Considérations technologiques
par Alain Malcolm
lundi 19 mai 2025
1. Quand les IA et leur robotique auront remplacé tous les humains l'économie s'effondrera car il n'y aura plus personne pouvant acheter leurs résultats puisqu'elles auront mis tout le monde au chômage.
2. Les IA et leur robotique produisent-elles quelque chose ? Donnent-elles de la plus-value à quoi que ce soit ? Eh bien le problème c'est que non, même si c'est a priori inaudible pour quelqu'un qui n'est pas habitué aux études économiques.
3. Pour donner de la plus-value c'est-à-dire une valeur ajoutée à quoi que ce soit, un sacrifice durée-effort-compétence est impliqué que seul les êtres humains peuvent « subir » ou disons seulement « vivre » : les machines n'éprouvent pas de sacrifice durée-effort-compétence puisque même s'il faut un certain temps pour qu'elles machinent quelque chose, même s'il faut une certaine énergie pour qu'elles machinent cette même chose et même s'il faut les avoir dotées d'un potentiel technique pour qu'elles machinent enfin cette même chose, elles ne sacrifient rien : nous seuls les y sacrifions.
4. Les machines (des plus rudimentaires jusqu'à l'IA robotique en passant par la machine à vapeur, le moteur à explosion et la chaîne de montage et tout ce que vous voudrez...)... les machines n'éprouvent pas la durée puisqu'elles ne sont la que pour la séquencer chronométriquement (le temps au sens de tempo métronomique) ;
les machines n'éprouvent pas l'effort puisqu'elles ne font qu'être alimentées en énergie (peut-être par d'autres machines d'ailleurs jusqu'à atteindre des degrés d'automation très élevés comme lorsqu'un camion citerne vient être connecté à un avion pour remplir son réservoir de kérosène après avoir été connecté à la citerne d'un cargo pour se remplir : machines de machines de machines de machines, etc. ça peut être long, comme une immense pieuvre techno-économique) ;
les machines enfin n'ont pas de compétence mais que des dotations potentielles au prisme de leurs conceptions (pas forcément par des ingénieurs ni des techniciens puisque là aussi les machines machinent déjà d'autres machines et qu'avec l'IA robotique cette dotation potentielle est démultipliée jusqu'à l'adaptation aux conditions spécifiques d'une zone ergonomique).
5. Nous atteignons des sommets dans l'automation, tout le monde a vu ce qu'il reste des hommes dans Wall-E.
6. L'automation parfaite est le but de tout machinisme. Machinisme comme mécanisme ça vient du grec mễkhos, moyen. Donc la perfection supposée à l'automation ce n'est que ça : la réalisation d'un monde de moyens, moyenné, un monde où « y'a moyen de moyenner » et même plus rien que cela : des moyens de moyenner. Un monde où l'on moyenne. Je ne sais pas si ça peut être raccordé à la médiocratie (règne de la médiocrité, moyenne en acte) selon le philosophe québécois Alain Deneault mais on s'amuse nous autres Français à chercher à prononcer à la québécoise « y'a moyen de moyenner ». C'est médiocre et ça laisse courir le machinisme mais c'est comme ça.
7. Donc les machines n'ont aucune « épreuve », aucun « éprouvement » du sacrifice durée-effort-compétence impliqué par le travail et à ce compte on peut dire qu'elles ne travaillent pas ; et donc que si elles ne travaillent pas elles ne produisent pas au sens classique ; et enfin que si elles ne produisent pas au sens classique elles ne créent pas de valeur : au contraire elles en privent les travailleurs. Parce que les machines matérialisent par elles-mêmes cette valeur générée par le sacrifice et c'est-à-dire qu'elles mortifient cette valeur, qu'elles la tuent. (Les luddites l'avaient bien compris : le luddisme fut un mouvement social anti-machinisme à l'orée de l'ère industrielle dans l'Angleterre qui machinisa la première vaporeuse à grande échelle.)
