Carburants bio, CO2 bio, effet de serre bio ?
par Vanou
lundi 9 octobre 2006
Les carburants « bio » (bio-esters, bio-éthanol...) ont le vent en poupe. Mais constituent-ils vraiment une réponse au problème de l’émission de ce gaz à effet de serre qu’est le dioxyde de carbone (CO2) ? Ou cet aspect bio n’est-il qu’une justification de façade pour une opération qui arrange bien tout le monde ?
Le gouvernement a récemment annoncé en grande pompe la mise en place d’un réseau de distribution de carburant dit E85, contenant 85% d’éthanol et 15% d’essence d’origine pétrolière. Beaucoup le félicitent pour cette grande avancée en faveur de l’environnement. Ces jours derniers, le président de la République a fait de grandes déclarations de principe dans un salon d’agriculture sur le futur développement des biocarburants.
Sur un plan plus général, des initiatives sont prises de toutes parts pour mettre en avant les carburants « alternatifs » d’origine biologique : bio-ester et bio-éthanol issus de la transformation de productions agricoles, bio-gas méthane issu de la fermentation de produits de cultures, bois de chauffage, etc. On parle ainsi de valorisation de la biomasse, qui arrange bien nos politiques, car cette nouvelle idée permettra de nouveaux débouchés à nos agricultures. L’Agence nationale de la recherche et le prochain programme cadre de recherches de l’Union européenne éditent des appels d’offres basés sur cette idée. Les laboratoires bruissent de tels programmes, qui apportent les fonds pilotant des recherches sur les bio-carburants.
Mais de quoi parle-t-on, au juste ?
Comme les produits bio sont à la mode, sans doute à juste titre dans l’alimentation, il paraît évident à tout le monde que les carburants bio vont dans le même sens. Voilà des carburants plus « naturels », donc plus sains... Certains parlent même d’exclure le dioxyde de carbone (CO2) d’origine biologique du contingent fixé par les maintenant célèbres Accords de Kyoto.
La raison pour laquelle Kyoto propose de limiter les émissions de dioxyde de carbone est connue. En un siècle, sa concentration dans l’air est passée de 0,028 à 0,038% dans l’atmosphère. Cette augmentation, dont la moitié au cours des trente dernières années, est corrélée à une augmentation moyenne de la température du globe de 0,8°C (dont +0,6°C depuis trente ans). De nombreuses études montrent que cette corrélation est en fait un lien de cause à effet, ce que personne ne conteste plus (sauf peut-être M. Georges Bush fils, mais on ne lui en veut pas, il n’a pas fait d’études, et curieusement il y a quelques jours, un Claude Allègre plus soucieux de publicité que de véracité). Les travaux les plus récents prédisent tous, même si la quantité de CO2 se stabilisait dans les cent ans à venir (ce qui n’est pas gagné), une augmentation graduelle des températures, accompagnée de la fonte de tout ou partie de la calotte glaciaire arctique, d’une grande proportion des glaciers alimentant les grands fleuves, d’une montée du niveau de la mer, et de changements climatiques et aquifères importants. Les photos satellite de l’été dernier (2006), montrant une calotte arctique rétrécie comme peau de chagrin, laissent même penser que le mouvement s’accélère. Compte tenu de l’équilibre précaire sur lequel repose l’économie mondialisée, il paraît urgent de réduire la production de CO2 par l’homme.
Personne n’a mesuré précisément les rythmes de réabsorption de ce gaz par la biosphère (planctons marins, plantes terrestres...). Il est possible qu’ils soient lents, voire très lents. Il est difficile de mesurer ces « vitesses de retour » du carbone dans la biosphère. Par contre, il est facile de comprendre que si ce retour prend du temps, et surtout si cette vitesse ne change pas alors que celle de l’émission augmente régulièrement, on va vers une accumulation toujours plus grande de CO2 dans l’air.
