1965-1968, les occasions ratées de Raymond Poulidor sur le Tour de France
par Axel_Borg
samedi 13 octobre 2018
Entre la fin du règne de Jacques Anquetil (1964) et le début de l’ère Merckx (1969), Raymond Poulidor eut quatre occasions de gagner le Tour de France. Quatre fois, le destin sonna le glas de ses espoirs et le maillot jaune resta utopique pour le champion limousin.
Qui n’a pas vu le champion limousin dans cette célèbre publicité des années 70, garer son vélo à la Samaritaine, et ressortir du magasin parisien avec un paquet contenant un maillot jaune ?
C’est qu’entre 1962 et 1976, en quatorze participations à la Grande Boucle, celui qui fut le lien entre les générations Anquetil et Merckx ne porta jamais le précieux maillot de leader. D’autres également n’ont jamais pu inscrire leur nom au palmarès des vainqueurs du Tour de France, mais ont eu l’honneur de porter le maillot jaune un voire plusieurs jours dans leur carrière : René Vietto, Raphaël Geminiani, Pascal Simon, Jean-François Bernard, Claudio Chiappucci, Alex Zülle, Richard Virenque ... Poulidor, lui, n’a même pas connu cet honneur en guise de consolation, et son nom est devenu synonyme de loser sympathique mais infortuné dans le langage courant, même si Joop Zoetemelk et Jan Ullrich comptent au final plus de places de dauphin que lui : six pour le Néerlandais, cinq pour l’Allemand contre trois pour le Français.
Le parallèle entre Zoemetelk, Ullrich et Poulidor est intéressant, chacun d’eux ayant subi la loi de deux champions d’exception sur le Tour de France : Eddy Merckx entre 1970 et 1975 pour Joop Zoetemelk (forfait en 1974), Hinault entre 1978 et 1982 pour le même coureur hollandais, Marco Pantani en 1998 puis Lance Armstrong entre 2000 et 2005 pour l’ogre de Rostock, Jacques Anquetil entre 1962 et 1964 puis Eddy Merckx entre 1969 et 1975 pour Raymond Poulidor.
L’écrivain Bernard Clavel loua son opiniâtreté et son courage : Les mille victoires que vous avez remportées sur vous-même en tant que celui qui n’abandonne jamais.
En 1989, dans un éditorial dans L’Equipe pour les 70 ans du maillot jaune, Jacques Goddet regrettait publiquement que Poulidor n’ait jamais obtenu son bâton de maréchal : Un reproche tout de même, mon vieux et cher maillot, pourquoi t’être si cruellement refusé à Poupou, brave parmi les braves, qui en aurait été le plus digne ?
Dès son premier Tour de France, le Limousin voit le sceau de l’infortune le frapper, lui qui va pérenniser les podiums, avec huit accessits (trois deuxièmes places en 1964, 1965 et 1974, ainsi que cinq troisièmes places en 1962, 1966, 1969, 1972 et 1976) : avant le départ de Nancy, Poulidor chute dans le dernier entraînement et prend le départ de l’épreuve avec le bras gauche dans le plâtre. Le Limousin, 4e pour son baptême du feu, sauve l’honneur par une victoire à Aix-les-Bains, tandis que le juge de paix de ce Tour de France, le chrono Bourgoin – Lyon, consacre l’intouchable Jacques Anquetil, souverain dans l’effort solitaire, tels les virtuoses Coppi et Koblet avant lui. L’Histoire retiendra les paroles pleines de sagesse d’Antonin Magne en voyant Anquetil rejoindre puis dépasser Poulidor, vulgaire fétu de paille … Garez-vous Raymond, et admirez la Caravelle.
Dans la France des Trente Glorieuses, avant que le Concorde et le TGV ne fassent la fierté du pays, le paquebot France inauguré en 1962 par Michel Debré et la Caravelle étaient des symboles nationaux … Comme l’avion d’Aérospatiale lancé en 1955, Jacques Anquetil avait atteint la perfection aérodynamique, la portant au pinacle.
