Amis de la poésie bonsoir : au nom de la liberté et du courage

par ConCalmaPorFavor
jeudi 16 décembre 2021

 

Robert Desnos dans L'Honneur des poètes  :

Ce coeur qui haïssait la guerre...

Ce coeur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille !

Ce coeur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,

Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine

Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent

Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne

Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat

Ecoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.

Mais non, c'est le bruit d'autres coeurs,

de millions d'autres coeurs battant comme le mien à travers la France.

Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces coeurs,

Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises

Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :

Révolte contre Hitler et mort à ces partisans !

Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,

Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères

Et des millions de Français se préparent dans l'ombre à la besogne que l'aube proche leur imposera.

Car ces coeurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

 

Marianne Cohn (capturée par la Gestapo), Je trahirai demain, 1943 (actualisation : je trahirai ma liberté demain)

Je trahirai demain pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles,

Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.

Moi je sais.

Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.

Vous avez aux pieds des chaussures

avec des clous.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui.

Demain.

Il me faut la nuit pour me résoudre.

Il ne me faut pas moins d'une nuit

Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

Pour renier mes amis,

Pour abjurer le pain et le vin,

Pour trahir la vie,

Pour mourir.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui.

La lime est sous le carreau,

La lime n'est pas pour le barreau,

La lime n'est pas pour le bourreau,

La lime est pour mon poignet.

Aujourd'hui je n'ai rien à dire,

Je trahirai demain.

 

René Char, La liberté :

Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du crépuscule.
Elle passa les grèves machinales ;
Elle passa les cimes éventrées.

Prenaient fin la renonciation à visage de lâche , la sainteté du mensonge , l’alcool du bourreau.

Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s’inscrivit mon souffle.

D’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, elle est venue, cygne sur la blessure par cette ligne blanche.

René Char, Feuillets d'Hypnos, extraits :

22  AUX PRUDENTS : Il neige sur le maquis et c'est contre nous chasse perpétuelle. Vous dont la maison ne pleure pas, chez qui l'avarice écrase l'amour, dans la succession des journées chaudes, votre feu n'est qu'un garde-malade. Trop tard. Votre cancer a parlé. Le pays natal* n'a plus de pouvoirs.

* Etat de grâce, bonheur subtil

72  Agir en primitif et prévoir en stratège.

114 Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement.

169 La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.

 

Paul Eluard, Couvre-feu :

Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés.

 

Mais trêve de sériosisme, le mot de la fin à un poète plus récent :

"Gloire à celui qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint

Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins."

Georges Brassens

 


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