Il y a 100 ans jour pour jour, le 17 janvier 1911 : attentat manqué contre le président du Conseil, Aristide Briand
par FrancePittoresque
mardi 18 janvier 2011
Le 17 janvier 1911, Antoine Gizolmes, présenté comme un déséquilibré, tente d’assassiner en pleine séance de la chambre tenue au Palais-Bourbon, le président du Conseil, Aristide Briand. Le Figaro du lendemain se fait l’écho d’un attentat manqué qui relance la polémique autour du permis de port d’arme. Extraits.
Voici les faits. M. le député Razimbaud était hier vers trois heures à la tribune de la Chambre et dénonçait « certains procédés administratifs ». Une détonation interrompit brusquement son discours. Une balle partit de la tribune A, qui est située au-dessus des bancs de l'extrême gauche, et passa tout près de MM. Bougère et Villebois-Mareuil, assis à droite, près du banc des ministres. A ce moment on vit, dans la tribune A (la galerie, disent les familiers du Palais-Bourbon), un homme qui tenait son revolver braqué sur M. Briand. Une seconde balle partit, qui n'atteignit ni le président du Conseil, ni M. Guist'hau, placé à côté de lui, mais vint frapper à la cuisse M. Mirman, assis derrière eux. M. Mirman est directeur de l'Assistance publique au ministère de l'intérieur. C'est un fonctionnaire distingué, doué d'une grande puissance de travail.
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Hier, il suivait les débats en qualité de commissaire du gouvernement. On le vit s'affaisser, et une émotion agita tous les spectateurs. Cependant, M. le président Brisson, s'étant coiffé de son chapeau, quittait la salle des séances et les huissiers firent aussitôt évacuer les tribunes. On releva M. Mirman et on le transporta à la questure. La balle avait traversé la cuisse droite de part en part et, sortie, avait frappé le mollet gauche, qui lut seulement contusionné. M. le député Augagneur s'étant rappelé ses connaissances chirurgicales, examina la blessure. Aucun gros vaisseau n'avait été atteint par le projectile. M. Mirman fut ramené immédiatement chez lui. Son état n'inspire aucune inquiétude.
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C'est un nommé Antoine Gizolmes, né a Andelat, près de Saint-Flour, le 25 avril 1872. Il habitait 40, rue des Ecoles, chez son frère, sous-chef adjoint du cabinet de M. Lafferre, et précédemment attaché au cabinet de M. Viviani. Ce frère assistait justement, hier, à la séance de la Chambre, ainsi que son poste l'y oblige. Antoine Gizolmes a été greffier de la justice de paix de Bayonne. Mais on le contraignit à vendre cette charge, parce qu'il avait donné des preuves de déséquilibre mental. C'était en 1908. Quelque temps après, à Saint-Sébastien, il menaça d'un revolver le consul de France. Il fut interné en Espagne, et, étant revenu en France, fut enfermé à l'asile de Ville-Evrard. Il en sortit, voici quinze mois environ, et vint habiter chez son frère. M. Boucard essaya de l'interroger, mais il répondit qu'il ne dirait rien, et qu'au surplus il ne voulait pas d'avocat. « – Vous ne comprendriez pas les choses importantes que je pourrais déclarer, dit-il au juge. J'ai agi sous la suggestion de voix intérieures. – Je suis juge, dit M. Boucard. Vous avez été greffier, vous devez donc être un auxiliaire de la justice. » Cette phrase sembla frapper le fou, qui déclara qu'il avait voulu tirer sur un homme politique important, et que M. Briand s'étant trouvé là, il l'avait visé. Il ajouta qu'il regrettait d'avoir atteint M. Mirman, qui n'est ni ministre, ni député. Et puis il tient quelques propos déraisonnables, et on le conduisit à la prison de la Santé. Il avait pénétré au Palais-Bourbon à l'aide d'une carte que lui avait donnée M. Garat, député de Bayonne.
Pendant la suspension de séance qui a suivi l'incident dont on vient de lire les détails, les députés se sont en grand nombre répandus dans les couloirs. On n'était encore pas très exactement fixé sur l'auteur de l'attentat ; les commentaires allaient leur train. C'est un phénomène inexplicable, mais il y a bien cent députés qui affirment avoir entendu siffler la balle à leur oreille. L'un d'eux déclare avec de grands gestes : – Elle a passé si près de ma tête qu'en élevant la main j'aurais pu la saisir au passage. Or la balle partie de la galerie A a traversé la Chambre en diagonale, et c'est à peine si deux ou trois députés ont pu en percevoir le sifflement. D'autres déclarent qu'il est temps d'examiner d'urgence les propositions relatives au port du revolver. C'est même l'objet principal des conversations, et l'on peut espérer que, comme après la bombe de Vaillant, on prit des mesures pour assurer la sécurité au Palais-Bourbon, la Chambre se décidera à réprimer un délit qui a déjà causé la mort de beaucoup de citoyens inoffensifs. Ce fou aura plus fait que cent articles pour une campagne pleine de sagesse.
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Ajoutons ce détail, que Gizolmes collaborait, dit-on, à un journal socialiste des Landes ; le Défi. L'émotion assez vive s'est, du reste, asse vite calmée, lorsqu'on a su que Gizolmes était un aliéné, et surtout lorsque l'on eut la certitude que M. Mirman n'était pas dangereusement blessé. On affecta même une grande sérénité et un peu d'ironie. On fit des mots sur Gizolmes : « C'est un partisan de la réduction du nombre des députés, dit M. Ch. Benoist. » Au Sénat, l'émotion a été fort vive lorsqu'on apprit l'incident. Il y arriva démesurément grossi. On crut à un attentat politique contre le président du Conseil. Cette émotion fut traduite en ces termes par le président, M. Antonin Dubost : « J'ai reçu de M. Julien Goujon, la motion suivante : Le Sénat indigné de l'attentat dirigé contre M. le président du Conseil et dont M. Mirman a été victime, leur adresse à tous deux l'expression de sa vive sympathie. (Approbation unanime) Aucun terme n'est assez fort pour exprimer l'indignation que ne manqueront pas d'éprouver tous les honnêtes gens et l'horreur que leur inspire de pareils crimes. (Applaudissements.) Le Sénat me permettra, je pense, de l'associer tout entier à la motion de notre honorable collègue M. Goujon. (Vifs applaudissements) » Et l'on en revint a la loi sur la réglementation des débits de boisson.
(Extraits du Figaro du 18 janvier 1911)
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