Rwanda 1994 - Vénézuela 2019 : 25 ans !

par Bertrand Loubard
mercredi 27 février 2019

 

Ce 6 avril 2019 il y aura 25 ans que l’avion présidentiel rwandais était abattu par un tir de deux missiles lors de son atterrissage à l’Aéroport International Grégoire Kayibanda de Kanombe, Kigali (KGL). Ce fut le déclenchement du Génocide des Tutsis du Rwanda, initialisation incontestable et admise par tous, de cette catastrophe humaine.

La plupart des « faits réels », depuis le 06/04/1994, « sont relativement bien connus » et documentés, ayant fait l’objet de procès d’un grand nombre de personnes incriminées par la Communauté Internationale au TPIR à Arusha (Tanzanie de 1994 -2019) et également par les juridictions nationales de nombreux pays comme la France, le Canada, la Belgique, les USA. De plus, beaucoup d’enquêtes officielles, d‘investigations journalistiques ainsi que de nombreuses études universitaires ou de rapports internationaux[1] ont été publiés depuis lors. Des témoins ont rapporté un grand nombre de cas dont la véracité n’est remise en doute par personne. Les déclarations bouleversantes faites par des acteurs ou des proches des acteurs du drame sont indénombrables. Des associations se sont créées pour honorer les mémoires[2]. Des thèses ont été écrites, des débats ont été organisés[3] sur les prémices, les circonstances et les diverses parties du déroulement du Génocide des Tutsis.

 

Cette abondance de réactions, d’initiatives et de prises de positions est révélatrice de ce que, si les « faits réels » sont « relativement bien connus », les avis, les analyses, les enquêtes et leurs résultats, révèlent des interprétations profondément divergentes et âprement défendues, par les uns ou par les autres, tous sincèrement convaincus, quant aux tenants et aboutissants du drame du Génocide des Tutsis du Rwanda.

 

Ce foisonnement est aussi dû à ce que les « faits réels » sont devenus les objets de « récits » de moins en moins précis : depuis les romans[4] et films[5] de fiction, jusqu’aux soi-disant documentaires[6], des pièces de théâtre[7] jusqu’aux bandes dessinées[8]. De plus en plus, les représentations de « cette réalité » ont flués vers un « imaginaire » tenant de légendes réductrices, de caricatures simplistes, d’images d’Epinal rassurantes, de sagas calquées sur des modèles mythologiques « conformes »[9] On constate, en effet, une dérive du signifié, une déformation progressive des signes, des sens et même des mots[10] pour en arriver à la représentation qu’on appellerait aujourd’hui, une « réalité augmentée marchandisable ». A côté des « fluages », il y a les anachronismes, les imprécisions, les erreurs[11] qui émaillent bon nombre de ces « publications ». Cela n’en diminue cependant pas le caractère bouleversant des « faits avérés », mais émousse la confiance qu’ils devraient susciter quant au contenu réel de la lecture qu’on peut faire de leur narration. Car lorsque le « récit » devient « marchandise » on se rapproche dangereusement de la « propagande » et de la création de « fonds de commerce » à propos desquels la promotion et la publicité peuvent se permettre des amalgames, des approximations sur l’interprétation des « faits réels » invoqués. Le dogme, le prosélytisme et les inquisitions[12] peuvent se partager un champ libre, dès lors, que s’ouvrent les perspectives de l’espace d’expression qu’offre le marché de la « responsabilité de protéger » et de « l’intervention humanitaire ».

 

Mais que vient faire le Venezuela dans l’histoire rwandaise ? Il s’agit de deux situations de crise manifestement causées par un ensemble d’éléments et d’initiatives qui concourent à mettre en places les conditions de la violence souhaitée par nombre d’acteurs. Certains de ces éléments, de ces situations et acteurs sont véritablement « exogènes » et ne correspondent aucunement à la notion des révolutions socio-culturelles, à celle des mouvements de libération nationale ou à celle de guerres civiles comme il en a tant existé au cours des dernières décennies. Les similitudes entre le Vénézuela et le Rwanda n’en sont pourtant que d’autant plus flagrantes. Mais il est évident que les scénarios sont adaptés aux données géopolitiques du moment, aux conditions socio-économiques de chaque région, à l’évolution dans les stratégies d’intervention et dans les techniques de déclenchement du chaos. Les mises en scène doivent aussi entrer dans le carcan des productions médiatiques commercialisables répondant à la demande du moment.

