contre. »

 Mardi 28 juin, Tjenbé Rèd Prévention bénéficie de l’hospitalité de RCI et de la gentillesse de Judith Symphorien qui lui permettent de dialoguer une heure durant avec leurs auditrices et auditeurs.

 « Il y a des enfants cafres, il y aura des enfants pédés »

 La première à s’exprimer a parlé du mariage homosexuel : « C’est une aberration. On prend les enfants comme monnaie d’échange. Il y a des enfants cafres [métis], il y aura des enfants pédés. Les enfants ont besoin d’une mère et d’un père. Ce sont ces deux êtres qui ont fait un enfant. Pas de mariage de pédés car ça entraînera tout de suite l’adoption. » La deuxième, Catherine, s’est exprimée sur l’exemplarité supposée de l’homosexualité sur l’enfant élevé par un couple homosexuel : « L’enfant va voir des attouchements pédophiles à mon domicile et va prendre exemple de ce qu’il a chez lui ! Les homosexuels recherchent du vice. Les politiques sont des hypocrites. » Un troisième auditeur a rappelé que selon la Bible, « Dieu a pris une côte pour créer la femme et un sexe d’homme est fait pour un sexe de femme ». Enfin, un quatrième auditeur a annoncé que « le jour où le mariage homosexuel se fait, je divorce ! » Une cinquième auditrice a cependant estimé que le mariage homosexuel n’était pas un problème pour elle.

 Ces réponses disent beaucoup sur le besoin de dialogue qui existe entre nos compatriotes ultramarins hétérosexuels et LGBT, afin d’éviter les amalgames et de répondre aux préjugés.

 Un premier amalgame se fait entre la question du mariage et celle de l’homoparentalité. Les deux sont pourtant distinctes, la majorité des naissances se produisant aujourd’hui en France hors mariage. Élargir le mariage aux couples de même sexe - ce qui était le sujet initial de l’intervention diffusée le 20 juin - est d’abord une question d’égalité des droits, de liberté, de respect de chaque personne humaine. Un point commun peut d’ailleurs être observé avec l’esclavage ou la répression du culte protestant car esclaves et protestant/e/s se voyaient interdit/e/s de mariage en même temps que d’état civil.

 L’oubli récurrent de la bisexualité



 Un autre amalgame se fait entre l’adoption par un couple homosexuel et l’éducation, par un couple homosexuel, d’enfant biologique de l’un des membres de ce couple. Cet amalgame vient de la confusion entre homosexualité et stérilité et de l’oubli récurrent de la bisexualité - qu’elle soit étalée dans le temps (c’est le cas de personnes ayant par exemple d’abord une phase hétérosexuelle puis une phase homosexuelle dans leur vie) ou dans l’espace (c’est le cas de personnes alternant les partenaires masculins ou féminins au cours de leur vie). Ainsi, des hommes et des femmes peuvent se marier ou s’établir en couple hétérosexuel, avoir des enfants, puis révéler une homosexualité qu’ils ou elles auront réprimée en vain jusque là. Cette révélation est toujours douloureuse pour le partenaire hétérosexuel qui s’estime parfois trahi mais le dialogue et la compréhension peuvent aussi permettre de passer le cap, dans le respect des partenaires et dans le meilleur intérêt des enfants.

 Un troisième amalgame se fait entre pédophilie et homosexualité. La première est pourtant fondée sur le viol, le plus souvent hétérosexuel, d’un enfant par un adulte, alors que la seconde est une relation consentante entre adultes ou entre jeunes.

 Quant aux préjugés, le premier évoqué ici est celui de l’exemplarité, pour ne pas dire la contagiosité, de l’homosexualité. Il y aurait de plus en plus de personnes LBGT dans les rues... Les enfants seraient de plus en plus LGBT parce qu’ils en verraient de plus en plus... Ce préjugé est déconstruit par les études sociologiques qui démontrent au contraire que le pourcentage de personnes homosexuelles ou bisexuelles est à peu près constant à travers les âges et les cultures (environ cinq pour cent).