On entend aussi l’argument selon lequel le CO2 ainsi émis lors de la combustion de ces carburants « ne compte pas », car il provient d’une source (la plante utilisée pour produire l’éthanol ou autre) qui l’a récemment « pompé » de l’atmosphère. Mais il faut toujours se poser des questions face aux évidences. On avance ici qu’on récupère l’année suivante, lors de la culture de la prochaine récolte, le CO2 émis par la combustion du carbone des plantes cultivées. On peut cependant se demander ce qui serait advenu si ces plantes n’avaient pas été utilisées pour produire ces combustibles. La consommation par la biosphère (et en premier lieu par l’homme) des plantes cultivées produit bien moins de CO2 que leur utilisation comme sources de carburants. C’est ainsi que le raisonnement pourrait être posé, et non pas en comparant le CO2 pétrolier au bio, pour dresser un bilan global des émissions.
De plus, personne n’a fait le bilan du CO2 supplémentaire émis dans l’atmosphère du fait même de l’activité agricole. On peut penser bien sûr à la consommation des machines agricoles, du transport et du traitement des produits, mais surtout à la production supplémentaire d’engrais. Cette industrie lourde (une des premières en tonnage en Europe) fabrique les engrais à partir d’ammoniac (NH3). Or la production d’ammoniac produit du CO2 à double titre : 1°) pour obtenir, à partir de gaz naturel, l’hydrogène (H2) nécessaire à la synthèse 2°) par la consommation d’énergie très importante de cette industrie obtenue par... combustion de gaz naturel. Rappelons que, contrairement à une publicité mensongère envahissante, le gaz dit « naturel », c’est-à-dire le méthane (CH4), produit à peu près autant de CO2 que les autres carburants en brûlant.
Alors, pourquoi tant d’insistance sur ces carburants d’origine agricole ? Évidemment, on entend dire que cela arrangera les agriculteurs, qui pourront ainsi trouver un marché nouveau pour leurs « excédents chroniques ». Certes. Mais allons plus loin : qui a intérêt à ce que la production d’énergie, pour les transports en particulier, continue de brûler des carburants ? Qui produit des moteurs à explosion ? Mais aussi, qui fournit les carburants, avec de juteux profits, d’une tout autre échelle que ceux de l’agriculture ? Qui a intérêt à ce que les carburants « verts » prennent leur place dans l’industrie du raffinage et de la distribution ? Et surtout, qui aurait beaucoup à perdre à ce que le marché de l’énergie pour les transports lui échappe, si le système changeait trop vite ?
Car il existe d’autres solutions que la religion du moteur thermique. Le véhicule électrique n’est pas un concept nouveau. La pile à combustible à hydrogène (combustible qu’il est possible de produire sans émission de CO2) est un moyen de le propulser. L’utilisation de batteries est aussi possible, à condition d’adapter le concept et l’économie automobile. La Chine, qu’on prend de plus en plus souvent en exemple, ne s’y trompe pas... Evidemment, me dira-t-on, l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau coûte cher, et n’est pas compétitif, même avec un pétrole à 100 $ le baril. Mais le problème de l’émission de CO2 est-il seulement une question d’argent ? Dans ce domaine, tout le monde sait que le marché est en fait régulé par des taxes et des réglementations sur les émissions. En d’autres termes, ce problème, comme d’autres, n’a de solution que politique.
En conclusion, je dirai que le CO2 reste du CO2, quelle que soit son origine. Le CO2 « vert » fera autant de dégâts que celui issu du pétrole. Plantons des arbres (*), certes, mais pas pour les brûler ! Cela implique qu’il faudrait se poser des questions sur cette nouvelle vogue des carburants de substitution, et peut-être chercher plutôt à changer les modes de production d’énergie pour éviter de relâcher du CO2 dans l’atmosphère. C’est effectivement plus difficile, sur un plan technique, économique et politique, que de remplacer du pétrole noir par du pétrole vert, mais sans doute moins hypocrite... et bien plus urgent !
(*) ou favorisons le plancton, mais c’est une autre histoire...
Illustration : le blog finance