La lettre qui ne passe pas

par C’est Nabum
mardi 17 octobre 2023

 

De l'auge à l'auge.

 

J'ai un bon camarade qui souvent me sollicite pour prendre la plume afin de défendre ses intérêts, cesser une querelle ou mettre les points sur les « i » à des querelleurs qui ont le don de croiser sa route. Il est vrai qu'il a l'art et la manière de se créer des désagréments, multipliant à loisir les occasions de se mettre à dos des gens qui n'attendent que ça.

Emprunteurs, locataires, voisins irascibles, artisans indélicats, mon ami est expert en complications diverses et variées dans des affaires où il cherche toujours à prendre un chemin biaisé qui finit immanquablement par s'avérer une impasse. C'est en somme une référence dans le monde interlope des épistoliers de la procédure ou plus précisément de la recommandation écrite et néanmoins postale.

Je lui sers souvent de porte-plume à défaut de porte flingue, mon tempérament, s'il me pousse au persiflage ne me conduit jamais dans les prétoires. Je lui tiens lieu de truchement en rédigeant assez souvent ma foi des missives qui ont l'avantage de clore la querelle en plongeant le destinataire dans un abîme de perplexité.

Le ton comme la forme ne diffère en rien du style que je vous offre ici, usant d'une langue et d'un langage qui ont le mérite de clouer le bec à l'indélicat qui se demande encore quoi répondre à une logorrhée qui le laisse sans voix ni réplique. La mission est accomplie, la querelle s'en trouve le plus souvent réduite à néant.

Cette fois cependant, devant un différend entre mon ami et un maçon, qui plus est, est locataire qui n'honore pas ses mensualités, ma contribution pour mettre un peu d'huile dans le ciment, ne sembla pas satisfaire mon camarade. J'avoue que j'avais sans doute un peu forcé le trait tandis que mon écrit avait trop d’aplomb pour un mur qui prenait un mauvais penchant. Je vous laisse juge du bien-fondé du rejet de ce que j'avais pourtant écrit de bon cœur.

« Monsieur, tant va le goret à l'auge qu'à la toute faim, il finit par engraisser sur le dos de ceux qui le nourrissent. Le maçon qui dresse un mur mitoyen quant à lui, bâtit une muraille contre le juste traitement de son labeur, sans exiger plus qu'il n'a commis. L'un se fait du lard pour satisfaire notre gourmandise quand l'autre pratique un art qui fut jadis honoré par le titre de franc-maçon.

Depuis, pour l'un comme pour l'autre les pratiques ont bien changé. Le premier n'est plus en odeur de sainteté, le nitrite et les interdits religieux lui interdisent désormais de voir la vie en rose. Le second, conscient de poser sa pierre pour la consolidation de l'édifice national, a tendance à voir s'envoler ses prix tandis que ses fondations laissent à désirer et que la pérennité de son travail devient douteuse.

Tous deux furent longtemps des éléments essentiels à la prospérité d'une nation où l'on aimait à dire sentencieusement : « Tout est bon dans le cochon ! » et « Quand le bâtiment va tout va ! ». Hélas à force de faire du gras, de lésiner sur la marchandise, de gâcher en dehors des canons habituels de cette noble activité, l'un des deux a fait un travail de cochon tandis que l'autre nous joue un vilain tour à sa façon.

Les nutritionnistes conseillent la modération et le régime maigre. Il devrait en aller ainsi pour vos tarifs qui ont tendance à me rester d'autant plus sur l'estomac qu'ils s'expriment également en loyers impayés et en avances inconsidérées pour les matériaux. Je vous invite donc à plus de sagesse et moins d'appétit tout en vous recommandant de remettre la main à la truelle et à votre auge. N'oubliez pas que nous avions conclu un accord verbal et comme on dit ici : « Cochon qui s'en dédit » ».

Cette lettre, en dépit de sa nuance et de son extrême courtoisie ne satisfit pas mon camarade. J'en suis encore tout chafouin, me demandant toujours en quoi elle a pu lui déplaire...


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