À Petit Pierre

par C’est Nabum
jeudi 29 mai 2025

 

Et à tous les autres

 

J'sons né dans un p'tiot bourg, tout à cont'l'église, sans pour autant qu'un ange se soit penché sur mon berceau. Ben vit' mon entourage ça rendu compte que j'croissions point comme un gamin ordinaire. Ma mère en avait ben d'la misère tandis qu'l 'père m'a vite tourné l'dos. C'était pas moi qu'allait prendre sa suite, tout emberné qu'j'étions d'mes dix doigts et parfois d'mon cerviau. Mon entourage n'avait d'cesse que d'm'agonir de crasses, j'étions leur souffre-douleur à c't'engence de malheur. Ma mauvaise mine allait de paire avec ma jugeote qui brancille, point Marcou en tout mais Berlaudiot pour de bon.

C'est du moins c'qui s'ont longtemps dit en parlant toujours d'travers à mon propos. J'en avions cure vu j'avions tou'l'temps de me berlacer et d'observer ce monde qui s'armue pour gagner sa croûte en faisant tant de simagrées qu'en c'était une'honte. Libre comme l'air, j'avons pris coutume de ne point d'courber devant les importants, les gros et les plein aux as. C'est vers les presque rien qu'allions mes pensées aimables, moi qui étais un moins que rien. Mais jamais ô grand jamais j'allions mettre dans l'embarras pour le moindre ouvrage, je prenions la vie du côté qui n'demande pas d'peine …

Quand au dimanche tout'c'monde se pressait à l'office en rangs d’oignons après avoir pouillé leurs biaux habits, moi, j'allions courir la lande loin d'leurs génuflexions de pacotille. Loin d’empuantir comme eux zotres, j'm'débarbouillais dans l'ruisseau avant d'y récurer tout'l'reste pour ne point être agacé par mes propres effluves, tandis qu'eux empestaient l'étable et le lait caillé. J'avions ben plus de dignité qu'ils le supposaient avec leur face de carême. Et leur odeur de sainteté.

Puis la messe achevée, ils se démenaient comme de beaux diables, à lever le coude pour moult prétextes et tenir des propos lestes et malvenus aux jeunes filles jusqu'à finir fin saouls à souffler dans un chalumeau, à dégueuler leur trop plein avant de s'écrouler dans les bouchetures. J'avons jamais eu le nez qui m'pique et la tête qui m'tourne contrairement à ces amuses bouchons et j'avons jamais soulevé un jupon par malice ou par vice sans en avoir permission. Berlaud peut-être mais point salopiot.

Ben sûr, pour la bagatelle, j'étions toujours d'la r'vue. Avec ma mine, ma bosse et mon pieds bot, les donzelles tournaient les talons et s'ensauvaient ben vite. Même que si j'leur avons jamais fait d'mal, elles m'agonisaient de vilains propos, me montraient du doigt en me fuyant comme la peste. Alors pour l'amour, j'avons d'autre manière de m'en occuper tout seul, d'me pogner le cœur gros et l'âme en peine.

Sans qu'ils en sachent rien autant qu'ils sont, pour épancher mes souffrances et mes rancunes, je glissons sur le papier queques vers qu'j'tourne à ma façon. Mes mots sont sans doute tout de travers, j'étions point allé ben longtemps à la communale mais ça n'empêche pas qu'j'y mets du sentiment et des pensées ben troussées. Mais pour eux autres, un poète c'est un gars qu'a une bonne mine et l'intruction

Alors quand viendra l'temps de m'conduire aux champ d'naviot, faudra point qu'ils me fassent des simagrées et des propos oiseux pas plus qu'leurs maudites prières. M'ont toujours traité comme un chien ou ben pire., Qu'i m'mettent donc en terre pareillement, sans la moindre pierre. Les ronces et la friche me rendront hommages tandis qu'ils iront au diable ben avant moi.

Ben plus tard, lors des veillées, ils auront souvenance du gars du charrons, celui qu'était tout bancal et point toute sa tête. Ils dégoiseront de belles sornettes à mon propos, n'd’cessant jamais de m'noircir plus que nécessaire. D'leur langue de vipère, ils pourront rien y faire, leurs vilenies auront beau faire, je continuerai d'le emmarder ben plus qu'ils ne l'ont jamais fait à mon encontre. Berlaud peut être mais point idiot au point d'les croire supérieurs à moi.

Et puis, y'aura ben un baveux pour dénicher mes pauvres écritures qui en boucheront un coin à toux ceuces qu'on rien fait qu'à débiner d'mon vivant.


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