Armaggeddon Clock, la fin programmée du cyclisme (1947-2005)
par Axel_Borg
mardi 30 octobre 2018
En 1947 apparaissait l’horloge de la fin du monde, qui mesurait le risque d’apocalypse nucléaire pour la planète, en s’approchant plus ou moins de minuit ... Le cyclisme a lui comme épée de Damoclès le fléau du dopage qui risque de détruire ce sport si l’omerta reste la norme canonique du peloton …
Pourquoi tant de haine (justifié) sur le cyclisme quand le football ou le tennis échappent souvent à l’opprobre général ? Bouc-émissaire du sport, le cyclisme concentre toutes les critiques en matière de dopage, fléau pourtant global au sport, qu’il soit de haut niveau en professionnel ou amateur … Nicolas Chaine, directeur de la communication du Crédit Lyonnais jusqu’en 1982, avance une explication : Le cyclisme est victime d’un préjugé de classe. Croyez-vous que tous les Roland-Garros ont été gagnés à l’eau minérale ? […] Or un tennisman qui se dope ne fait pas scandale, même aux yeux de gens qui sont réputés pour être bien. Savez-vous pourquoi ? Parce que les gens bien évoluent dans un monde où beaucoup de choses sont permises. Ils boivent du whisky, leurs enfants se droguent un peu … Qu’un tennisman prenne un peu de cocaïne, ce n’est pas ce qui les gênes le plus. A l’inverse, si c’est un cycliste !
Comme pour l’horloge réelle, on la fera démarrer à 23h53 en 1947, année de la renaissance du Tour de France.
On s’éloignera de 3 minutes par rapport à minuit pour une année sans problème de dopage (médiatisé), et on se rapprochera de 3, 5 voire 10 minutes par rapport à l’heure fatidique selon l’importance du scandale
- 1947 : 23h53, Jean Robic est le premier maillot jaune d’après-guerre sur le Tour de France
- 1948-1954 : de 23h50 à 23h32
- 1955 : 23h37, le Français Jean Malléjac est victime d’un malaise dans le Mont Ventoux, lié à un abus d’amphétamines
- 1960 : 23h28, à la poursuite du descendeur émérite Gastone Nencini porteur du maillot jaune, Roger Rivière se brise la colonne vertébrale dans le col du Perjuret, sur le Tour de France 1960. Une étape anodine des Cévennes a sonné le glas des espoirs du Stéphanois, qui passe du Capitole à la Roche Tarpéienne. Dans la poche du coureur français, on retrouve des produits dopants …
- 1961 : 23h25
- 1962 : 23h30, fausse intoxication alimentaire au poisson avarié sur le Tour de France. Au départ de Luchon vers Carcassonne, le Tour de France se réveille avec la gueule de bois et pire encore. Des truites des torrents pyrénéens manquant de fraîcheur, seraient la cause de plusieurs malaises dans le peloton, avant que Gastone Nencini et Hans Junkermann n’abandonnent mais les journalistes ne sont pas dupes des perfusions, piqûres et autres pastilles faisant partie du quotidien des coureurs dans leurs chambres d’hôtel le soir …
- 1963-1966 : de 23h27 à 23h18
- 1967 : 23h28, décès de l’Anglais Tom Simpson le 13 juillet sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux, après un cocktail fatal alcool / dopage … Le champion du monde 1965 ne cachait pas ses penchants pour les drogues, dans un pays où les Beatles de Liverpool rendaient publique leur consommation de marijuana via le prestigieux quotidien The Times … Autre aveu public, celui de Jacques Anquetil qui avouait dans France-Dimanche que le Tour de France ne se courait pas à l’eau claire. Aux yeux du peloton et de sa loi du silence, le Normand avait franchi le Rubicon.
- 1968 : 23h31, départ du Tour de France à Vittel, ville d’eaux … Jacques Goddet veut éviter que la banderille symbolisée par le décès de Simpson n’emporte la Grande Boucle. Pour éviter l’estocade, on annonce des mesures anti-dopage, mais le peloton s’y oppose farouchement
- 1969 : 23h36, le virtuose du peloton cycliste, héritier des Coppi, Anquetil et Van Looy, le Cannibale Eddy Merckx, est exclu du Giro à Savonne pour dopage. Le bénéfice du doute sera laissé au champion belge dans cette ténébreuse affaire …
- 1970-1977 : de 23h33 à 23h10
- 1978 : 23h15, le maillot jaune Michel Pollentier est exclu du Tour de France pour avoir triché avec une poire d’urine à un contrôle de la F.I.C.P. suite à sa victoire dans l’étape de l’Alpe d’Huez
- 1979-1983 : de 23h12 à 22h57
- 1984 : 23h02, Francesco Moser explose le record de l’heure d’Eddy Merckx sur le vélodrome de Mexico. Les performances passées de Coppi ou Anquetil au Vigorelli de Milan sont à des années-lumière du champion italien préparé par le professeur Conconi, tandis que le Belge se retrouve à presque 2 km/h du Cecco (49.431 m/h contre 51.151 km/h)
- 1985-1987 : de 22h59 à 22h53
- 1988 : 23h03, affaire Pedro Delgado sur le Tour de France, le natif de Ségovie échappe à un déclassement pour vice de forme, le produit interdit figurant sur la liste du CIO mais pas sur celle de l’UCI, mais c’est une victoire à la Pyrrhus, tant l’Espagnol perd toute crédibilité sportive.
