Une frappe aérienne sur l’Iran ?
par Bertrand C. Bellaigue
samedi 18 février 2006
« Le politologue russe Mikhaïl Deliaguine estime probable une frappe aérienne américaine contre les sites nucléaires en Iran, » cité par l’agence russe RIA-Novosti dans une information publiée le 14 février. Le président de l’Institut des problèmes de la mondialisation a constaté, lors d’une conférence de presse, que "ces derniers jours, les Etats-Unis éprouvent un besoin croissant de mener une guerre contre l’Iran", et a comparé la situation actuelle à celle de 1999, à la veille des bombardements par l’OTAN en Yougoslavie, et à celle de 2003, à la veille de l’occupation de l’Irak par les troupes de la coalition.
Ces déclarations, qui ne peuvent être prises comme une prophétie, sont néanmoins un indicateur significatif de ce que pensent les observateurs russes compétents après avoir noté, comme ceux des pays d’Occident, l’augmentation de la tension .
On peut rapprocher l’opinion exprimée par M. Deliaguine des informations publiées au début de l’année par la presse britannique et la presse israélienne, faisant état de manœuvres réalisées par les forces aériennes d’Israël et ses marines de guerre simulant une intervention sur les implantations nucléaires souterraines en l’Iran, dans le style de l’action menée en juin 1981 contre le réacteur « Tammuz », d’Ozirak, en Irak .
Israël, menacé de destruction - au moins en parole - par le président de l’Iran - prend très au sérieux les menaces potentielles qui pèsent sur son existence, en dépit des assurances de M. Hassan Rohan, responsable du nucléaire iranien. Ce dernier a affirmé récemment lors d’une conférence de presse que l’Iran ne dissimule « aucune activité nucléaire secrète ». Selon celui-ci, au contraire, le « dossier nucléaire iranien est en voie de règlement ».
Les deux cents ogives que - selon les experts - possède Israël continuent, quelles que soient les circonstances, à lui fournir un argument de poids à l’égard de potentiels agresseurs.
Les informations contenues dans le dernier rapport des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique ( AIEA) semblent indiquer que Jérusalem a de bonnes raisons de s’assurer des moyens de sa défense. L’Agence internationale doute que l’Iran soit prêt à collaborer avec les inspecteurs chargés de vérifier les sites sensibles dans le pays, dans le cadre de l’accord passé, en 2003, après la signature par Téhéran du protocole additionnel au Traité de non-prolifération. Il est vrai qu’on a entendu la même antienne à propos de l’Irak en 2003.
Le rapport des experts de l’AIEA fait état de la découverte dans une usine à Farayand (Iran) de traces d’uranium hautement enrichi. Ce métal pourrait être destiné à la fabrication d’une bombe nucléaire. Des particules similaires ont d’ailleurs déjà été trouvées, il y a un an, a-t-on appris de même source, sur deux autres sites, à Natanz et Kalaye. Le rapport rendu le 1er juin aux gouverneurs de l’agence indique, d’autre part, que "l’Iran continue de fabriquer des pièces de centrifugeuses, qui servent à enrichir l’uranium, alors qu’il a affirmé avoir stoppé cette production depuis le mois d’avril". L’AIEA affirme encore que Téhéran a aussi reconnu avoir importé "quelques aimants", éléments de centrifugeuses, mais aurait, en fait, cherché "en vain" à s’en procurer des quantités plus importantes à l’étranger.
De tels constats incitent les pays occidentaux, pourtant partisans d’une négociation avec l’Iran, à ne pas cesser, dans le même temps, d’utiliser tous leurs systèmes d’observation pour se prémunir, par tous les moyens, contre toute surprise.
