Soirée indigeste

par C’est Nabum
lundi 20 juillet 2015

Climatisation ou produits frais ...
 

Une petite paille dans l'œil …

Il est des soirées qui remplissent pleinement les craintes qu'elles laissaient entrevoir. Celle-ci pourtant atteignit sa mission bien au-delà de mes doutes et du pressentiment que je pouvais avoir. Je sais que dans le domaine culinaire, j'ai été scandaleusement mal élevé, habitué dès mon plus jeune âge à ne manger que des produits frais et de qualité. J'ignore à peu près tout des conserves, des produits surgelés et des différentes techniques douteuses de la grande distribution qui n'ont d'autre but que de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Ainsi quand mes amis me suggérèrent d'aller manger dans un estaminet réputé surtout pour son architecture en rotonde et sa capacité à nourrir le plus grand nombre sans le souci de la gastronomie, je fis grise mine, me pinçai le nez et émis les plus grandes réserves. Mais nous n'avions que peu de temps : il nous fallait nous sustenter et non découvrir une grande table …

La prudence et la jurisprudence m'interdisent désormais de nommer ces margoulins du tout prêt, ces nourrisseurs en gros du touriste en goguette. Les avocats aux aguets sont plus prompts à pourfendre le billet critique qui met en accusation leur client qu'ils ne cherchent à améliorer la qualité du service proposé aux cochons de payants. Ainsi, la critique muselée, ces officines de la malbouffe peuvent continuer à déshonorer la réputation de la cuisine française …

Je ne vous dirai donc rien de cet endroit si ce n'est que je m'y suis rendu à pied, détail qui ne sera pas sans importance quand, en rentrant de la même manière, j'échappai de justesse à l'apoplexie. J'avais cédé à l'envie d'un camarade qui voulait se remémorer sa jeunesse passée, quand, pour des raisons professionnelles, il fréquentait l'enseigne.

Quelle ne fut pas ma surprise en arrivant sur les lieux de mon prochain calvaire de voir les tables prises d'assaut par une multitude de cobayes ! J'ai de plus en plus l'impression que c'est désormais l'enseigne que la vox populi estampille une qualité plus que douteuse. Tristesse d'un temps qui, en tout domaine, encense la médiocrité et la banalité au détriment du savoir-faire et de l'originalité.

Je m'enquis du délai d'attente auprès du chef de rang qui me répondit « on va devoir attendre ». Ce « on »impersonnel et désinvolte me hérissa d'entrée le poil .. Le service laisserait à désirer : cela se confirmerait par la suite. Quand le client n'est qu'un quidam de passage, une personne que l'on peut bousculer à plusieurs reprises car il a le malheur d'être assis en face de la caisse, il n'est rien à espérer de bon du repas.

Je ne fus donc pas déçu. Le menu était imprimé sur carton ; signe attestant que les plats ne changent guère, que la même cuisine est proposée à longueur de temps. Des plats ordinaires où la frite est à son aise et le légume en berne. La viande domine la distribution pour des plats comme à la maison. Ici, le client se nourrit ; il n'est pas là pour se régaler.

La chaleur de la soirée nous incita à nous satisfaire d'une grande salade composée. Non seulement, nous ne disposions pas d'assez de temps pour nous lancer dans des choix plus complexes, mais nous avions la certitude de toucher des produits frais de saison. Ce fut là notre erreur fatale : le poids final sur l'estomac qui ne laisse que des regrets et une sourde colère.

La salade ne tarda pas à arriver. En cuisine, ce sont certainement des magiciens qui vont plus vite que la musique du piano. Ce sont surtout les joyeux assembleurs de crudités sans saveur, venues au monde sans voir la terre et n'ayant sans doute jamais aperçu le bleu du ciel. Aucun goût, aucune texture digne de ce nom : le fadasse et la lavasse ! Car la sauce, sortie elle aussi d'un bidon industriel, offrait un bain d'huile moutardée à ces pauvres légumes naufragés.

Le pire sans doute quand on aime la table et l'art culinaire fut cet œuf poché au calibrage parfait, à la forme si douteuse qu'il est certainement issu d'une industrie inventive et ingénieuse. J'en aurais avalé mon extrait de naissance si l'indignation et la révolte ne m'avaient tenu lieu de tuteurs. Ainsi, ils osaient servir ça à ce prix là …

Je vous passe la différence pharaonique entre l'appellation sur le carton et la réalité dans l'assiette. Des tomates, même pas pelées, sans aucune saveur, sorties d'une serre manquant de chaleur, cueillies encore vertes et ayant traversé l'Europe. Je n'en pouvais plus. Les apprentis sorciers étaient à l'œuvre, promettant de jolis cancers à leurs clients fidèles.

 

J'en fis la réflexion à la malheureuse serveuse qui osa me demander si j'étais satisfait de mon plat. Je lui détaillai toutes les remarques faites plus haut et, tout en me plaignant déjà des premiers signes de la révolte de mon estomac , je lui déclarai que, pour moi, le repas était terminé sur cette touche indigne. Elle reçut cette diatribe sans broncher et s'en retourna livrer pareilles saloperies à d'autres.

J'aurais imaginé la visite d'un responsable, le passage d'un homme déguisé en cuisinier ; il n'en fut rien. La satisfaction des pisse-vinaigre de mon genre est le cadet des soucis de la maison. Les boîtes à malbouffe n'ont aucun compte à rendre ; seul le cobaye ne doit pas oublier la note à la sortie. J'ai donc payé comptant en dépit de mon état d'esprit et m'en suis retourné, manquant de vomir à chaque pas.

Je pris un produit miracle pour éviter les remontées gastriques. Pour les aigreurs et la mauvaise humeur, je ne voyais qu'un billet assassin , seul capable de me faire du bien. Voilà qui est fait ; je vous remercie de contribuer ainsi à ma guérison définitive. Certains penseront que j'en ai fait une salade pour rien ; ils auront sans doute raison ; le succès de l'enseigne atteste que la qualité n'est pas une nécessité dans ce pays.

Ulcèrement leur.


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