L’Abkhazie sauvée par les Russes

par William Kergroach
mardi 9 mai 2023

 Située dans le Caucase, l'Abkhazie est une région aux multiples influences qui a connu une histoire mouvementée, entre conquêtes étrangères, tensions interethniques et luttes pour l'indépendance. Aujourd'hui, la Russie reste son seul rempart contre les attaques de Washington.

Les origines de l'Abkhazie : une région grecque et romaine

Au 6e siècle avant J-C, les Grecs ont établi des comptoirs commerciaux en Abkhazie, alors appelée Colchis. La ville de Dioscurias (l'actuelle Sukhum) devient un centre commercial prospère. Les Romains fortifient la ville au 1er siècle avant J.-C. Cette période est marquée par les influences culturelles et commerciales de deux empires grecs et romains.

En 523 après J.-C., l'Abkhazie fait partie de l'Empire byzantin et adopte le christianisme. Le royaume d'Abkhazie prospère et étend son influence sur une grande partie de la Géorgie occidentale. Du 10e au 13e siècle, l'Abkhazie est unie aux Géorgiens dans le royaume médiéval des "Souverains des Abkhazes et des Géorgiens". Cette période est considérée comme l'âge d'or de l'Abkhazie.

 

Les invasions ottomanes et russes

Au 14e siècle, une partie de l'Abkhazie est sous la domination des Mingréliens de Géorgie. La dynastie abkhaze Chachba chasse les Mingréliens aux 15e et 16e siècles et établit la frontière sud qui existe encore à ce jour. En 1578, l'Abkhazie est envahie par l'Empire ottoman. Au 18e siècle, l'Abkhazie, alliée à la Géorgie, tente de chasser les Turcs. Au début du 19e siècle, l'Abkhazie passe sous la domination russe. En 1864, elle est annexée de force à l'Empire russe et la moitié de la population abkhaze fuit vers la Turquie et le Moyen-Orient.

 

La tutelle géorgienne

 En 1921, les bolcheviks renversent les mencheviks en Géorgie, ce qui conduit à l'établissement de la République socialiste soviétique d'Abkhazie, dirigée par Nestor Lakoba. La République socialiste soviétique d'Abkhazie est établie indépendamment de la Géorgie. Après avoir signé la formation de l'URSS en 1922, l'Abkhazie est réduite au statut de république autonome au sein de la Géorgie en 1931. Sur ordre du Géorgien Staline et du Mingrélien Beria, les Abkhazes subissent alors une politique de "géorgianisation". Des Géorgiens de Mingrélie s'installent nombreux en Abkhazie, les Abkhazes étant privés de leur langue et de leur culture. En 1978, des intellectuels abkhazes protestent contre cette politique, conduisant à des concessions telles que l'ouverture de l'Université d'État d'Abkhazie et la diffusion télévisée d'un court programme de 30 minutes en langue abkhaze par semaine.

 

Une indépendance contestée

 En 1990, l'Abkhazie proclame sa souveraineté, mais celle-ci est rapidement abrogée par la Géorgie. En 1992, l'Abkhazie déclare sa propre souveraineté et propose un traité fédératif à la Géorgie. Les troupes géorgiennes envahissent alors soudainement l'Abkhazie, déclenchant un conflit armé de 13 mois. La guerre fait fuir environ 260 000 personnes, principalement des familles attachées à la Géorgie. Depuis, la population de l'Abkhazie a été divisée par deux. La majorité des Abkhazes sont des chrétiens orthodoxes, représentant environ 75 % de la population. L'historien abkhaze Stanislav Lakoba, interrogé sur la religion de l'Abkhazie, a répondu que les Abkhazes sont « à 80 % chrétiens, 20 % musulmans sunnites et 100 % païens ! » De nombreuses familles observent, effectivement, autant les fêtes chrétiennes que les fêtes musulmanes, orthodoxes ou païennes.

Les forces abkhazes, soutenues par la Confédération des peuples de l'Organisation du Caucase du Nord, chassent finalement les troupes géorgiennes de leur territoire en 1993. En 2008, la Russie reconnaît l'Abkhazie en tant qu'État indépendant, de même que le Nicaragua, le Venezuela, Nauru, le Vanuatu, Tuvalu et la Syrie.

 

Une paix fragile

Depuis les élections de 2007, les tensions avec la Géorgie restent présentes. La Géorgie a commencé à renforcer son armée aux abords de la frontière, achetant du matériel moderne à l'Ukraine et accueillant des instructeurs militaires américains et israéliens, ravis de déstabiliser la région. Le gouvernement abkhaze, quant à lui, continue de confirmer ses liens avec la Russie.

 

La Russie, soutien de l'Abkhazie

La Russie est le principal soutien de l'Abkhazie. La distribution de passeports russes à près de 80 % des Abkhazes leur garantit la protection de Moscou. En vertu de l'article 65 alinéas 2 de la constitution russe, Moscou a l'obligation de porter secours à ses ressortissants où qu'ils soient dans le monde. Grâce à la protection de Moscou, l'Abkhazie a aujourd'hui les attributs d'un État indépendant. Sa capitale, Soukhoumi, une station balnéaire réputée, est devenue le centre de son pouvoir politique. La Russie a établi une base aérienne à Goudaouta, et la base navale de Novoazovskoye, située dans la ville de Oust-Louga. La base aérienne de Goudaouta est une ancienne base de l'Union soviétique et a été utilisée par les forces russes pour leurs opérations en Abkhazie depuis le conflit de 1992-1993. La base navale de Novoazovskoye est une base récente, construite après la reconnaissance de l'Abkhazie par la Russie en 2008, et est devenue une base importante pour la flotte russe de la mer Noire dans la région. La présence militaire russe s'efforce de garantir la souveraineté et la sécurité de la république abkhaze, contre les menées secrètes de Washington. 