Les commencements de preuves rapportés par les experts de l’AIEA ne signifient pas que l’Iran soit en mesure de fabriquer dans l’immédiat des éléments permettant d’assembler et de concevoir des systèmes d’armes nucléaires dans un délai minimum de trois années. Mêmes s’il possède des vecteurs de moyenne portée, capables d’atteindre n’importe quelle cible au Proche-Orient, la possession de ces engins n’implique pas que des ogives nucléaires puissent leur être adaptées. Encore faudrait-il - l’Iran ne manque pas de déserts pour le faire - procéder à des essais de rendement et de puissance qui seraient alors effectués en contravention flagrante des termes du traité de non-prolifération. D’autant plus que ses gouvernants devraient compter avec la présence les satellites occidentaux d’observation . Rien n’échappe à ces engins dont la définition est de moins d’un mètre.
Pour que ses expérimentations demeurent inaperçues, il faudrait que l’Iran se dote rapidement d’ordinateurs hyper puissants capables de réaliser ce type de programmes en « vase clos ».
Ces considérations prouvent que, pour l’heure, la réalisation de toute prévision de type catastrophique est nécessairement limitée par des impératifs scientifiques.
Ce qui n’est pas le cas lorsqu’on évoque la dissuasion nucléaire. Dans ce domaine, le verbe est le maître. Il l’est encore plus en Orient, où la richesse des langues lui confère une puissance incantatoire quasi illimitée, capable de faire confondre le rêve avec la réalité. Cela devient alors une question de foi.. Déjà, il y a deux millénaires, on pouvait écrire ce que, depuis, on répète à satiété sans être contredit dans les sanctuaires : « In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum... » La dissuasion ne peut exister que si l’on croit que le pays qu’on se propose d’agresser possède « la bombe »....
C’est ainsi que, devant des dizaines de milliers d’Iraniens rassemblés sur la place Azadi de Téhéran pour le 27e anniversaire de la Révolution islamique, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a pu affirmer que son pays pourrait se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)...
Et du côté occidental, en France même, un ministre des affaires étrangères a pu aller jusqu’à qualifier le programme nucléaire iranien de "militaire et clandestin". "Aucun programme nucléaire civil ne peut expliquer le programme nucléaire iranien : donc, c’est un programme nucléaire iranien militaire clandestin", a affirmé Philippe Douste-Blazy à la télévision. (France-2) . C’était la première fois qu’un responsable français évoquait ouvertement l’aspect militaire du programme nucléaire iranien, dont Téhéran a toujours nié l’existence.
Peut-on le croire ?
"La communauté internationale a envoyé un message « très ferme aux Iraniens : Revenez à la raison, suspendez toute activité nucléaire, l’enrichissement et la conversation d’uranium", leur disait-on. Mais "Ils ne nous écoutent pas".
De son côté, la communauté internationale "unie (...) a décidé de saisir le Conseil de sécurité qui sera saisi par un rapport de M. El-Baradeï, le directeur de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), début mars", a-t-il souligné.
Désormais : "Ce sera au Conseil de sécurité de dire ce qu’il entend faire, quels moyens il entend se donner pour arrêter, gérer, terminer, apporter une solution pacifique à cette crise terrible de la prolifération nucléaire, due à l’Iran, de manière unilatérale", a conclu M. Douste-Blazy.
Et pourtant, une semaine après l’annonce par Téhéran de la reprise à petite échelle de son programme d’enrichissement d’uranium, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’est rendu dans l’usine d’enrichissement de l’uranium de Natanz, où il s’est entretenu avec des experts. Cette visite à Natanz a été considérée comme un geste de soutien aux scientifiques impliqués dans le programme iranien d’enrichissement de l’uranium. Les activités à Natanz étaient suspendues depuis octobre 2003.
Et voilà ! La question à poser : « Cela justifierait-il une action militaire aérienne dans un pays héritier d’une civilisation aussi ancienne que celle de Mésopotamie, un des plus riches du monde en ressource non renouvelable, où un nouveau conflit armé contre l’armée et le peuple ferait ressembler celui d’Irak à une promenade champêtre ?