Grèce : après les incendies, avec la pandémie

par Pierre-Yves Martin
samedi 25 septembre 2021

 

Nous somme allés en Grèce en touristes. Et, je le dis tout de suite, sans complexes écologiques ou autres. Le tourisme est en effet une des rares ressources de la Grèce contre la pauvreté.

Je prévoyais d'axer cet article sur les conséquences de la pandémie et des incendies. Mais un autre aspect a émergé : la célébration en 2021 du début de la guerre d'indépendance puis la mort de Mikis Theodorakis ont été pour les Grecs l'occasion de célébrer leur fierté nationale, mais aussi de déplorer les ambiguïtés de leur histoire moderne.

 

Le Covid et le tourisme

A l'aéroport d’Athènes, surprise agréable. Le site Internet annonçait que, par un processus informatique aléatoire, nous serions testés ou non ; si nous étions positifs, nous serions bons pour 10 jours d’une quarantaine a priori assez peu engageante. En réalité, un employé vérifie que nous avons bien le fameux pass sanitaire européen et le document informatique grec mais ne les scanne pas. Nous sommes en Grèce.

Au retour en France, le contraste sera saisissant. De la passerelle, on nous fait descendre dans un bus bondé qui nous conduit à une sorte de salle de flicage où :

le tout sans explications et en nous traitant à peu près comme des gamins lors d’une sortie scolaire. Un dispositif certainement peu efficace par rapport à des malfaiteurs éventuels : ceux- ci peuvent atterrir à Bruxelles, Genève, Barcelone ou autres puis entrer en France par la route. Mais un dispositif qui s’inscrit dans la surveillance informatisée systématique de tous les Français.

En Grèce, les restrictions dues au Covid sont actuellement un peu plus légères qu'en France, mais les amendes plus grosses. En pratique, elles sont moins vexatoires que chez nous et plutôt bien acceptées par la population. Celle-ci porte le masque de façon à peu près autant que chez nous, mais nous n’avons pas eu l’impression qu’il y avait des contrôles. Et, en trois semaines, seuls l’aéroport et les musées d'Athènes ont demandé nos certificats européens de vaccination ( pass sanitaire ).

Bien sûr, nous voyons principalement la Grèce des touristes. Ce septembre, la Grèce des touristes est... grecque. Pendant les deux premières semaines de septembre, la rentrée scolaire n'est pas faite en Grèce alors qu'elle l'est déjà dans beaucoup de pays, mais ceci n'explique pas tout : les interdictions de déplacement internes ont été drastiques et les Grecs profitent de leur liberté retrouvée tandis que les non-Grecs sont moins nombreux qu’il y a deux ans. Il y a quand même pas mal de Français, notamment, comme c’est l’habitude, dans les sites archéologiques, et bien d’autres nationalités.

Globalement, le compte n'y est quand même pas. Certains établissements pour touristes font grise mine ; plus nombreux sont ceux qui ne font plus de mine du tout. Kalampaka, par exemple, petite ville qui vit principalement du tourisme ( les Météores ) est sinistrée. La saison 2020 avait été presque inexistante ; 2021 aura peut-être vu une activité touristique de l'ordre de la moitié de celle des années antérieures au Covid.

En revanche, les activités industrielles et commerciales non liées au tourisme semblent avoir été relancées par rapport à il y a cinq ans. En Attique, on voit pas mal d'ateliers et d'entrepôts récents, voire neufs. Ils cohabitent avec d'anciennes usines désaffectées dont les carcasses subsisteront presque éternellement. Le chômage, notamment celui des jeunes, reste très élevé, mais des intérêts étrangers ont investi en Grèce pour profiter d'une main d’œuvre de qualité et obligée d'accepter presque n'importe quel salaire.

 

Les incendies

La Grèce a l'habitude des incendies. Apercevoir ici où là de arbres calcinés est banal. Les incendies récents n'étaient inhabituels que par leur nombre et leur ampleur.

