On ne prête qu’aux riches

par C’est Nabum
vendredi 8 décembre 2023

 

À la bonne fortune du menuisier d’Orléans

 

 Il advint qu'en Orléans, dans le vieux quartier de Recouvrance, un rue des Lacs d’Amour, vivait et travaillait un menuisier. En dépit du joli nom de sa rue, notre artisan avait bien du mal à joindre les deux bouts. La vie était rude en ces temps lointains, les « maltotiers » étaient impitoyables quand il s’agissait de ponctionner la dîme et la taille tandis que la gabelle étranglait les braves gens.

Jean, puisqu’ainsi il s’appelait, savait bientôt venu le temps de la visite des questeurs. S’il avait de quoi s’acquitter de son dû au Roi et ses représentants, il ne lui resterait plus rien pour subsister jusqu’à la ponction suivante. Ses affaires n’étaient pas au mieux, non pas qu’il ne fut pas adroit en son ouvrage, mais parce qu' en ces temps de fronde et de guerre de trente ans, le pays était exsangue et les clients désargentés pour la plupart.

L'artisan ne voyait qu’une issue à cette vie insupportable. Il se rendit dans le secret de sa cave, une belle cave voûtée sur trois niveaux comme il en existe de nombreuses en bord de Loire dans la cité de dame Jeanne. Là, à bout d’espoir, il se construisit le plus beau cercueil qui soit, dans un chêne remarquable issu de la forêt voisine. Bien décidé à mettre un terme à cette existence de chien, il entendait partir dans le plus bel équipage qui soit, un luxe qu’il pouvait s’offrir de par son métier.

Il émanait de la cave de bien étranges activités pour ceux qui passaient dans la rue. Les voisins, les curieux, les promeneurs s’interrogeaient grandement sur les raisons de ces bruits souterrains qui s’échappaient par une petite lucarne au ras des pavés. Les langues vont vite bon train dans pareil cas, il ne faut pas s’en étonner dans la cité de la rumeur.

Jean ignorait tout de ce qui se disait dans son dos. Sa résolution d’en finir était ferme. Il n’avait cure de la médisance publique. Son ouvrage achevé, il n’avait plus qu’à mettre à exécution son noir dessein. Mais la Semaine Sainte le contraignit à différer son départ. Quoique le suicide fut proscrit de la sainte mère l’église, il n’entendait pas s’assurer le bannissement éternel et certain à ce moment là.

L’argent qu’il avait patiemment mis de côté pour satisfaire à la gourmandise du Roi et de ses sbires, il allait le manger afin de partir l’estomac bien garni pour son ultime voyage. Les hommes ont parfois des cheminements curieux, celui de Jean ne doit pas nous surprendre. Chacun a le droit à une petite fantaisie quand l’heure est venue.

Son petit pécule était suffisant pour aller dans les tavernes afin de manger et boire plus que son saoul. Depuis le jeudi jusqu’au lundi de Pâques, il fit telle bombance que bientôt tout le monde à Orléans ne parlait que de ça. Il y avait une raison cachée, un mystère qui expliquait de telles dépenses inconsidérées …

Bien vite, certains firent le rapprochement entre les bruits de la semaine précédente et le comportement dispendieux du menuisier. Il ne fit bientôt plus de doute à personne que l’homme avait découvert un trésor dans sa cave. C’était la seule explication plausible à ses dépenses fastueuses.

Alors que la Pâque était terminée et que notre menuisier allait quitter cette vallée de larmes, il eut la surprise de voir grande assemblée devant son atelier. Les bourgeois d’Orléans, toujours prompts à se montrer aimables à ceux de leur condition, entendaient tous faire travailler l’heureux bénéficiaire d’une récente fortune. C’est ainsi que devant l’afflux de travail, il repoussa l’échéance, désireux d’honorer leurs commandes.

Quant aux créanciers de l’artisan, ceux-là différèrent leurs échéances. Il est bon de se montrer bienveillants vis à vis de ceux qui ont un Louis d’Or dans la bouche. Le temps passa, la rumeur ne cessa pas tandis que Jean connut la prospérité. Il renonça à son dessein macabre, vécut heureux et opulent.

Il avait ouï la rumeur qui courait à son propos. Il convenait de surtout faire en sorte que rien ne vienne la démentir. Jean, en homme avisé décida de munir l’entrée de sa cave d’une porte en fer aux armatures renforcées, munie d’une serrure à décourager les curieux et les mal intentionnés. Un huis digne des établissements bancaires… La croyance en son trésor n’en fut que plus vive encore !

La camarde finit pourtant par le faucher au terme d’une vie pleine et heureuse, à l’abri du besoin. Quand son corps fut découvert, des curieux s’empressèrent de visiter la fameuse cave au trésor. Ils en furent pour leurs frais, derrière la porte en fer, il n’y avait qu’un cercueil en chêne fort joli certes mais dépourvu de pièces en or à l’intérieur.

Jean quitta ce monde en ce bel équipage, son seul et unique trésor. Il avait vécu de manière agréable sur la simple présomption de sa bonne fortune. Combien d’autres bénéficient de largesses simplement au prétexte qu’ils sont bien nés ? Il ne nous appartient pas de juger de la crédulité des gens tout autant que de leur attirance pour la richesse.

La rue du Lac d’Amour devint celle de l’Huis de Fer pour que chacun ici se souvienne de la farce. Nul pourtant ne retint la leçon de cette fable. Tout ce qui brille attire encore les gens d’Orléans et d’ailleurs. De cette histoire il reste fort heureusement une gravure de Charles Pensée représentant la fameuse rue. J’en sais ici qui ne m’auraient pas fait crédit de me croire.


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