Saint Nicolas et la marine de Loire
par C’est Nabum
vendredi 7 décembre 2012
Une assurance céleste.
Mes Bonimenteries
La Loire n'a jamais été tendre pour ceux qui voulaient s'aventurer sur ses flots. Les incidents et les accidents ne manquaient pas, les hommes mettaient parfois leur vie en danger. Les aléas climatiques, les humeurs de ce cours d'eau impétueux, les passages compliqués aux ponts, aux moulins, aux écluses et aux duits faisaient grands périls pour nos braves mariniers.
Les blessures étaient nombreuses, les doigts cassés ou coupés, les hommes écrasés par le fret mal arrimé et ceux qui tombaient dans le flot à moins que ce ne fut sur le pavé dans une de ces innombrables bagarres dans les tavernes. La vie à quai était parfois aussi périlleuse que sur l'eau quand le vin se mêlait de l'affaire.
Les femmes, restées à terre avaient de quoi s'inquiéter de longues semaines durant. Les nouvelles ne profitaient pas des moyens modernes de transmission et la rumeur faisait souvent son œuvre malsaine. Beaucoup se tourmentaient, elles craignaient souvent pour la vie de leur époux alors que bien souvent ce n'était que sa réputation qui risquait d'être écornée.
Elles prirent l'habitude, comme leurs homologues de l'océan, de confier à Dieu et à tous ses saints la sauvegarde de ces maudits mécréants. Le Tout-Puissant devait rire sous cape de devoir sauver des âmes aussi noires, de protéger des larrons si peu respectueux du rite et si prompts aux blasphèmes. Ne voulant pas se charger d'un tel fardeau, il délégua la chose à quelque saint homme fort réputé pour sa patience et sa largesse d'esprit.
C'est au brave saint Nicolas qu'il confia le dossier. Les mariniers se conduisant souvent comme des grands enfants, il avait trouvé le bienheureux qui ferait l'affaire. C'est ainsi que depuis cette délégation divine, il est devenu saint patron de tous ceux qui vont sur l'eau au péril de leur vie. Il avait fort à faire avec tous ces flibustiers pas plus raisonnables que les chenapans dont il avait également la charge. Mais pour les plus vieux, le père fouettard n'était plus d'aucune utilité, il lui fallait trouver autre moyen de pression.
C'est auprès de leur dame qu'il obtint ce coup de pouce qui vous fait bonne presse. Leur inquiétude, leur religiosité, leur dévotion étaient si parfaites qu'il trouva dans la place des alliées zélées et redoutables pour mettre à la raison ces affreux garnements.
Une fois l'an, pas plus, il ne faut pas exagérer, il réussit à les mettre à genoux. Une procession, de belles prières, une journée de tempérance et de vaines promesses. C'est ainsi qu'une fois l'an, le nom de saint Nicolas devint le long de la rivière l'occasion d'une journée exceptionnelle. Les tavernes, ce jour-là, désemplissaient étrangement quand dans le même temps, les églises affichaient salle comble. Mais pour des raisons de navigation, ce n'était jamais le 6 décembre ...
Les mariniers, cornaqués par leurs dames, portant l'habit de fête, défilaient dans les rues en longue procession, offraient couronnes de pain et de fleurs à la rivière et s'en venaient prier à la mémoire des leurs qui avaient péri sur la Loire. Le porteur de bannière était le plus fier, marchant en tête, il était ce jour-là le premier d'entre-eux.
Le prêtre se frottait les mains, il avait sous la main tous ces lascars qui ne venaient jamais le reste de l'année. Il en profitait pour bénir les embarcations, une petite assurance-vie qui ne fait de mal à personne, une eau bénite que les vilains gras s'empressaient d'écoper dès le lendemain, mais ne le répétez pas, je vous prie.
En Orléans, tout se passait en l'église Recouvrance la bien nommée. Les femmes de mariniers s'y retrouvaient régulièrement quand leurs maris jouaient les filles de l'air. Elles l'avaient choisie pour obtenir de Recouvrer leurs gars qui s'en allaient en Loire. Elles ne se satisfirent pas de prier la très Sainte Vierge, elles édifièrent de leurs mains, une petite chapelle à la gloire de Notre-Dame-de-Bon-Secours pour obtenir du très haut que leur époux leur revienne sain et sauf.
À Châteauneuf-sur-Loire, un monument aux marins disparus était fleuri chaque année. Il commémorait surtout les gars qui avaient péri en allant au secours des gens du pays lors des terribles crues de 1846, 1856 et 1866. Partout ailleurs, sur le bord du fleuve, des croix de saint Nicolas rappellent cette culture si présente à l'époque. La légende attribue à celle de Saint-Père-sur-Loire le pouvoir de marier les filles et de leur permettre d'enfanter.
Maintenant il faut avouer que la saint Nicolas, un 6 décembre, était bien mal placée dans le calendrier des mariniers. Les eaux étaient hautes, les transporteurs par voie d'eau avaient bien d'autres chats noirs à fouetter qu'à se confire en dévotions. L'église dans sa souplesse d'esprit, accepta facilement de décaler les festivités au moment de l'étiage. C'est souvent en août que nos villes ligériennes étaient en fête. Et nos mariniers ayant bien plus de disponibilité pouvaient alors lever le coude jusqu'au bout de la nuit sans risquer mésaventure le lendemain.
La tradition survécut jusqu'au détour de la première guerre mondiale puis tout fut oublié dans le désastre de cette terrible épreuve. Les mariniers d'aujourd'hui qui ne sont que marins amateurs et amoureux de la Loire relancent ce rituel pour honorer une mémoire encore vive sur les bords de notre rivière. Laissons les géographes la nommer fleuve et gardons la manière marinière de la chérir respectueusement. La Loire vaut bien une procession, une fois par an !
Chapitrement vôtre.