Printemps de Bourges 2023 : Trilogie 72

par Frozen
mardi 2 mai 2023

Festival qui donne une place importante à la création, le Printemps a proposé à trois artistes de porter un regard nouveau sur trois albums mythiques de l’année 1972 : The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars de David Bowie, Transformer de Lou Reed et Harvest de Neil Young.

J’ai pu rencontrer les artistes avant leur concert et leur poser quelques questions sur leur façon de retravailler ces albums.

 

Léonie Pernet : Ziggy Stardust

Léonie Pernet

Musicienne électronique et chanteuse française, touche à tout insatiable et multifonctions, elle est aussi bien organisatrice de soirées techno, que batteuse ou compositrice de musique de film. Elle a sorti deux albums et se sert de la scène comme d’un espace d'expérimentation et de création.

Est-ce qu’on est surpris quand on reçoit une telle demande du Printemps de Bourges ?

C'est vrai qu'il y a quelque chose qui m'a semblé un peu incongru, et en même temps, j'aime les défis, vraiment. J'aime les défis, donc j'ai dit oui, j'ai réfléchi deux secondes et j'ai dit oui rapidement.

Et après, comment on aborde le sujet ?

Il y a plusieurs angles. Il y a l'angle musical, évidemment. Il y a aussi beaucoup du personnage Bowie, le contexte de l'époque. Comment ça résonne aujourd'hui, est ce que ça a encore du sens ? En l'occurrence, ça en a beaucoup. C'est un personnage à la marge et qui est vraiment venu mettre la marge au centre. Ça, c'est vraiment quelque chose qui m'intéresse beaucoup. Je l'ai abordé par l'aspect presque un peu sociologique, sociétal, avant l'aspect musical.

Pourquoi avoir replacé l’histoire en Afrique ?

C'était pour remettre cette histoire d'extraterrestre et d'homme de Mars. J'ai mis l'Afrique dans le ciel et j'ai imaginé quelque chose qui serait un peu de la science-fiction. Parce que ce que je trouve intéressant dans cette histoire de science-fiction avec l'Afrique qui est devenue un corps céleste, c'est que ce sont des imaginaires auxquels on n'est pas habitué. Généralement, quand on pense l'Afrique, c'est un concept que je suis en train de découvrir, on la pense avec beaucoup d'images de misère, alors qu'il y a beaucoup de vie, beaucoup d'espérance et beaucoup de potentialité. J'avais envie de l'adapter au décloisonnement de l'imaginaire, ce qu'a fait David Bowie à l'époque. Ça m'a donné un angle pour la couleur musicale qui va être un mélange organique et synthétique. Il y a du piano, du violon, des percussions, un djembé, percussions africaines, des derbuka, percussions orientales, mais il y a aussi pas mal de synthétiseurs, etc. C'est vraiment un mélange de ces deux choses.

Il y a deux autres personnes au chant ?

Oui, il y a Imany, je l'ai rencontrée parce qu'elle était membre du jury d'un prix qui est nouveau, le Prix Joséphine, qui récompense dix albums par an. Elle a découvert mon travail à cette occasion, parce que j'étais dans les dix lauréats l'année dernière. Nous nous sommes rencontrées plusieurs fois. J'ai accroché tout de suite, je connaissais un peu sa musique. J'avais un bon feeling avec elle et j'ai pensé à elle tout de suite. Oko Ebombo, c'est un artiste incroyable que j'ai rencontré lors d'un festival au Japon, à Tokyo. Il sort un album dans quelques mois. Je l'avais vu performer et je l'avais trouvé incroyable. Là, c'est la première fois qu'on collabore ensemble, mais ça fait longtemps que je savais qu'on allait se retrouver. Ce sont vraiment deux artistes qui sont très, très différents et que j'aime énormément.

Est-ce que des modifications ont été faites sur les paroles ?

Il y a un morceau qui est complètement transformé où je n'ai gardé que deux phrases, c'est vraiment autre chose, ce n'est même plus le même morceau. Sinon, je garde les paroles. Parfois, sur certains, je saute un couplet, je les restructure et je ne joue pas l’album dans le même ordre. C'est un peu une expérimentation. C'est vraiment une relecture, une revisitation.

 

Silly Boy Blue : Transformer

Silly Boy Blue et Vincent Taurelle

Passionnée de musique depuis son plus jeune âge, elle fait ses premières armes dans le groupe Pégase, dans lequel elle est chanteuse, bassiste et claviériste. L’envie d’écrire et d’interpréter ses propres chansons lui font ensuite poursuivre une carrière solo. Elle remporte le prix des Inouïs du Printemps de Bourges en 2019 et laisse tomber ses études de journalisme pour se consacrer à la musique.

Est ce qu'on est surpris quand on est contacté par le Printemps de Bourges ?

Je n'ai pas été surprise, mais j'ai été très, très, très, très honorée parce que c'est une grosse preuve de confiance de la part de Bourges. C'est un grand privilège d'avoir cette opportunité là.

Comment on aborde une œuvre comme Transformer ?

Avec énormément de stress au début. D'un côté, c'était une grosse pression parce que c'est un chef d'œuvre, que c'est une icône. J’adore vraiment cet album et cet artiste. Mais d'un autre côté, c'est un album qui est tellement bien écrit et qui a été tellement populaire partout, les tubes qu'il a dedans, qu'en fait, c'est plutôt simple de le réécouter. Pour moi, ça a été un plaisir, je l'ai réécouté, je pense, 1000 fois depuis que j'ai commencé à travailler la créa. C'est toujours un plaisir. C'est un grand stress, mais aussi un gros moment de plaisir.

Est-ce qu’il y a eu des modifications sur la musique ?

