Élisabeth Borne remerciée !

par Sylvain Rakotoarison
mardi 9 janvier 2024

« Votre travail au service de notre Nation a été chaque jour exemplaire. Vous avez mis en œuvre notre projet avec le courage, l'engagement et la détermination des femmes d'État. De tout cœur, merci. » (Emmanuel Macron, le 8 janvier 2024 sur Twitter).



Ça y est, la première partie est faite, le remerciement. Ou plutôt, le congédiement de la Première Ministre Élisabeth Borne qui aura tenu près de vingt mois à Matignon, sans majorité absolue. C'est clair qu'elle n'a pas démérité, elle a même atteint en 2023 les deux objectifs fixés par Emmanuel Macron : faire adopter la réforme des retraites et faire adopter la loi Immigration (pour cette dernière, le Conseil Constitutionnel exprimera son avis le 25 janvier 2024).

Emmanuel Macron a donc accepté la démission du gouvernement d'Élisabeth Borne ce lundi 8 janvier 2024 vers 18 heures, démission qu'il lui avait lui-même demandée quelques heures auparavant au cours d'un entretien d'une heure qui n'était pas programmé dans l'agenda présidentiel. Elle devait se rendre mardi auprès des victimes des inondations dans le Pas-de-Calais, ils attendront.

Le nouveau Premier Ministre (je ne mets pas au masculin mais au neutre qui veut dire masculin ou féminin) sera en principe nommé mardi 9 janvier 2024 dans la matinée. Ce retard à l'allumage est étonnant dans la mesure où c'est le Président de la République lui-même qui a déclenché la démission d'Élisabeth Borne. Cela signifie qu'il y a des empêchements ou des problèmes de dernière minute.

D'après les bookmakers de la vie politique (on les appelle éditocrates, ceux qui seraient bien informés), Gabriel Attal serait le prochain chef du gouvernement, court-circuitant les hypothèses Sébastien Lecornu (inconnu du grand public), Julien Denormandie (inconnu du grand public), Bruno Le Maire (qui a "décliné" pendant ses vœux du 8 janvier 2024 après avoir activement pressé pour être nommé) et Richard Ferrand (qui se considère comme hors jeu après son échec dans sa circonscription en 2022).



Un changement de Premier Ministre à froid (c'est le cas de le dire), sans scrutin électoral, sans changement radical de politique, c'est plutôt rare. Élisabeth Borne aurait préféré rester un peu plus longtemps, au moins le temps de la campagne des élections européennes. Mais il y a urgence pour la majorité présidentielle, car il ne faut pas considérer ces élections perdues malgré des sondages désastreux. Mais pour s'attaquer à la fatalité, il fallait changer de Premier Ministre. C'est ce que n'avait pas fait, à tort, Jacques Chirac en 1997, alors que le sien, Alain Juppé, était usé et que Philippe Séguin, qui a plus tard voté oui au référendum du 29 mai 2005 (eh oui !), était tout prêt, tout disponible, tout attendu.



Élisabeth Borne impopulaire ? La belle affaire ! Tous les Premiers Ministres ont été impopulaires à Matignon, tous sauf deux ou trois mais cela ne leur a pas réussi : sauf Michel Rocard, Édouard Balladur et Lionel Jospin. Et l'impopularité en exercice ne présage rien de l'avenir, il suffit de voir la popularité post-Matignon de Raymond Barre, Alain Juppé ou encore Édouard Philippe pour s'en convaincre. De toute façon, de nos jours, avec les réseaux sociaux, les chaînes d'information continue, l'immédiateté des événements et des réactions qui s'enchaînent, avec un peuple plus instruit, mieux informé mais plus dépolitisé, plus indifférent, gouverner ne sera plus jamais populaire, il faut même être un dingue, un masochiste pour vouloir gouverner, d'autant plus un pays comme la France !

Élisabeth Borne a assuré l'hypertechnicité gouvernementale, et avec l'absence de majorité absolue, ce n'était pas superflu. Mais il a toujours manqué ce lien presque charnel entre la personnalité politique et le peuple. Pourquoi n'a-t-elle fait aucun meeting politique pour expliquer sa politique ? Pourquoi a-t-elle refusé de marquer son territoire, quitte à s'éloigner du Président de la République ? Elle n'a jamais fait qu'une loyale mais un peu servile collaboratrice de l'Élysée. Celle qui prend les coups mais sans prendre l'initiative. La torture assurée !



Comme c'est bizarre qu'on congédie toujours plus facilement une femme qu'un homme. Les statistiques sont dures : seulement deux femmes à Matignon (l'autre est Édith Cresson), sur les vingt-quatre premiers Premiers Ministres de la Cinquième République (8% !), et bizarrement, elles se retrouvent toutes les deux parmi les cinq Premiers Ministres les plus brefs. À quelques mois près (deux ou trois mois près), son mandat à Matignon aura duré aussi longtemps que Laurent Fabius, Jean-Marc Ayrault, Jean Castex, Pierre Messmer et même Dominique de Villepin. Cette durée n'est donc pas exceptionnellement courte, mais elle est "normale-basse". Les conditions de son éviction sont toutefois plutôt humiliantes. Qu'importe, quand on est Premier Ministre, on a du cuir en guise de peau.

Pour Élisabeth Borne, cela va changer son environnement, puisqu'elle était membre du gouvernement depuis le 17 mai 2017 (près de sept ans), ce qui est beaucoup. Quand elle a été nommée pour la première fois ministre, elle était présidente-directrice générale de la RAPT depuis le 21 mai 2015, tandis que son prédécesseur à Matignon Jean Castex fait partie de ses successeurs à la RATP, nommé à sa tête le 23 novembre 2022. Va-t-on bientôt la voir présider la SNCF ou Air France ?

En fait, on s'en moque un peu. Il est peu probable, même si ce n'est pas exclu, qu'Élisabeth Borne puisse jouer un rôle politique important dans un futur proche, comme c'est le cas avec Édouard Philippe ou même François Bayrou. C'est dommage car la classe politique a besoin de femmes d'État, et Élisabeth Borne en est devenue une, s'adaptant très bien à la complexité de notre situation politique. On peut juste espérer qu'elle a ouvert la voie à d'autres femmes pour Matignon, d'une manière moins exceptionnelle et plus ordinaire, c'est-à-dire surtout d'une manière plus régulière, et donc plus fréquente.


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Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2024)
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