 

Pour le Vénézuela :

Le gel des avoirs vénézuéliens par la Banque d’Angleterre, par la Banque Européenne et les banques américaines (plusieurs milliards d’euros et de dollars) font partie des stratégies économiques et financières devant asphyxier le Venezuela, affamer sa population la plus pauvre et créer les troubles subséquents inévitables. Les divers embargos et/ou blocus sont un des moyens classiques pour brouiller les causes et les conséquences. Il s’agit d’un des stratagèmes pour « déguiser » les politiques d’agression en mobilisation humanitaire des moyens de pression ou en initiative de dissuasion pacifique. L’invocation des valeurs démocratiques, du respect des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption, sont des leurres pour inhiber toute approche critique objective des situations créées par les ingérences. (cfr. : Madeleine Allbright et les 500.000 enfants morts en Irak suite à l’embargo [13])

Hugo Chavez, père de la « révolution bolivarienne », Nicolas Maduro, son successeur contesté par la Communauté Internationale, amie du peuple Vénézuélien et Juan Guaido, président auto-proclamé, sont trois figures majeures du Vénézuela de ces 20 dernières années. Les influences culturelles, économiques et sociales sont importantes pour chacun de ces trois leaders. La mort de Chavez est plus que suspecte et les documents déclassés de la CIA valideraient la thèse de son élimination par les services secrets américains. La corruption dans le pays est évidemment le fait de corrupteurs, « fils de pute » ; mais reconnaissons que ce sont « nos fils de pute »[14] et que finalement, le Vénézuela détient probablement la plus grande réserve de pétrole du monde (296,50 milliards de barils – estimation OPEP 2010). La violence armée que le pays a connue n’est pas jusqu’à présent, le fait de troupes d’une armée étrangère Mais les USA, actuellement, auraient d’ores et déjà pré-positionné des troupes d’interventions spéciales dans les Caraïbes.

 

Pour le Rwanda :

Au moment de la chute du Mur de Berlin, en 1989, les changements entrepris dans le cadre de l’« Aggiornamento » politique avaient commencé à porter de timides fruits. Mais les politiques d’austérité, la libéralisation de l’économie, la privatisation des sphères socio-culturelles, les restrictions dans le secteur public imposés par la Banque Mondiale, le FMI, la BERD et Consorts ont été des éléments de conjoncture imposée et de contexte fabriqué qui ont été de véritables initiatives dignes d’un blocus pervers, d’un embargo de fait, injustifiées dans une large proportion. La concomitance de la chute des cours du café, du thé et de l’étain, et d’une famine décennale liée aux cycles des sécheresses intertropicales récurrentes et endémiques, a subitement inversé les avis des experts sur le Rwanda. Il était, avant ces dates, considéré comme un pays relativement calme, relativement respectueux de « nos » valeurs. Il avait le plus petit budget militaire de l’Afrique et, relativement, les plus gros moyens dédiés aux développements sanitaires, agricoles et socio culturels. La corruption rampante avait été, semble-t-il, relativement et efficacement muselée à un niveau assez bas. Mais la deuxième République avait des liens non seulement avec l’occident (France, USA, Canada, Belgique, Allemagne), mais aussi avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord. (Mal lui en prit ?) La deuxième république est devenue en quelques mois, ceux qui ont précédés l’invasion Ougandaise, une « dictature sanguinaire » dont le « peuple unanime » « appelait à l’aide son sauveur » : Paul Kagamé !