 Cinq pour cent de personnes LGBT

 Un autre préjugé est celui selon lequel les couples homosexuels seraient de mauvais parents. De nouveau, ce préjugé est contredit par les études sociologiques qui démontrent qu’ils sont au contraire des parents comme les autres et que leurs enfants ne sont pas spécialement perturbé/e/s et ne sont ni plus ni moins homosexuel/le/s ou bisexuel/le/s que la moyenne (toujours environ cinq pour cent). Certains témoignages évoquent même, paradoxalement, le choc éprouvé par les parents homosexuels qui apprennent l’homosexualité de leur enfant !

 Un troisième préjugé est celui selon lequel les personnes LGBT seraient motivées par « le vice », par la recherche du plaisir sexuel. C’est une réalité indiscutable pour certaines d’entre elles, parfois très démonstratives, pour autant s’agit-il vraiment d’une généralité ou d’une exclusivité LGBT ? Qui n’a pas un collègue, un parent ou un voisin parfaitement hétérosexuel qui multiplie les aventures et les récits ?

 Ainsi, sur cinq auditeurs et auditrices, l’une a défendu l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et quatre s’y sont opposé/e/s dont l’un a même annoncé qu’il divorcerait plutôt que de rester marié à sa femme si une telle ouverture se faisait ! Singulier réflexe de macho qui ne songerait pas à demander l’avis de sa femme...

 Réflexe de macho


 Marlène écrivait de nouveau, le lendemain 29 juin, à Tjenbé Rèd Prévention : « J’ai écouté avec attention votre excellente intervention hier sur RCI qui me réconcilie avec la lutte contre l’homophobie en Guadeloupe que je croyais morte depuis longtemps. Malheureusement vivant ici, je constate chaque jour que la relève générationnelle par les jeunes est bien souvent aussi homophobe voire plus que les parents. Espérons qu’un jour, si la Guadeloupe survit aux coups donnés par les indépendantistes, les homos ne seront pas chassés du territoire ou jetés à la mer comme l’avait dit Marie-Jeanne en Martinique il y a quelques années. Quant à nos élus, je n’ai pas de commentaires, nous savons ce qu’ils valent et ce qu’ils veulent ! Merci de votre intervention. »

 On le voit, Gabriel et Marlène interpellent fortement, parfois sans vraiment avancer de justification, les élus locaux. Il est vrai qu’il appartient à ces derniers de se positionner, comme Serge Letchimy a bien voulu le faire, voici déjà trois ans, en préfaçant le rapport 2007 de Tjenbé Rèd Prévention. Laissons-lui le dernier mot avec l’extrait suivant de sa préface : « Défendre le droit des personnes à vivre dignement leur sexualité dans le respect des préférences de chacun, sans avoir à subir sarcasmes, agressions ou exils, sans avoir à se cacher ou à se renier, n’implique pas de faire l’apologie de l’homosexualité mais simplement d’avoir le courage de s’opposer aux clichés et aux stigmates qui réduisent des individus, comme ailleurs les personnes de couleur ou de religion différentes de celles de la majorité, à quelques stéréotypes grossiers et caricaturaux. »

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David Auerbach Chiffrin,
porte-parole de Tjenbé Rèd Prévention
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Max Melin,
président d’Entraide Gwadloup’
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Jean-Jacob Bicep,
vice-président de l’Amédom (Association métropolitaine des élu/e/s originaires des départements d’outre-mer),
adjoint au maire du XXème arrondissement de Paris
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Texte publié le 1er août 2011 sur le blog du correspondant de France-Antilles à Paris :
http://www.fxgpariscaraibe.com/article-le-mariage-gay-tribune-de-tjenbe-red-et-entraide-gwadloup-79980702.html

[1] 27 juin 2011 - Tjenbé Rèd Prévention sur RCI Guadeloupe au sujet du mariage homosexuel - Communiqué de presse n°TRP2011-06
http://www.tjenbered.fr/2011/20110623-00.pdf [fr]
http://www.tjenbered.fr/2011/20110623-09.pdf [en]
http://gaygwada.meilleurforum.com/t325-demain-sur-rci [fr]
http://www.actuguadeloupe.com/ [fr]
http://france.123news.org/ [fr]
http://www.lepost.fr/ [fr]

[2] 8 juillet 2011 - Jean-Claude Janvier-Modeste demain sur France Inter : « Un fils différent », un fils martiniquais - Communiqué de presse n°TRF2011-06B
http://www.tjenbered.fr/2011/20110708-00.pdf [fr]
http://www.lepost.fr/ [fr]

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