Au début des années 60, Jacques Anquetil était le digne héritier de Fausto Coppi et s’attirait tous les superlatifs, tutoyant la perfection sur le Tour de France qu’il gagna quatre fois consécutivement, ce qui portait sa collection de maillots jaunes à cinq avec le premier enlevé en 1957. Roger Rivière brisé dans le col du Perjuret sur l’édition 1960, Charly Gaul trop irrégulier, Federico Bahamontes vieillissant, Tom Simpson trop jeune, Rudi Altig et Rik Van Looy trop limités en haute montagne, un seul coureur vint menacer le virtuose coureur normand, Raymond Poulidor : 3e en 1962, 4e en 1963, le Limousin fit des progrès considérables en 1964, notamment dans l’effort solitaire. Maillot amarillo de la Vuelta 1964 tandis qu’Anquetil gagnait le Giro, ce qui fut une victoire à la Pyrrhus tant le Normand laissa des forces dans la péninsule italienne …
Comme en 1993 avec Indurain et Rominger, les lauréats du Giro et de la Vuelta seraient roi et dauphin sur le Tour de France, à l’avantage du vainqueur de la campagne d’Italie à chaque fois, pour le prestigieux doublé Giro – Tour.
Mais si Poulidor s’inclina en 1964 après une joute d’anthologie contre son adversaire normand, ce fut de très peu, moins d’une minute, avec trois épisodes malheureux : une minute de bonification stupidement concédée à son rival Anquetil sur la piste en cendrée du stade Louis II de Monaco, un incident mécanique vers Toulouse alors qu’Anquetil, pétrifié par la prédiction funeste du mage Belline, était tel Sisyphe portant son rocher dans le port d’Envalira, et une erreur de braquet fatale dans le Puy-de-Dôme au moment de croiser le fer avec le maillot jaune sur les pentes du volcan auvergnat …
Une seule ombre au tableau pour l’omnipotent Anquetil qui cumule les sceptres de vainqueur du Tour de France, pas d’effet bandwagon en sa faveur, mais effet underdog d’un public qui idolâtre son dauphin Raymond Poulidor.
Dauphin d’Anquetil en 1964 à 28 ans, Raymond Poulidor fut aussi celui d’Eddy Merckx dix ans plus tard en 1974, à 38 ans passés … Ce ne fut pas son dernier podium, le Limousin terminant 3e de l’édition 1976 derrière Lucien Van Impe et Joop Zoetemelk, la quarantaine passée pour son chant du cygne !
Le Cannibale belge Eddy Merckx, sorte de Goliath invulnérable du cyclisme, fit ses débuts sur la Grande Boucle en 1969, éclipsant tous ses rivaux asphyxiés. Au Ballon d’Alsace, vers Mourenx ville nouvelle, Merckx dressa la guillotine, et inaugura une forme d’hégémonie, totale, laminant la concurrence médusée par tant de supériorité insolente et naturelle … Le panache du Bruxellois avait fière allure dans les cols alpestres et pyrénéens, et seule l’arrivée de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune le dimanche 21 juillet 1969, via la mission Apollo 11, éclipsa quelque peu le triomphe de Merckx. L’aigle américain volait encore plus haut que le condor belge, qui avait pourtant survolé avec une insolente facilité les cols alpestres et pyrénéens durant l’édition 1969. Seul Roger Pingeon avait fait illusion dans la Forclaz, le gladiateur Merckx s’étant trompé dans le choix de son braquet ce jour-là. La Belgique s’était consumée d’impatience durant trois décennies, et voilà que l’enfant de Woluwe Saint-Pierre imposait sa férule au Tour de France tout autant que le Toscan Gino Bartali en 1948, le Suisse Hugo Koblet en 1951, le Piémontais Fausto Coppi en 1952, tous trois voltigeant dans les cols. Derrière Eddy Merckx, ce fut un champ de ruines et malgré sa chute au vélodrome de Blois réduisant son aisance dans les cols, personne ne put le vaincre jusqu’en 1975, même si Luis Ocaña faillit y parvenir en 1971, plantant une terrible banderille au Cannibale sur la route d’Orcières-Merlette, manquant de peu l’estocade après une superbe réaction d’orgueil du Belge sur la route de Marseille, Merckx prouvant une fois encore sa haine viscérale de la défaite. Arrivée sur le Vieux Port avec deux heures d’avance sur l’horaire optimiste de la direction de course, l’échappée royale lancée par Merckx dès le kilomètre zéro de cette étape dantesque. Furieux, le maire de Marseille Gaston Defferre jurait de ne plus jamais recevoir le Tour de France tant qu’il serait le premier magistrat de la ville. Edile de la cité phocéenne jusqu’à sa mort en 1986, Defferre tint parole et Marseille n’allait plus voir d’arrivée de la grand-messe de thermidor avant 1989 …
L’exploit du Castillan fut interrompu par le destin dans la descente du col de Menté. Ce fut finalement Bernard Thévenet qui fit passer Merckx du Capitole à la Roche Tarpéienne en 1975 dans l’étape Nice – Pra-Loup, quelques jours après le coup de poing donné au Belge par un spectateur dans le Puy-de-Dôme. Toute une génération avait souffert le martyr dans la roue du Belge, de Luis Ocaña à Lucien Van Impe en passant par Joop Zoetemelk, Bernard Thévenet, Felice Gimondi, Raymond Poulidor, Joaquim Agostinho ou encore José Maria Fuente.
