Une pauvre souffrance silencieuse …
par C’est Nabum
samedi 3 octobre 2015
Quelques privilégiés honteux ...
Loin des joies sans problèmes du quidam de base.
On ne dira jamais assez la souffrance silencieuse que subissent les malheureuses personnes qu'on désigne sous l'étrange et mystérieux sigle de V.I.P. . Partout autour des grandes manifestations on aperçoit désormais des panneaux indicateurs destinés à parquer ces personnages repérés par cette marque d'infamie.
Nul jusqu'alors n'a songé à décrire le calvaire de ces gens qui, sans cesse sous les feux de la rampe, bénéficient d'un traitement particulier et doivent se montrer à leur avantage afin d'être à la hauteur de leur réputation. Personne n'imagine l'angoisse de ces êtres qui bénéficient de passe-droits, de conditions avantageuses, de places préférentielles, de petits suppléments et d'une kyrielle d'autres prestations qui les distinguent du commun des mortels.
A-t-on songé aux remords qui les accablent à chaque fois qu'ils profitent honteusement de ces avantages indus ? Ils doivent supporter la crainte permanente d'être montrés du doigt, accusés de bénéficier de privilèges dans une nation qui, un certain 4 août, les avait abolis. Craignent-ils de perdre la tête comme leurs glorieux devanciers ? Imaginez les affres d'une telle interrogation.
Ces personnes sont si importantes qu'il faut sans cesse les préserver, les protéger, les mettre dans un cocon protecteur. On ignore à quel point, leur santé est fragile. C'est pourquoi,comme elles ne peuvent marcher comme le quidam de base, il est nécessaire de leur trouver une place de parking à proximité immédiate de la manifestation.
Pire encore, ces êtres si délicats ont un tel souci de leur apparence qu'ils doivent marcher sur des tapis rouges et des moquettes au risque de mettre en danger des escarpins faits sur mesure et ayant coûté les yeux de la tête. On ne peut s'imaginer l'angoisse à l'idée de tacher de boue ou bien d'excréments des pieds qui sont bien au-dessus de la plèbe.
Une fois dans l'enceinte, ils aimeraient, eux aussi, se mêler à la foule, profiter des effluves de sueur et de frites. Hélas, rien de tout ça : ils doivent assumer leur statut, rester dans l'entre-soi, éviter les pauvres et leurs manières si pittoresques. Ils sont confinés dans un espace aseptisé, sans le brouhaha des foules, sans les mouvements d'une multitude parfois enthousiaste.
Ils ont encore bien des sacrifices à accomplir. Quand le spectateur de base déguste avec volupté des bières sans alcool servies dans des gobelets en plastique,qu'il a payées d'ailleurs très cher, eux sont obligés de faire bonne figure et de vider avidement des coupes de champagne si gracieusement offertes, qu'il n'est pas envisageable de les refuser. Ils doivent se forcer, assumer un alcoolisme mondain de bon aloi, sacrifier leur foie à la mesure de leur importance.
Ils adoreraient pouvoir manger un sandwich informe de jambon maigre ou bien de rillettes sans saveur, au lieu de quoi il leur faut se goinfrer de petits fours trop gras, de pâtisseries trop lourdes, de bouchées de poissons crus qui mettent leur estomac au supplice. D'autant qu'à la fin de la rencontre, quand la foule prendra le chemin du retour, ils devront encore se mettre à table et recommencer ces agapes interminables en faisant semblant de s'enthousiasmer pour un spectacle auquel ils n'ont même pas pu assister.
Car ces personnages hors du commun sont fragiles, il faut les protéger des miasmes de la foule. Ils sont confinés dans des loges sanitaires à pression sécurisée, avec un contrôle sanitaire rigoureux. Ils sont dans l'obligation de se coltiner des mondanités sans fin qui les privent du bonheur simple d'un match de foot ou bien d'une partie de tennis. Ils vivent dans une bulle, ce qui ne les prémunit jamais contre une épidémie sournoise.
Le V. I. P. est contraint sans cesse de faire bonne figure, de surveiller son langage, de modérer ses enthousiasmes, de réguler ses passions. C'est une vie sans relief ni surprise. Tout est programmé, surveillé, encadré pour ces pauvres gens. Ils sont pris en charge par des hôtesses si charmantes qu'ils en ont parfois des palpitations. Ils sont fort heureusement remis dans le droit chemin par des gardes du corps qui ne les quittent pas des yeux.
Privés d'intimité, de liberté, de possibilité de dépenser cet argent dont ils ne savent plus que faire, les très importantes personnes se sentent coupées de leurs frères humains, les pauvres et les modestes. Ils perdent de vue la réalité de l'existence, ils cessent de se sentir en empathie avec des gens qu'ils ne croisent plus jamais. Leur vie est un paradis bien plus délicat à vivre que l'enfer des autres.
On ne s'imagine pas tous ces tourments, ces excès qu'il faut assumer, ce confort qu'il faut supporter, ces prévenances qui finissent par sembler naturelles. Isolés dans leur bulle, ils sont coupés de tant de choses que rien ne les consolera jamais de vivre loin des difficultés du quidam de base qui veut se rendre à une grande manifestation.
J'espère désormais que vous aurez un regard compatissant pour ces personnages qui, à force de vivre en marge, dans le coton et le confort, se sentent si mal compris qu'il m'a semblé nécessaire de venir défendre leur cause auprès de vous. Il n'est jamais facile de se sentir au-dessus des autres : le vertige vous menace à chaque instant.
VIPement leur.