Le Rwanda avait, à l’Ouest, au Zaïre, un voisin et un allié : Mobutu déclinant et déjà lâché par les USA. A l’Est, il avait, en Ouganda, un voisin et un ennemi : Museveni devenant, entre temps, « our new good boy » des USA. Le cancer de la prostate de Mobutu obligeait la communauté internationale, amie des peuples de la Région des Grands Lacs d’Afrique, à lui choisir en toute objectivité un successeur, digne de confiance et « obligé ». Mais celui-ci, Museveni d’Ouganda, se déclarant le seul « Président élu à vie d’une Démocratie à Parti Unique », excéda Obama, qui lui réplica : « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes »[15] ( = Occupez-vous de vos institutions nous nous occupons de vos homes forts et des richesses de votre sous-sol). Et ce fut Kagamé qui fut adoubé, nouveau vassal de l’Empire.

A l’Ouest du Rwanda, dans les territoires des Kivu de la République Démocratique du Congo il y a les richesses du Grand Rift Africain : cobalt, or, diamant, uranium, coltan, wolfram (tungstène), béryl, bois précieux, terres rares, etc. etc. Ce qui fait que le Rwanda est devenu le premier exportateur au monde de quasiment toutes ces richesses bien que n’en possédant aucune sur son territoire. Les pilleurs sont bien entendu des « fils de pute » mais ce sont malgré tout, nos « fils de pute ».

A l’Est du Rwanda il y a le Lac Kivu, riche en gaz méthane et le Lac Albert (entre la RDC et l’Ouganda) riche en pétrole. (Mal lui en prit ?)

 

Et pendant ce temps-là, les troupes américaines continuent leur mouvement. Lors des élections en RDC, le mois passé, des troupes de l’Africom avaient été pré-positionnées au Gabon au cas où l’élection de Tshisékédy n’aurait pas suscité la liesse (que l’on sait) de la part du peuple congolais. Pour le Vénézuela les troupes US sont mises en alerte dans les Caraïbes prêtes à intervenir humanitairement pour supprimer le pouvoir en place actuellement et ne pas se laisser dérouler le processus en cours. « Les Etats Unis vont passer aux actes pour soutenir la démocratie »[16] (sic !).

Pour le Rwanda, il y a une base US en construction dans le Bugéséra. La deuxième République Rwandaise avait toujours refusé cette prérogative aux USA (Mal lui en prit ?) [17]. Et pendant ce temps-là les conseillers russes affluent en Ouganda pour entraîner les troupes de Museveni. Et les mésententes avec son voisin rwandais s’affirment de plus en plus. [18]

Faut-il rappeler le scénario de l’assassinat d’Habyarimana (et accessoirement de Ntaryamira) ?

1 - Les troupes américaines de l’Africom, venant de Stuttgart, sont pré-positionnées à Bujumbura une semaine avant l’attentat.

2 – Le 4th Airlift Squadron de l’Air Force Base de McChord, basé à Seattle, Etat de Washington, arrive également à Nairobi (Kenya) pour l’opération « Distant Runner/Assistance to Belgium »

2 - Appareillant 2 jour après l’attentat, du port de Mogadiscio (Somalie), le 11th MEU (SOC) du USS Peleliu arrive d’abord à Mombassa et ensuite à Bujumbura pour finalement dropper des forces héliportées (par CH-53 E[19]) à Kigali, avec des APC - M113[20]. (cfr. Samantha Power : « A Problem from Hell »).

 

En 1994, l’administration de Bill Clinton a refusé qu’il y ait une intervention de la Communauté Internationale pour faire arrêter le Génocide....pour quelles raisons ? A l’Onu elle a tout fait pour que la Minuar (Mission des Nations Unies au Rwanda) ne puisse intervenir et soit même désengagée. Pour quelles raisons ? La Communauté Internationale, à part la France, adopte un mutisme assourdissant et encore plus parlant que ce que Paul Kagamé a dit sur la BBC : « J’avais le droit ![21] et [22] » Pour quelles raisons ? Aucun Hutu génocidaire reconnu coupable et condamné au TPIR, n’a été inculpé de la planification du Génocide ni de l’assassinat des Présidents Habyarimana et Ntaryamira. Pour quelles raisons ? Aucun Hutu génocidaire condamné par des juridictions européennes, canadiennes ou américaines n’a été reconnu coupable d’avoir été auteur, co-auteur ou complice de l’attentat. Pour quelles raisons ?