Ayant battu Merckx à deux reprises dans le col d’Eze dans Paris-Nice en 1972 et 1973, Poulidor donna du fil à retordre au champion bruxellois dans le Tour de France 1974, ainsi qu’au championnat du monde de Montréal. Avec Fuente sur les routes italiennes au printemps, le Limousin fut le plus grand obstacle entre le Belge et sa quadrature du cercle, son Graal, le Grand Chelem du vélo : Giro, Tour de France et Championnat du Monde. Stratosphérique, Eddy Merckx avait réussi la prouesse de cumuler sur une saison les maillots rose, jaune et irisé.
Merckx avait attendu 1969 pour conquérir les routes de France et de Navarre, ne démontrant qu’en 1968 sur le Giro ses dons en haute montagne, par une victoire stupéfiante aux Trois Cimes de Lavaredo. Le Belge avait vaincu les Dolomites, il était désormais prêt pour l’ultime défi, le Tour de France, lui dont le palmarès était déjà bien fourni en 1966 et 1967 : Milan – San Remo (1966, 1967), championnat du monde sur route (1967), Flèche Wallonne (1967) et Gand-Wevelgem (1967) …
- 1965, la révélation de Felice Gimondi : orphelin de Jacques Anquetil, Raymond Poulidor se présente en favori au départ de Cologne. Le Normand, quintuple maillot jaune, abdique pour 1965 pour quatre raisons : primo, Anquetil a souffert de l’immense popularité de Poulidor sur les routes de France et de Navarre, le Limousin étant clairement plébiscité à l’applaudimètre. Secundo, les primes du Normand n’augmenteront pas en cas de sixième victoire, mais ils diminueront en cas de défaite, alors le protégé de Raphaël Geminiani évite de commettre le péché d’orgueil sur la Grande Boucle, conscient que l’usure du pouvoir et l’inexorable érosion du temps peuvent le rattraper à tout moment. Tertio, contrairement aux quintuples vainqueurs Merckx en 1975, Hinault en 1986, Indurain en 1996 et Armstrong en 2004, Anquetil ne courait après personne puisqu’il était seul recordman des victoires dans le Tour, seul sur son Everest … Quattro, Geminiani a trouvé à son poulain un défi de taille susceptible de convenir à son colossal appétit de victoires, et d’éviter le syndrome de la tour d’ivoire. Le Pantagruel normand se lance dans le challenge de doubler (sans transition autre qu’un transfert en avion) le Critérium du Dauphiné Libéré, course à étapes éprouvante dans les Alpes, et Bordeaux-Paris, marathon de la route démarrant à l’aube, effort surhumaine digne des forçats de la route des années 20. Coureur sortant de l’ordinaire plus que nul autre avant ou après lui, Jacques Anquetil réussit l’improbable doublé et se voit auréolé d’un prestige inouï, pour le grand exploit de l’Histoire du cyclisme … Ce que Raymond Poulidor ne pouvait anticiper, ce serait la révélation d’un enfant prodige de 23 ans venu de Bergame, le jeune Italien de la Salvarani Felice Gimondi. Ce dernier avait failli ne pas prendre le départ pour un problème de confiance en vue de 1966, craignant la fin de sa carrière en cas d’échec dans l’Hexagone. Mais Luciano Pezzi avait résolu l’équation pour son jeune coureur en lui faisant signer un contrat pour 1966, faisant d’une pierre deux coups : rassurer Gimondi en vue du Tour, tout en se couvrant contre l’augmentation de sa valeur ... Joker de luxe de Vittorio Adorni, Gimondi prit du temps aux favoris dans la deuxième étape à Roubaix, puis réalisa son premier véritable coup d’éclat dès le troisième jour, en remportant une victoire d’étape sur la route de Rouen, comme un symbole, dans la région de Jacques Anquetil, en Normandie. Ceint du maillot jaune, le rookie lombard n’allait plus lâcher la Toison d’Or malgré la pression de Raymond Poulidor. Vainqueur du chrono de Châteaulin, le coureur