Je suis avec un pianiste qui s'appelle Vincent Taurelle et on a décidé de faire une version assez épurée de tous les morceaux et de reprendre un peu toutes les petites clés qui nous plaisaient, les chœurs, les suites d'accords, les choses comme ça. Donc, on a fait quelque chose de très simplifié pour mettre en exergue les talents d'écriture de Lou Reed et de Bowie qui a écrit sur l’album aussi.

Cest un album qui est toujours d'actualité ?

C'est toujours d'actualité. On a beaucoup rigolé avec Vincent parce qu' il y a des moments où on chantait, où je chantais les morceaux et je disais « Mais ce n'est pas possible, il écrit n'importe quoi, je comprends pas, les phrases ne veulent rien dire. » Et on revenait la semaine d'après pour répéter, on disait « J'ai compris le sens de ça, ça ramène à ça. » Et ouais, il était très, très en avance sur son temps, sur toutes les questions de genre, les questions de choc des cultures, des sexualités aussi. Et il y a quelque chose de très plaisant parce qu'on s'est vraiment laissé prendre au jeu à comprendre les doubles, triples sens des choses. C'était assez chouette.

Est ce qu'il y a eu des modifications par rapport à l'album original ?

Nous, on a décidé d'être très fidèles à l'album, même dans l'ordre des chansons. À un moment, on s'est posé la question « Est ce qu'on fait en sorte que... ? » Et on s'est dit « C'est une œuvre qu'on respecte tellement qu'on ne pouvait pas modifier le sens. » Donc, on a tout laissé pareil. On a juste modifié un petit peu Perfect Day qu'on mettra à la fin. On hésite encore à la mettre à la fin parce que c'est un morceau chargé d'émotion et on s'est dit « Peut être qu'on va éviter de pleurer. » donc on la mettra à la fin au cas où on pleure. »

Est ce que cette création va être rejoué plus tard ?

Oui, on la fait à Avignon cet été. Ça, ça va être trop chouette. On était un peu tristes de se dire « Bon, on va la faire qu'une seule fois. » Et en fait, on a appris qu'on la faisait à Avignon. Je sais que c'est le 15 juillet, j'ai trop hâte. Je suis ravie de le faire à Avignon en plus, c'est quand même chouette, on aura le droit de la jouer plus tard.

 

Raoul Tellier, guitariste et fondateur de La Maison Tellier : Harvest

Raoul Tellier

La Maison Tellier est un groupe de musique folk, country, rock et chanson française formé en 2004.

Est-ce qu'on est surpris de recevoir une telle demande du Printemps de Bourges ?

Un peu, mais pas tant que ça, parce qu' on l'a déjà fait l'année dernière, cette créa, à l'occasion des 50 ans de Harvest. Donc, c'est une re-création. Non, on est plutôt contents, plus que surpris. Je suis très content qu'on puisse rejouer cet album, parce qu'effectivement, l'année dernière, quand ça s'est terminé, on avait envie que ça recommence.

Comment aborde-t-on  une œuvre comme Harvest ?

Avec beaucoup d'humilité, en tout cas en ce qui me concerne. De l'humilité et beaucoup de plaisir aussi, puisque c'est un album qui m'accompagne depuis très longtemps, depuis mon adolescence. C'est le premier vinyle que j'ai acheté avec mes sous à moi quand j'étais ado, collégien. Je me souviens encore avec beaucoup d'émotion du moment où je l'ai écouté pour la première fois, où je suis tombé en amour avec ce disque. Je connaissais déjà un peu Neil Young avant, mais pas dans son répertoire solo. Je le connaissais au sein de Crosby, Stills, Nash and Young. Et j'ai à la fois... enfin, on, le groupe, je vais parler pour moi, mais on est un peu tous pareils, on a à la fois envie de profiter, c'est une aubaine de jouer un album comme ça et on veut en prendre soin aussi, rendre justice aux émotions qu'on a ressenties les premières fois où on l'a entendu.

Donc vous n’avez pas trop modifié ?

Non. De toute façon, Neil Young c'est difficile de le jouer différemment de la façon dont lui joue ses chansons. Il y a trois soirées au Printemps de Bourges. La soirée Bowie, si on avait travaillé sur Ziggy Stardust, je pense que j'aurais eu beaucoup moins de scrupules à modifier les chansons, à les réorchestrer parce qu'il y a peut être ça intrinsèquement dans l'œuvre en elle même. Bowie, il a changé de forme 500 000 fois. Il a fait plein de disques différents. Ça fait partie de l'ADN de son œuvre d'être offert à l'adaptation, alors que Neil Young, c'est plus compliqué. Il n'y a que lui qui a le droit de changer ses chansons, j'ai l'impression, comme Bob Dylan.

Il y a d'autres artistes qui vont jouer ou chanter ?

Oui, c'est une créa qu'on a, dès le début, voulu partager avec nos collègues, parce que un des points très importants de cet album, c'est que c'est un album de copains. Neil Young, il s'est entouré de tous ses copains de l'époque. Ils ne sont pas sur toutes les chansons, mais il a enregistré les chansons au gré de ses tournées du moment et des opportunités de studio ou de présence de personnes qui étaient là sur une petite année, et ça s'entend. A l'époque, je ne connaissais pas encore bien toute l'histoire, mais ça s'entend que ce sont des gens qui se sont réunis autour d'un micro avec des instruments, puis qui ont pu s’enregistrer et qui on joué ensemble. Ça nous paraissait important d'adopter la même démarche et de partager ce moment là avec plein de gens qu'on a croisé ici ou là, au gré des tournées. Et oui, c'est toujours plus chouette d'être avec des copains pour faire de la musique : il y aura Émily Loizeau, Arman Méliès, Albin de la Simone, Loni, Pauline Denise, Ysé et Baptiste Hamon. Voilà, un beau casting.


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