8. Machiner à grande échelle ça a un nom commun très courant puisque c'est industrialiser et l'industrialisme revient au même que le machinisme-mécanisme... mais en insistant sur cette notion d'industrie qui existait depuis toujours puisque depuis toujours des hommes se réunirent dans des ateliers pour travailler et que depuis toujours on dit d'un homme qui travaille vite et bien, qu'il est industrieux. Mais la notion d'industrialisme qui revient au machinisme-mécanisme nous renseigne sur le vol du travail opéré par l'industrie-machine-mécanisme. C'est-à-dire que les luddites avaient fort bien compris qu'ils étaient dépossédés de leur sacrifice durée-effort-compétence au profit d'une industrie-machine-mécanisme procédant par chronométrie-énergie-potentiel. Dépossés par les bourgeois évidemment.
9. À ce stade les chouineurs me diront que les hommes aussi ont besoin d'énergie pour faire des efforts, qu'ils ont du potentiel et qu'ils sont les premiers à avoir inventé le chronométrage de la durée. On remarque que ce sont des chouineurs à ceci qu'ils bafouent précisément l'enjeu puisque l'enjeu c'est celui de l'expérience ou du vécu ergonomique si vous préférez. Et précisément l'expérience ou le vécu du sacrifice. Les machines ne font que s'user ; l'usure n'est une notion applicable à l'humain que métaphoriquement. Mais il est vrai que sous l'angle post-utilitariste (les utilitaristes visaient encore le Bien Commun) les tayloristes-fordistes-toyotistes du travail industriel font de tout cela une seule tambouille, hommes et machines confondus sur leurs tableurs ingéniriques et comptables (et pourtant même le philosophe anglais Adam Smith initiateur de ces nouvelles méthodes avait dit qu'il fallait aux hommes de la culture sans les tambouillir avec l'industrie-machine-mécanisme).
10. C'est vrai que dans un sens ces réseaux hommes-machines/machines-hommes/hommes-machines/machines-hommes, etc. (rien que les échanges téléphoniques forment de tels réseaux...)... il est vrai que ces réseaux semblent abolir la distinction sujets-objets puisque les objets se confondent ergonomiquement avec les sujets. Et à ce compte on ne se retrouve plus qu'avec une tambouille de moyens par lesquels se passent des trucs (des communications dans le cas des échanges téléphoniques, où machines et hommes ne sont rien d'autres que des relais indistinctement encore que la finalité semble être l'homme dans la plupart des cas... je veux dire qu'à la longue on peut en douter avec les addictions et les profits). Sujets et objets se confondent indistinctement et se résument à des « interjets ». Des moyens disions-nous. Dans l'ensemble ça a moyen de moyenner et puis c'est tout – cf. Friedrich Jünger sur la technique ou encore Bruno Latour sur ces réseaux : la pieuvre techno-économique qui trame nos mondes désormais, qui en est l'armature tout simplement.
11. Les chouineurs ne peuvent néanmoins plus chouiner quand on les met en face de « la disparition de l'homme » ou du moins son éventualité puisque cette disparition implique la baisse tendancielle des taux de profit inhérente à la diminution du pouvoir d'achat. Parlons-leur le langage de leurs tableurs ingéniriques et comptables.
12. L'humanité va décroissante quoi que sa masse globale augmente encore mais d'ici la moitié du siècle ça va décroître. Si l'humanité décroît en plus d'être déboutée par la machine ce sont tout simplement les marchés à la consommation qui décroissent. Si ces marchés décroissent ce sont les entreprises qui perdent. Si les entreprises perdent elles licencient ou font faillite ce qui revient au même. Avec les licenciements les marchés décroissent encore plus. Nous allons droit vers une atrphie globale à ce niveau encore que les écolos soient contents. Sauf si l'on comprend qu'on a besoin de consommateurs.