limousin ne reprenait que sept malheureuses secondes au jeune Italien, nouvelle clé de voûte de la Salvarani. Les Pyrénées ne font pas l’affaire du grimpeur limousin, qui chute sur un pont de pierre entre Bagnères-de-Bigorre et Ax-les-Thermes, avant de devoir déménager dans l’urgence vers l’hôtel Ritz de Barcelone, ne pouvant fermer de l’œil de la nuit dans un établissement de troisième ordre … Lauréat sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux, Poulidor s’échappe en compagnie de Julio Jimenez, mais Felice Gimondi réagit avec l’énergie implacable des champions ce jour-là sur le juge de paix du Comtat Venaissin. Proche de la cité mythique d’Avignon, l’Italien n’est pas un antipape mais un pape légitime, il mérite son maillot jaune, après avoir réalisé un effort colossal pour rejoindre Henry Anglade qu’il avait en ligne de mire … Par la suite vaincu sur les pentes du Mont Revard dans un chrono en altitude qui révélait toute l’envergure du coureur transalpin (33 secondes d’avance malgré un incident mécanique) ainsi qu’une autre victoire de Gimondi entre Versailles et Paris, le Limousin terminait dauphin pour la deuxième année consécutive, mais cette fois d’un roi qui était son cadet de six ans.
- 1966, Anquetil neutralise et piège Poulidor dans l’Aubisque : de retour sur le Tour de France en 1966, le Normand va s’évertuer à tuer dans l’œuf toute victoire potentielle de son rival limousin, avec qui il perd un temps précieux dans l’étape Bayonne - Pau. Les deux rivaux de 1964 laissent partir un groupe de vingt-trois coureurs dans le col d’Aubisque, un écart rédhibitoire se crée en leur défaveur. Mais autant Anquetil peut présenter l’alibi d’une diversion en faveur de son coéquipier Lucien Aimar, autant Poulidor ne peut guère expliquer comment il s’est fourvoyé dans ce guêpier tactique. Le courroux d’Antonin Magne, directeur sportif du Limousin, laisse vite place à des paroles désabusées : De toute ma carrière, je n’ai jamais laissé partir vingt coureurs dans un col. Décidément, je ne parviendrai jamais à comprendre Poulidor ! Trop diminué pour cannibaliser l’épreuve comme à son âge d’or, Jacques Anquetil va favoriser le succès de son coéquipier chez Ford, Lucien Aimar. Abandonnant dans l’étape de Saint-Etienne, Anquetil a vu Aimar endosser le maillot jaune à Turin. Troisième, Raymond Poulidor s’incline également face au Néerlandais Jan Janssen. Pour la quatrième fois en cinq participations, le Limousin termine sur le podium mais une fois de plus, il n’a pas réussi à conquérir le maillot jaune, ne serait-ce que le temps d’une étape. Et deux mois plus tard, un incroyable jeu du chat et de la souris au Nürburgring va priver Anquetil comme Poulidor du maillot arc-en-ciel, offrant le titre de champion du monde à domicile à Rudi Altig, qui n’en demandait pas tant sur le circuit de l’Eifel. Anquetil 2e, Poulidor 3e comme sur le Tour de France, la saison 1966 fut un incroyable gâchis pour le Limousin …
- 1967, la défaillance du Ballon d’Alsace : pour le retour aux équipes nationales, Marcel Bidot a choisi Jean Stablinski comme capitaine de route, comme leader Raymond Poulidor, adjoint de Roger Pingeon et du tenant du titre Lucien Aimar. pour six secondes, Poulidor manque l’apothéose, l’épée de Damoclès va encore le priver in extremis de la Toison d’Or. Le Tour de France 1967 inaugure le principe du prologue pour lancer les hostilités, et le Limousin voit son temps battu par l’Espagnol Jose Maria Errandonea. Dans la sixième étape, Poulidor voit son rêve de gagner le Tour de France une nouvelle fois rester utopique … Il n’imagine pas tomber de Charybde en Scylla, car à la cruelle déception de manquer