Au Rwanda il y a 25 ans, Paul Kagamé « avait le droit ». Au Vénézuela aujourd’hui « on » aura aussi, sans doute, le droit .......

 

Malraux qui avait combattu durant la guerre d’Espagne (1936-1939) du côté des Brigades Internationales contre Franco (qui traitait ces brigades de terroristes) a dit : « On peut avoir raison et perdre une guerre ». En paraphrasant Malraux ne devrait-on pas dire : « Au Rwanda, Paul Kagamé avait tort, mais a gagné la guerre » ? Le doit du vainqueur est de juger les vaincus, d’écrire l’histoire, d’instaurer des tribunaux d’inquisition et d’alimenter les organes de la propagande.

 

Au Rwanda il y a 25 ans. Au Vénézuela aujourd’hui ? Deux pays trop pauvres pour avoir le droit de faire face à la meute des pilleurs de "leurs" immenses richesses..... 

 

[1] Mapping Report – Mari Pillay

[2] IBUKA- France et beaucoup d’autres de par le monde

[3] https://genevaconference-tpir.univ-paris1.fr/la-conference,401

[4] « Un dimanche à la piscine à Kigali » - Gil Courtemanche, entre autres

[5] - Kiniarwanda - Alrick Brown - Avec Cassandra Freeman dans le rôle de Rose Kabuye (Amie intime de Bernard Kouchner qui ne semble plus devoir s’inquiéter du sort mystérieux réservé par Kagamé à cette héroïne du Génocie des Tutsis du Rwanda)

[6] - Hôtel Rwanda - Terry George.

[7] Groupov et bien d’autres

[8] Kivu - Van Hamme – (Braeckman, dans la préface de cette BD ne voit le Rwanda que comme le « commercialisateur » des richesses congolaises, se conformant au processus (de blanchiment) de Kimberley, cher à Michel Louis)

[9] Le Génocide des Tutsis du Rwanda est amalgamé avec la Shoa. Certains Tutsis du Rwanda se réclamant plus ou moins ouvertement descendants d’une tribu d’Israël - Edith Bruder (Black Jews)

[10] Les « survivants » du Génocide auraient une certaine priorité sur les « non-survivants » ? - Catalina Sagarra Martin in "Obstacles et enjeux d'une écriture témoignante". Editions du centre d'action laïque.

[11] « ...à Bukavu ... la frontière, marquée par une rivière se jetant dans le lac Kivu ... » p 52 « Rwanda, la fin du silence » – Guillaume Ancel. (La Ruzizi est un émissaire du Lac Kivu vers le Lac Tanganyika).

[12] « Evoquer le sang des Hutus revient à salir le sang des Tutsis » - Dominique Sopo - SOS Racisme.

[13] https://www.youtube.com/watch?v=RM0uvgHKZe8

[14] Paraphrasant ce que disait Roosevelt du dictateur nicaraguayen Somoza, « C’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute … »

[15] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2009/07/13/l-afrique-n-a-pas-besoin-d-hommes-forts-mais-de-fortes-institutions_1218281_3212.html

[16] Le Figaro.fr avec AFP le 24/02/2019

[17] https://www.youtube.com/watch?v=bds4sLtV0o0

[18] https://www.youtube.com/watch?v=K_LEVlSdCcs

[19] Le CH-53E Super Stallion est un hélicoptère de transport lourd.

[20] Samantha Power : « A Problem from Hell » - P 354

[21] https://www.youtube.com/watch?v=ABhj4ZR34Gk

[22] http://www.france-rwanda.info/article-22787313.html


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