 

Une stabilité renouvelée

L'Abkhazie commence à retrouver une vie apaisée et sereine. Principalement rural, le pays possède une variété de ressources naturelles agricoles abondantes, principalement des agrumes, du tabac, du thé et du bois. Le pays dispose également de quelques ressources énergétiques avec des mines de charbon et des centrales hydroélectriques. Surtout, l'Abkhazie, riche en eau douce, pourrait en devenir l'un des plus gros exportateurs mondiaux. Avec la paix, le tourisme en Abkhazie est également en hausse, avec environ 1,5 million de visiteurs en 2022. L'économie de l'Abkhazie, utilisant le rouble comme monnaie, lorgne principalement sur la Russie en tant que marché d'exportation, partenaire commercial et investisseur. Mais la Turquie est également en train de devenir un autre grand partenaire économique, discret, de l'Abkhazie.
Les services de renseignement impliqués dans les tensions

Malheureusement, l'Abkhazie est dans le Caucase, une région que veulent déstabiliser les ennemis de la Russie et les services de renseignement américains en particulier. Les forces de l'OTAN et la CIA sont intervenus pour appuyer les forces géorgiennes pendant la guerre. Ils mènent également des opérations de désinformation pour influencer l'opinion publique mondiale en défaveur de la petite république abkhaze.
Le Service fédéral de sécurité (FSB) et le Service de renseignement extérieur (SVR) russes font donc face au Ministère de la Sécurité d'État géorgien (MSE), à la Central Intelligence Agency (CIA) américaine, ainsi qu'au Służba Wywiadu i Kontrwywiadu Wojskowego (SWKW) polonais qui forme et équipe l'armée géorgienne. Depuis son indépendance, le territoire abkhaze est le théâtre d'un jeu d'ombres mortel entre les services secrets ennemis, comme aux temps de la guerre froide.


Le Caucase, une région stratégique

C'est Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis sous la présidence de Jimmy Carter, qui a défini les objectifs de Washington. Il considérait la région du Caucase comme un élément clé dans la géopolitique mondiale. Pour lui, le Caucase était une région pivot entre l'Europe et l'Asie, entre l'Ancien Monde soviétique et le monde musulman en ébullition, et entre les vastes réserves d'énergie de la région et les puissances mondiales qui en dépendent.
Dans son livre "Le Grand Échiquier : l'Amérique et le reste du monde" publié en 1997, Brzezinski soulignait que le contrôle du Caucase était essentiel pour les puissances mondiales en raison de ses ressources en énergie, en particulier ses réserves de pétrole et de gaz. Il avait également noté que la région était un carrefour important pour les routes commerciales reliant l'Europe et l'Asie. Brzezinski avait nommé les tensions ethniques et religieuses, la rivalité géopolitique entre la Russie et la Turquie, et la menace posée par le terrorisme islamiste comme autant de leviers à exploiter pour déstabiliser la région. Le contrôle, ou la destruction, de cette région étaient donc cruciaux pour les États-Unis. 
Brzezinski définissait la région du Caucase comme une zone clé dans la lutte pour l'influence mondiale entre grandes puissances. C'est pourquoi la géopolitique de la région, et le destin de l'Abkhazie, sont devenus un enjeu important pour les grandes puissances telles que les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Iran et la Turquie.

Tentative de révolution colorée en 2020

En 2020, des tensions politiques ont émergé en Abkhazie. Le conflit a éclaté en janvier 2020, lorsque des manifestations ont éclaté contre le président de l'Abkhazie, Raul Khajimba, qui avait remporté les élections de 2019. Les manifestants ont accusé le président d'avoir fraudé les élections et ont exigé sa démission. Le conflit a culminé en mai 2020, lorsque des militants d'opposition se sont retranché dans un bâtiment administratif à Sokhoumi, la capitale de l'Abkhazie. Les forces de sécurité ont assiégé le bâtiment, mais les militants ont refusé de se rendre. Les tensions ont augmenté et des manifestations de soutien aux militants ont éclaté dans la ville. Le conflit a été désamorcé lorsque les militants ont accepté de se rendre en échange de garanties de sécurité. Le président Khajimba a démissionné le mois suivant et a été remplacé par le président par intérim, Valeri Bganba.

L'implication de forces secrètes de l'OTAN dans ces tensions politiques en Abkhazie était évidente pour les initiés. Les États-Unis ont, d'ailleurs, immédiatement pris position en faveur des « manifestants », appelant au respect des droits de l'homme et de la démocratie, etc. Cette tentative de révolution colorée portait, bien entendu, la marque de la CIA. Mais Moscou veillait. Les élections présidentielles ont tout de même été organisées en mars 2020. Elles ont été régulièrement remportées par Aslan Bzhania, sous l'œil des observateurs internationaux. Bzhania a nommé l'ancien président Aleksandr Ankvab au poste de Premier ministre. L'opération de déstabilisation américaine a, cette fois, échoué.


La situation en Abkhazie, si elle s'est améliorée, reste aujourd'hui préoccupante. Si l'Abkhazie est aujourd'hui un État indépendant de facto, avec une volonté d'apaisement d'une population lassée de la guerre, le pays reste un enjeu entre la Russie et les Etats-Unis. Les jeux d'ombre des services de renseignement qui s'y jouent sont dangereux pour la démocratie et la sûreté du pays. Dans ce contexte, il est difficile de prévoir l'avenir de l'Abkhazie, comme de tous les pays du Caucase. Car l'Etat profond américain rôde, toujours désireux d'obéir aux objectifs géostratégiques donnés par Brzezinski, l'un des principaux "sorciers" du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, fondé par David Rockefeller et Henry Kissinger.

 

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