Mérule pleureuse

par C’est Nabum
jeudi 20 avril 2023

 

Ne pas se fier à son joli nom.

 

Essayons-donc d'appuyer sur le champignon tout en marchant sur des œufs coque avec une bourde à la main. L'omelette que vous réaliserez alors n'aura rien de digeste, bien au contraire, elle aura largement de quoi vous rester sur l'estomac. La mérule pleureuse n'est pas de nature à réjouir le mycologue pas plus que le gastronome. Point n'est besoin du reste de courir les bois pour partir à sa recherche, la diablesse s'en charge elle-même avec une roublardise qui plombera vos soirées.

Son nom, dérivé du grec "merizo" (partager, fragmenter), évoque sa perfide action de fragmentation qu'elle exerce sur le bois. Si son nom latin était du genre masculin, au siècle dernier, l'usage du féminin lui a été appliqué depuis longtemps par des mycologues de renom comme bien souvent quand il s'agit d'une plaie ou d'une calamité. On peut déplorer cette pratique qui fort heureusement a cessé notamment avec les cyclones qui respectent désormais le principe de la parité.

La calamité xylovore se nomme lacrymans ou « pleureuse » en français dans le texte pour ceux qui perdent leur latin à lutter contre la diablesse. Son patronyme provient des larmes colorées qu'exsude son mycélium à moins que ce ne soient celles que versent les mariniers quand ils découvrent qu'elle est montée à l'abordage de leur bateau sans y avoir été convié.

Si dans la nature, le petit champignon attaque les conifères, sa préférence, depuis qu'il a voyagé, se porte avec une gourmandise rare sur le bois ouvragé, celui que les humains ont pris la peine de travailler patiemment. En cela, c'est un parfait parasite doublé d'un ennemi de ceux qui mettent la main à la pâte.

Originaire des conifères des forêts Boréales, sans avoir présenté le moindre papier, l'odieux passager clandestin est arrivé un jour, sans crier gare dans le port de Brest. De là, profitant du vent dominant d'Ouest elle a su conquérir le continent pour se répandre grâce à des myriades de spores. L'intrus a pu essaimer et agir ainsi sournoisement pour faire son trou. Remarquons la difficulté pour les dyslexiques de saisir la portée de la phrase : « Débarqués du Port de Brest, les spores de la mérule, pas très sport, ont semé la mort et la désolation dans les charpentes et les chantiers navals ! »

Quelle que soit la taille du bateau, le champignon sournois peut l'attaquer et ronger sa coque avec une efficacité redoutable. Son action ne se perçoit pas tout de suite ; la lèpre du bois ronge en profondeur la structure tandis que la coque devient spongieuse, fragile, perméable. Notre agresseuse est un champignon lignivore qui se nourrit, en plus d’eau de matières organiques carbonées et azotées en provenance du bois de la structure du bateau qu’il décompose en sucre simple qu’il métabolise aisément.

Ce champignon a besoin d'un taux d'humidité au minimum de 22 %. En dessous, il perd toute activité tandis que sur l’eau, il trouve là la pleine expression de son pouvoir de nuisance. Il a besoin aussi d'une température ambiante entre 20 et 30 ° Celsius. Le réchauffement des températures moyennes favorise grandement sa croissance qui peut s'avérer exponentielle.

Quoique l'expression soit assez malheureuse, il se passe alors un effet boule de neige qui met les nerfs en boule de tous nos mariniers de la marine patrimoniale qui voient leurs flottes fondre justement comme neige au soleil. Un bateau contaminé est avant-coureur d'une catastrophe en chaîne sans qu'il soit possible d'agir préventivement.

Ne soyez donc pas surpris en vous promenant le long des quais de nos rivières si vous voyez des mariniers attaquer à la tronçonneuse la coque d'un bateau en cale sèche et y pénétrer comme dans du beurre. Évitez soigneusement de vous approcher des morceaux traînant sur le quai, vous pourriez ramener ce poison chez vous pourvu que vous ayez du bois dans la structure de votre demeure. Ne jetez pas plus à l'eau le bois qu'ils auraient laissé par mégarde sur le sol. Vous seriez à votre tour un agent de contamination. Les bateaux traditionnels en bois filent un mauvais coton.

À contre-bois.

 


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