le maillot jaune pour une poignée de secondes va s’ajouter celle, plus terrible encore, de perdre la Grande Boucle en quelques kilomètres, très tôt dans l’épreuve. Victime d’une terrible défaillance dans le Ballon d’Alsace, Poulidor réalise un temps d’ascension médiocre, moins bon que celui du lauréat de l’édition 1906, l’apprenti-boucher René Pottier !! Groggy après une chute face à une voiture dans le brouillard, Poulidor repart sur un vélo d’emprunt. Mal à son aise, le visage livide, zigzagant sur le macadam pour combattre les pourcentages du Ballon d’Alsace, le Limousin parcourt l’ultime kilomètre du sommet vosgien en 4’08’’, à moins de 15 km/h … Se mettant spontanément au service de Roger Pingeon au sein de l’équipe de France après ce calvaire vosgien, ce véritable Waterloo, Poulidor donne déjà rendez-vous pour 1968. Ce Tour de France 1967 sera marqué par la mort dramatique de l’Anglais Tom Simpson sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux. Loin du Géant de Provence, c’est au Parc des Princes, abandonné par le Tour pour cause de travaux de rénovation, que Poulidor clôt en beauté cette édition par une victoire contre-la-montre. Vient alors l’affaire du Perroquet Vert, restaurant de Montmartre qui voit après un dîner de l’équipe de France à la Closerie des Lilas, une terrible explication verbale entre Jean Stablinski et Jacques Anquetil ayant franchi le Rubicon par ses articles dans France-Dimanche : omerta brisée sur le dopage, liberté d’expression sur Poulidor, sur sa défaite contre Gimondi dans le Giro de 1967. Quant au Normand, après sa campagne d’Italie perdue contre celui qu’on présente encore comme son héritier avant l’avènement de Merckx, il reproche à Stablinski, son équipier chez Ford, d’avoir trop collaboré avec Pingeon et Poulidor au sein de l’équipe de France.
- 1968, la chute et l’abandon : au départ de Vittel, le Tour de France sent le soufre, le dopage et le fantôme de Tom Simpson hantent un peloton toujours sujet à l’omerta, malgré les déclarations de Jacques Anquetil … Favori du Tour, Poulidor sait que le temps lui est compté, il a vu la démonstration de force d’un jeune prodige belge Eddy Merckx au Giro, un an avant d’effectuer une razzia sur le cyclisme européen … Mais sa chute entre Font-Romeu et Albi, après une collision avec un motard, vient ruiner ses desseins de victoire. C’est finalement Jan Janssen qui l’emporte in extremis devant les Belges Herman Van Springel et Ferdinand Bracke. Proche du paradis, Raymond Poulidor demeure au purgatoire et ne boira jamais le nectar et l’ambroisie des dieux de l’Olympe, restant hors du gotha auquel il méritait pourtant d’accéder.
Entre 1965 et 1968, soit quatre Tours de France perdus, Raymond Poulidor aura connu tous les scénarios : battu un outsider par plus fort que lui (Felice Gimondi) en 1965 alors qu’il surveillait deux autres coureurs italiens (Vittorio Adorni et Gianni Motta), erreur tactique désastreuse en 1966 entre Bayonne et Pau, défaillance en 1967 dans le Ballon d’Alsace, chute et abandon en 1968 …
Et si l’occasion ratée avait été 1971, seule édition dont il fut absent entre 1962 et 1976 ? Aurait-il pu mieux limiter les dégâts qu’Eddy Merckx derrière l’implacable Luis Ocaña sur la route d’Orcières-Merlette ? Aurait-il subi le joug du champion espagnol, déchaîné ce jour-là ? Aurait-il pu suivre le Belge sur la route du Vieux Port de Marseille ? Aurait-il évité la chute dans la descente du col de Menté ? On ne le saura jamais, mais c’est plus sûrement entre 1965 et 1968 que Poulidor a gaspillé ses plus belles chances, lui qui avait intrinsèquement les jambes et les poumons d’un vainqueur du Tour de France …