Dans le Péloponnèse, si nous n'avions pas été au courant, nous aurions pu ne pas deviner ce qui s'est passé. Au nord d'Athènes, impossible par contre de ne pas remarquer les dégâts, par endroits même des deux côtés de l'autoroute.

Une franco-grecque qui vit une partie de l'année en Eubée nous a donné quelques éléments d'explication. Les propriétaires d'oliviers débroussaillent généralement quand ils font les récoltes. Les mauvaises années, ils ne viennent pas sur leurs terrains et ne débroussaillent pas. Or il y a eu deux mauvaises années successives, ce qui était rare. Les arbres de la moitié Nord de l'île ont brûlé, à l'exception d'une petite bande, ainsi que ceux d'une partie de l'Attique. Le front des incendies atteignait 30 kilomètres.

Il faudra une vingtaine d'années pour que les arbres repoussent et atteignent une taille de 2 à 3 mètres.

 

Fierté historique

Ce qui frappe plus particulièrement en 2021 c'est autre chose : c'est une fierté historique, celle de la guerre d'indépendance contre les Turcs. Très réelle dans l'esprit des Grecs, elle a été célébrée par les pouvoirs publics à l'occasion du deuxième centenaire du soulèvement qui a conduit à l'indépendance de la Grèce (1).

C'est encore plus visible à Nauplie (Péloponnèse), car cette ville a été la première capitale de l'état grec, de 1827 à 1831. Partout à Nauplie, il y a des noms de rues et des monuments qui font allusion à la guerre d'indépendance contre les Turcs.

Parmi ces héros, il y en a eu un dont le dévouement à sa cause et le désintéressement étaient incontestables, Ioannis Capodistrias, le premier gouverneur de la Grèce indépendante. Curieusement, c’était un comte vénitien qui avait également été diplomate et ministre du Tsar de toutes les Russies. Il a été assassiné en 1931 par des proches de Petrobey Mavromichalis, un des premiers chefs de l'insurrection.

Nous avons aussi photographié à Nauplie :

 

Statue de J. Capodistrias - Nauplie
Buste de L. Bouboulina - Nauplie
Statue du Captaine Canaris - Nauplie
Monument aux généraux français de l’expédition de Morée - Nauplie

 

Car la saga de l'indépendance grecque a été ternie par le fait que les Grecs se sont largement battus et assassinés entre eux, notamment pour des raisons liées au partage du futur pouvoir et sur fond d’intérêts divergents.

Les églises orthodoxes ne sont pas absentes de cette célébration

 

 

ni la foire du livre à Athènes.

 

Foire du livre - affiche A. Korais

 

Les Grecs célèbrent chaque année le « jour du non ». En 1940, le dictateur Metaxas, confronté à une agression puis à un ultimatum délibérément inacceptable de Mussolini, aurait répondu « Όχι  » (3). Le vrai motif de fierté est évidemment la valeur de l'armée grecque qui a battu celle de Mussolini, théoriquement beaucoup plus puissante. Ceci a conduit l'Allemagne d'Hitler à envahir la Grèce et a donc retardé l'agression allemande contre l'URSS. C'est en partie pour cette raison que l'Allemagne a perdu la guerre.

Mais on occulte presque complètement que Metaxas fut pendant quelques années un dictateur comparable à Mussolini, avec notamment quelques 15 000 prisonniers politiques dont beaucoup torturés.

J'ai quand même été un peu surpris de voir à Kamena Vourla une plaque Οδος Ιωάν. Μεταξά (4). J’imagine qu’il y en a d’autres ailleurs.

 

Les anglo-saxons aiment réécrire l’histoire de la seconde guerre mondiale et surtout de ce qui a suivi. La résistance grecque avait été principalement d’inspiration communiste et ces derniers étaient très appréciés, notamment dans les campagnes. Ils étaient assurés de l’emporter largement en cas d’élections démocratiques. La Grande-Bretagne, appuyée par les États-Unis, a fait le nécessaire pour que cela ne se produise pas. Les communistes et leurs alliés ont été écrasés par l’armée ( qui n’avait pris aucune part à la résistance ), la police, quelques partisans du roi ( qui s’était réfugié en Égypte, alors britannique ) et des milices.