- 1989-1990 : 23h puis 22h57
- 1991 : 23h02, affaire PDM sur le Tour de France, l’ensemble de l’équipe hollandaise abandonne en seulement deux étapes entre Rennes et Quimper. Une prétendue intoxication alimentaire est à l’origine du mal, mais seuls les coureurs de l’équipe d’Erik Breukink sont malades. N’est pas expert de l’EPO qui veut, l’Eldorado du dopage sanguin se trouvant en Italie et en Espagne (déjà) à l’époque, au profit du trio qui dominera ce Tour de France, Miguel Indurain devant Gianni Bugno et Claudio Chiappucci
- 1992 : 23h04, deux exploits trop beaux pour être vrais sèment le doute chez les observateurs, le massacre du Luxembourg signé Miguel Indurain, puis l’échappée fleuve de Claudio Chiappucci vers Sestrières. Gagner le Tour sans EPO est devenu utopique …
- 1993 : 23h07, trois trentenaires (presque) inconnus se hissent dans le top 5 du Tour de France derrière Miguel Indurain, le Suisse Tony Rominger (deux Tours de Lombardie et deux Vueltas de Espana au compteur), le Polonais Zenon Jaskula et le Danois Bjarne Riis, alors que le professeur Conconi a fait étalage de la puissance offerte par l’EPO, terminant 5e d’une course de côte amateur au mythique col du Stelvio, course à laquelle participait le Ponce Pilate de Lausanne, Hein Verbruggen, président de l’opaque UCI cachée dans sa tour d’ivoire.
- 1994 : 23h12, le docteur Michele Ferrari fait scandale avec sa comparaison toxicologique entre l’EPO et le jus d’orange, après le triplé sensationnel de l’équipe Gewiss Ballan sur la Flèche Wallonne. Tony Rominger et Miguel Indurain portent le record de l’heure à des hauteurs insoupçonnées (53.040 km/h pour l’Espagnol, 55.291 km/h pour le Suisse).
- 1995 : 23h15, des performances surhumaines sur le Tour de France où Miguel Indurain impose sa férule, avec une montée de la Plagne surpuissante et un chrono au Lac de Vassivière super rapide par rapport aux références des vainqueurs précédents, Greg LeMond (1985) et Erik Breukink (1990). Quant à Marco Pantani, il fait exploser le record d’ascension de l’Alpe d’Huez …
- 1996 : 23h18, hégémonique dans les cols, le Danois Bjarne Riis enfonce le clou en gagnant à Lourdes Hautacam sur le grand plateau, Monsieur 60 % a dressé la guillotine face à des rivaux médusés, tandis que l’équipe ONCE nous refait le coup de l’intoxication alimentaire sur la Vuelta gagnée par Alex Zülle
- 1997 : 23h21, les watts continuent d’atteindre des sommets avec Jan Ullrich à Arcalis ou Marco Pantani dans l’Alpe d’Huez, tandis que le public est conquis par ces montagnes russes d’adrénaline. Festina est tellement puissante qu’elle met 93 coureurs hors délais à Courchevel, gruppetto ensuite repêché par la direction de course.
- 1998 : 23h31, scandale Festina, le soigneur Willy Voët est arrêté par la douane à la frontière franco-belge à trois jours du départ du Tour de France. Sous la pression des organisateurs et du président Chirac, Richard Virenque et ses coéquipiers sont exclus de la Grande Boucle … La boîte de Pandore explose et va libérer ses démons.
- 1999 : 23h36, Marco Pantani est exclu du Giro pour un taux hématocrite à 52 %, tandis que le rescapé du cancer Lance Armstrong ramène le maillot jaune sur le Tour de France, la suspicion étant au pinacle avec les démonstrations de force du Texan à Metz et Sestrières. Le champion du monde 1993 prit gentiment le Monsieur Propre du peloton, Christophe Bassons de quitter la course car il menace l’omerta.
- 2000 : 23h39, l’US Postal est suivie par une équipe de France 3, de l’Actovegin est retrouvée dans les poubelles de l’équipe de Johan Bruyneel, quelques semaines avant le procès Festina de Lille où Richard Virenque est défendu par Me Gilbert Collard.
- 2001 : 23h44, le blitz de San Remo fait scandale sur le Giro, et révélation des liens entre Lance Armstrong et le sulfureux docteur Michele Ferrari. Le Texan est contrôlé positif sur le Tour de Suisse mais blanchi par l’UCI …
- 2002 : 23h49, l’affaire Rumsas décrédibilise le Tour de France, des médicaments étant retrouvés à la frontière italienne dans la voiture d’Edita Rumsas, épouse du coureur lituanien surprenant 3e de la Grande Boucle bien que débutant sur le Tour de France à 30 ans.
