Un Prince sans rire

par C’est Nabum
vendredi 20 juin 2025

 

Un drôle à tics.

 

Un programme me présente comme un conteur drôlatique, une sorte de Prince sans rire en somme dans ce monde où la parole semble ne plus tenir le haut du panier. C'est donc en marchant sur des œufs que je vais tenter d'explorer cette affirmation qui prête à sourire…

Conteur déjà, voilà bien une étiquette qui ne pousse pas à la galéjade. Nos chers bibliothécaires ont enfermé le genre dans le formol, l'ont aseptisé pour le servir uniquement aux enfants et encore, en lisant mot à mot un beau livre d'images. Tout le contraire de ce que devrait être cette merveilleuse tradition orale qui a éclairé les esprits depuis la nuit des temps.

Alors à ce Conteur je préfère Bonimenteur même si les politiciens ont quelque peu noirci ce terme en se l'appropriant à leur corps défendant. Libre parleur serait plus approprié puisque je n'ai rien à vendre et surtout pas des vérités alternatives, des tromperies manifestes ou des promesses impossibles. Si mes mots sont du vent, ils ne tournent pas au gré des conditions. Persifleur serait assez proche du réel à la condition de ne point me couper la chique.

Drôlatique pour enfoncer le clou. La chose parait déraisonnable quand on sait que je ne me produis pas en diffusant des rires enregistrés pour souligner un trait d'esprit qui pourrait échapper à un quidam de base. Il est désormais nécessaire de baliser son discours de quelques émoticônes pour avertir du degré qu'il convient de donner à son propos.

Quant à donner à rire, cela risque fort d'être à l'insu de mon plein gré avec ma dégaine incertaine, mon air niaiseux et ma face rubiconde, tout le contraire de l'allure de l'humoriste labellisé par la nouvelle scène de l'humour. Des pauvres pécores comme moi, sont certainement la cible de leurs quolibets quand par hasard, ils cessent de parler d'eux-mêmes.

Le rire ne se commande pas. Il coule naturellement d'une source qui puise son inspiration dans le secret des mystères de notre existence. Si parfois cela provoque des cascades de fous rires, c'est en suivant le flot de bons mots qui vont s'échouer dans un océan de platitude. Il faut accepter la terrible réalité d'une saillie qui en tombant à côté de sa cible fait un énorme plouf.

Et pourtant seul le rire peut faire barrage à ces torrents de haine, de violence et de vulgarité qui déferlent en vagues successives sur nos médias. Encore faut-il qu'il soit accessible et compréhensible. D'autant que désormais le rire se fait catégoriel. Il y a le fou rire qui déraisonne, le rire jaune qui s'installe sur les ronds points, le rire gras qui menace le régime, le pince sans rire qui met le doigt là où ça fait mal. Il y a encore l'humour noir qui nous en fait voir de toutes les couleurs, l'humour britannique avec un nuage de lait, l'humour juif qui est parfois fumeux, l'humour franchouillard qui aime à se taper fort sur le ventre avant que de plonger sous la ceinture.

L'humour à froid qui vous glace le sang, l'humour déplacé qui heurte et choque les rois de l'immobilisme, l'humour graveleux qui se consomme hélas sans modération, l'humour absurde qui vous fait perdre pied avec le réel. Tant d'autres encore que je ne saurais les décliner tous et qu'on qualifie de burlesque, parodique, satirique, sarcastique, ironique… Ne nous raillons pas de ceux qui entendent lui coller des étiquettes afin d'atténuer son efficacité.

De tout ça, il vaut mieux en rire même si depuis peu, on ne peut rire de tout et surtout pas avec n'importe qui. Malheur à qui écrirait : « Qui fut gazé, Gaza ! » ce serait même de l'huile sur le feu et voir ternir sa petite étoile, être voué aux gémonies et accusé de tous les maux. Car pour ceux-là, les mots blessent et parfois tuent bien plus sûrement que toutes les armes qui déferlent sur des civils innocents de par le monde.

Le rire devrait être encore une arme de guerre, si les esprits n'avaient pas été totalement réduits en poussière par le matraquage médiatique et l'inculturation des masses et si l'humour n'était pas devenu un produit de désolation courante et d'expression purement narcissique.


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