Certains se sont réfugiés en Bulgarie ou en Roumanie ; nous avons rencontré par hasard la fille de l’un d’entre eux (5).

On présente souvent cette guerre civile comme un épisode presque héroïque de la lutte contre le stalinisme !

 

Pendant que nous étions en Grèce, Mikis Theodorakis est mort. Le retentissement a été considérable. Le gouvernement a décrété un deuil de trois jours.

Lors de la dictature des Colonels (6), Mikis Theodorakis avait été détenu pendant deux ans, puis libéré et exilé sous la pression de l’opinion publique internationale. Avec Mélina Mercouri, il avait été à l’étranger le porte-parole infatigable de la résistance contre la dictature.

Un de nos hôtes, fils d'un ancien responsable socialiste, était élève à l’école polytechnique d’ Athènes. Par chance pour lui, il était retourné dans son village pour aider à la récolte lorsqu'un char a fracassé la porte de l'école et qu'une centaine de personnes, dont 23 à 25 des étudiants de l'école, ont été tuées.

 

Il m’a paru intéressant de comparer avec la France.

 

En 1989 a été célébré le bicentenaire de la révolution de 1789, c’est-à-dire de la prise de la Bastille. Nous avons donc eu aussi notre Bicentenaire. Rappelons quand même que les massacres ont débuté peu après la prise de la Bastille pour culminer avec la Terreur.

La lutte des Grecs pour l’indépendance, malgré ses bémols, a plus d’allure.

 

Dans notre imaginaire national, de nombreux motifs de fierté français relèvent du fantasme ; ils sont parfois entretenus délibérément :

Je mets à part de Gaulle, à qui on peut certes reprocher a posteriori certaines erreurs, mais qui fait quand même une vraie exception, face à cette liste morose (7).

 

Mort de l’Histoire

L’Histoire, bien enseignée et comprise, stimule l’esprit critique. Elle conduit à prendre ses distances avec les représentations conventionnelles et à rechercher les causes profondes. Karl Marx a montré que celles-ci sont largement économiques.

C’est pourquoi la droite française a tout fait pour limiter l’enseignement de l’Histoire dans notre système éducatif et est parvenue à le ramener à la caricature que l’on connaît aujourd’hui.

Mais même ce stade est dépassé. « Grâce » notamment aux séries TV et jeux sur Internet, l’Histoire est remplacée par une sous-culture qui mélange un réel fantasmé et de l’imaginaire qui n’a rien de neutre. Cela rend les jeunes imperméables à la réflexion sérieuse. Ce n’est pas un hasard si ce décervellement est appuyé, par les GAFAM » et les « majors ». Ces derniers font partie du très grand capital qui a délibérément établi sa dictature de fait sur une grande partie de la planète.

 

On dit que la sagesse est l'apanage de la vieillesse. Je crois pour ma part que c'est plutôt le désenchantement. Et en cette époque bildenbergo-bruxello-macronienne, les motifs de désenchantement ne manquent pas.

 

(1) Le 25 mars 1821

(2) Sans lien avec le chef de l'Abwehr pendant la seconde guerre mondiale

(3) « Non » en Grec

(4) « Rue Ioannis Metaxas », prénom et nom du dictateur

(5) Pour cette époque ( avant et après la seconde guerre mondiale ), je recommande « Oncle Abraham vit toujours ici », en traduction française aux éditions Monemvassia http://editions-monemvassia.com/

(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictature_des_colonels

(7) J’écris ceci d’autant plus tranquillement que j’ai voté contre lui et ses partisans depuis que j’ai eu le droit de vote ( 21 ans à l’époque )

(8) Toutes les photographies, sauf une, sont à mettre au crédit de mon épouse. J’ai eu le tort de ne pas préciser la même chose lors de mes anciens articles sur la Grèce.


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