Regards sur l’industrie française

par Eliane Jacquot
mercredi 20 avril 2022

La crise sanitaire, le récent avertissement du GIEC sur le dérèglement climatique et la grande incertitude géopolitique ont agi comme révélateurs de la nécessite pour la France de se tourner vers l'industrie du futur. Cette révolution tient au remplacement des usines polluantes de l'industrie lourde du siècle dernier par de petites unités innovantes en produits et équipées de technologies avancées.

 

Doit-on évoquer un décrochage ?

Cinquante années de mutations ont conduit l'industrie à ne représenter en 2020 plus que 13,4% du PIB, employant 2,8 millions de personnes soit 11% de l'effectif salarié en France. Cette baisse tendancielle est due en partie aux gains de productivité lui permettant de satisfaire les mêmes besoins avec moins d'employés. La fiscalité élevée sur les facteurs de production -cotisations sociales et impôts- couplée à une hausse des couts salariaux indirects associés au processus de fabrication ont entrainé une dégradation de la compétitivité de l'industrie française. Soulignons que les entreprises françaises payent six fois plus d'impôts à la production que leurs homologues allemandes. Ces difficultés affectent directement la balance commerciale de notre pays devenue négative depuis l'année 2004. Enfin selon des calculs récents de France Stratégie, 62% des emplois du secteur, essentiellement ceux des groupes internationalisés sont délocalisés contre seulement 38% en Allemagne. Dans un environnement marqué par la hausse du prix des matières premières à caractère inflationniste, cela va laminer leurs marges d'exploitation.

Les enjeux : La révolution de l'industrie du futur

La quatrième révolution industrielle, celle du numérique, de l'intelligence artificielle, de la robotique et de la capacité des machines à apprendre bouleverse la conception et la structure de l'industrie qui doit de plus s'adapter aux enjeux environnementaux en développant une stratégie nationale bas carbone.

L'innovation est le secteur qui concentre l'essentiel de l'investissement en R&D, financé partiellement par une dotation de 7 milliards d'euros par an de Crédit d’impôt Recherche ( CIR), auquel il convient d'ajouter le financement public direct de la R&D qui couvre en 2019 7,5 % des 35,2 milliards d'euros dépensés. La recherche apparaît comme un poste clé dans les dépenses de l'Etat - spatial, aéronautique, nucléaire, télécoms - permettant à notre pays une autonomie stratégique et technologique. Pour que la France devienne une des nations les plus innovantes il faut que ses acteurs soient capables d'y faire émerger des innovations de rupture. Parce que les entreprises françaises ont négligé des secteurs stratégiques comme les microprocesseurs dont la pénurie mondiale se rappelle à l'industrie automobile, Renault et PSA manquent cruellement de puces visant à équiper leurs véhicules. Le secteur du textile-habillement a déjà largement été restructuré, mais la conservation du savoir-faire et le retour du « made in France » créateur d'emplois lui permet de rester très actif. « Quand le made in France gagne 1 % de part de marché, c’est 4 000 emplois supplémentaires » nous dit Julien Delépine, journaliste. L'électroménager s'appuie sur le savoir faire d'entreprises comme Seb et Moulinex. Le Nord et l'Est de la France sont ainsi redevenues des régions très dynamiques. La maitrise des chaines de production et de valeur est le moteur de la croissance future de l'industrie 4, de ses gains de productivité et de compétitivité.

L'enjeu de la transition écologique et de la stratégie bas carbone est plus que jamais d'actualité. L'invasion russe en Ukraine va-t-elle l'accélérer ? Selon Patrice Geoffron « Dès lors que le fossile devient plus cher et instable, la décarbonation gagne en compétitivité. » Pour réduire notre dépendance au gaz russe il est urgent pour l'industrie française d'investir dans les énergies vertes que sont les technologies solaires et éoliennes, les moteurs électriques, les vélos ). Cela signifie aussi la mise en place d'une politique de taxation du carbone aux frontières de l’Europe pour assurer la pérennité des productions dans l'UE. C'est l'un des principaux enjeux de la stratégie industrielle des années à venir.

Sans oublier la question centrale de l'attractivité pour les talents et de leur disponibilité dans une dynamique de territorialisation des productions - pour exemple Toyota qui s'implante à Valenciennes en s'appuyant sur un écosystème de compétences. Dans certains territoires l'industrie accueille les candidatures et développe des solutions d'apprentissage au niveau local. Florange en Moselle s'est doté d'un centre de formation en relation avec l’émergence de nouveaux métiers. Mais le secteur compte 70000 offres d'emplois non pourvues d'après Bercy contre 40000 avant la crise sanitaire. 

La politique industrielle hexagonale s'est muée en attractivité des territoires

L'arc politique français se positionne en faveur d'un retour à la souveraineté industrielle et au réaménagement des territoires. Visant à favoriser une nouvelle dynamique industrielle, le plan de relance mis en place en 2020 porte sur cinq secteurs principaux - la santé, l'agroalimentaire, l'électronique, la chimie et les métaux, la 5G - . La mobilisation des acteurs associée à la baisse de la fiscalité sur les impôts de production de 10 milliards d'euros par an a favorisé l'implantation d'entreprises dans des pôles de compétitivité que sont l’Aérospace Valley des régions Midi-Pyrénées et Nouvelle Aquitaine, la plasturgie à Oyonnax, le Dunkerquois mise quant à lui sur la transition énergétique. C'est ainsi que dans un grand nombre de territoires excentrés et jusqu'alors déclinants, l'industrie est redevenue le premier employeur. Le Président de la République a présenté en Octobre 2021 un nouvel effort d'investissement de 30 milliards d'euros en faveur des industries d'avenir, certes insuffisant pour réussir les transitions écologiques et technologiques de notre économie.

L'industrie du futur qui émerge tend à se structurer en écosystèmes territoriaux qui utilisent la connectivité permise par le numérique. Les villes moyennes, en concentrant 37% des emplois industriels sont le pivot du système territorial et contribuent à sa cohésion. L'hexagone est désormais doté de 127 « sites industriels clés en mains » accompagnés par les collectivités territoriales, la Banque des Territoires et Business France, destinés aux PME et ETI qui investissent dans des infrastructures ayant une incidence locale forte. On retrouve ici le rôle primordial de l'Etat parce qu'il est indispensable de créer des relations de confiance entre l'ensemble des acteurs visant le tissu industriel.

Va-t-on enfin assister au retour de l'Etat stratège pour engager les réformes nécessaires ? C'est ainsi que les pouvoirs publics, gardiens du long terme devraient se doter d'un Ministère de l'Industrie, de la Recherche et des Energies renouvelables rattaché au premier ministre pour piloter le grand projet de réindustrialisation de la France, comme le préconise Louis Gallois. L'urgence de la transition écologique oblige l'action publique à se repenser dans les plus brefs délais. 


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