13. Les écolos n'ont pas de quoi être contents parce qu'ils sont humainement saisis dans les rets des réseaux et bénéficient comme tout le monde des avancées générées globalement par l'expansion, par la croissance économique. Et là la seule solution serait effectivement à la Musk la colonisation spatiale.
Seulement le cosmos c'est si vaste et si risqué qu'on s'y perd.
Dans l'optique où l'humanité se réaliserait en forme de space opera adviendrait quand même un autre problème : le nihilisme absolu de l'illimité.
À échelle spéciologique l'humanité serait promise à l'éternité putative.
Dans un certain idéal elle deviendrait quasi-immortelle à la Altered Carbon, une série simple mais efficace à consommer (suppurant de culpabilité post-monothéiste comme seuls savent s'en affliger les Occidentaux).
14. Revenons sur Terre aujourd'hui : tous ces fantasmes sont loin et il faut nous gérer.
15. Nos rêves d'automation produisent un monde conçu.
Entièrement conçu.
Du moins potentiellement concevable.
(C'est l'idéal scientiste.)
Le monde mentalisé même développé à l'échelle interstellaire n'est qu'un monde industriel-machinique-mécanique car il nécessite l'industrialisme-machinisme-mécanisme.
C'est le monde des mesures, des mensurations, malgré son immensité putative.
Où justement est immense ce qui ne se laisse pas « menser », c'est-à-dire mentaliser, mesurer.
Donc nos rêves d'automation – et les résultats qu'ils génèrent déjà dans la réalité – sont des rêves menses, le contraire d'immenses.
Nous vivons techno-économiquement dans la mensité, le contraire de l'immensité.
Et évidemment plus ça se déploie plus la Terre est vaine.
16. « Vanité de vanité, tout est vanité » se lamente Qohélèt, l'Ecclésiaste hébraïque.
On suppose qu'il s'agirait du roi Salomon dans ses vieux jours. Or Salomon vécut hébraïquement une vie pharaonique en Israël. D'aucuns songeraient que son Dieu le punissait ainsi de sa vie pharaonique mais cela ne se laisse pas tirer de la Bible sans érudition supplémentaire.
En tout cas les GAFAM et pas qu'elles veulent réaliser Babel à nouveau alors que le Dieu avait infligé Babel à l'humanité : la condition humaine c'est la babelisation, le contraire de l'universalisme du langage binaire du numérique.
La babelisation est immense ; le numérique est mense.
17. On n'est pas obligés d'être monothéistes et dans ce cas le meilleur exemple reste le Japon.
Les mauvaises langues diront que c'est le pays qui enregistre le plus haut taux de suicide au monde mais ce sont des mauvaises langues : avant sa modernisation le Japon avec déjà développé une culture des raffinements suicidaires et puis sa modernisation à l'ère Meiji suivie de sa modernité à l'ère d'Hirohito furent radicales.
Cela laisse des séquelles et on ne saura faire découler son taux de suicide de son animisme shinto-bouddhique. Bienvenue dans Ghost in the shell (à ne pas confondre avec son remake filmique américain dégueulasse : ne regardez que les mangas s'il vous plaît).
18. Allez さようなら tout le monde (sayōnara) !
Lire aussi :
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- Considérations transculturelles ;
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- Considérations consignatrices de votes ;
- Considérations militantes (Manifeste pour la Nouvelle Gauche) ;
- Considérations gauchistes, et droitardes aussi (gauche-droite 3) ;
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- Considérations sexuelles 2 – sur le « Philosophie » Magazine de ce mois ;
- Considérations gauche-droite 2, ou plutôt woke-braque... ;
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- Considérations musulmanes ;
- Considérations informatives ;
- Considérations narcissiques, ou "animeuses" ;
- Considérations gauche-droite 1 ;
- Considérations françaises – pour l’étranger européen, oxydantal* et autre ;
- Considérations émeutières ;
- Considérations sexuelles 1 ;
- Condisérations entrepreneuriales et administratives ;
- Considérations territoriales ;
- Considérations bourgeoises ;
- Considérations décoloniales.