- 2003 : 23h52, le coureur espagnol de Kelme Jesus Manzano frôle la mort après une transfusion sanguine, une mauvaise poche de sang lui ayant été transmis par le docteur Eufemiano Fuentes
- 2004 : 23h55, parution de L.A. Confidential de Pierre Ballester et David Walsh sur Lance Armstrong qui s’offre le luxe d’une vendetta en plein de Tour de France sur le coureur italien Filippo Simeoni. Les décès de Jose Maria Jimenez et Marco Pantani rappellent que certains ont payé plus fort que d’autres le fléau du dopage et l’isolement. Tyler Hamilton médaille d’or du CLM aux Jeux Olympiques d’Athènes est ensuite disqualifié par l’UCI.
- 2005 : 00h00, le scoop de L’Equipe condamne Lance Armstrong a posteriori un mois après sa retraite sportive, après un septennat d’imposture du septuple maillot jaune qui a tutoyé la perfection, usurpé la place de vainqueur et récolté les superlatifs outre-Atlantique, bien qu’étant un paria en Europe, surtout en France. L’apocalypse est donc atteinte, le cyclisme professionnel a définitivement perdu toute crédibilité et toute légimité …
- 2006, 00h10, l’affaire Puerto fait scandale forçant Jan Ullrich, Ivan Basso et Francisco Mancebo à quitter le Tour de France avant même le départ de Strasbourg, dévoilant un système de dopage par transfusion sanguine dont le médecin espagnol Eufemiano Fuentes est la clé de voûte, tandis que Floyd Landis est déclassé après un autre polémique quelques jours après son triomphe à Paris, trop beau pour être vrai, vu sa prouesse colossale de Morzine …
- 2007, 00h15, deux autres scandales éclatent sur le Tour de France, le Danois Michael Rasmussen et le Kazakh Alexandre Vinokourov
- 2008, 00h18, l’EPO CERA fait parler d’elle chez Saunier Duval, avec le cobra italien Riccardo Ricco, Leonardo Piepoli et José Cobo Acebo
- 2009, 00h15
- 2010 : 00h20, l’affaire Contador éclate avec l’alibi de la vache enragée, l’Espagnol est ensuite déclassé par l’UCI de sa troisième victoire dans le Tour de France. 2010 voit deux anciens parias du peloton retrouver les sommets, Alexandre Vinokourov lauréat de la Doyenne à Liège, Ivan Basso maillot rose du Giro. Fabian Cancellara défraye la chronique par son doublé Tour des Flandres / Paris-Roubaix qui alimente les rumeurs de vélo truqué à moteur, soit un dopage mécanique !
- 2011 : 00h17
- 2012 : 00h27, l’USADA puis l’UCI réduisent à néant le palmarès de Lance Armstrong depuis 1998, le privant de sa médaille de bronze CLM aux Jeux Olympiques de Sydney (2000) et de ses 7 victoires dans le Tour de France. Le Texan a commis le péché d’orgueil de revenir dans le peloton en 2009 et 2010, rattrapé par l’usure du pouvoir il est battu par Contador et Andy Schleck sur le Tour de France 2009, mais revient dans l’œil du cyclone. En 2012, trois anciens coureurs convaincus de dopage reviennent au premier plan, le Kazakh Alexandre Vinokourov champion olympique sur route aux Jeux Olympiques d’été de Londres, l’Espagnol Alejandro Valverde 3e de la Vuelta gagnée par son compatriote Alberto Contador
- 2013 : 00h32, chez Oprah Winfrey en interview, Lance Armstrong avoue publiquement s’être dopé entre 1999 et 2005, mettant fin à treize longues années de vetos et de dénis sans fin, tandis que Christopher Froome écrase la Grande Boucle avec un style de pédalage inhumain notamment dans le Mont Ventoux où le Kenyan Blanc ridiculise Alberto Contador
- 2014 : 00h29
- 2015, 00h32, la victoire édifiante de Chris Froome à la Pierre Saint-Martin relance les rumeurs de dopage sanguin et/ou mécanique pour le leader du Team Sky, tandis que la vidéo de son « exploit » de juillet 2013 au Mont Ventoux est disséqué par tous les observateurs sur Internet …
- 2016, 00h37, la suspicion est plus forte que jamais sur le peloton suite aux affaires de dopage mécanique. En marge du renforcement de la sécurité dans le cadre des attaques terroristes dont la France a fait l’objet en 2015, Christian Prud’homme annonce la présence de caméras thermiques sur la Grande Boucle, pour détecter de potentiels vélos dont les cadres seraient truqués pour favoriser la vitesse via un moteur caché et synchronisé avec le pédalier.
- 2017, 00h47, l’image du vélo de Chris Froome avançant tout seul après une arrivée de la Vuelta a fait le tour du monde via les réseaux sociaux. Roi de France et d’Espagne en 2017, le Kenyan Blanc est contrôle positif au salbutamol sur la Vuelta, mais sera blanchi par l’UCI quelques jours après le départ du Tour 2018. Entre temps, le leader du Team Sku avait gagné le Giro, devenant le troisième homme après les légendes belge Eddy Merckx (1972-1973) et française Bernard Hinault (1982-1983) à détenir les trois maillots des trois grands Tours (le rose du Giro, le jaune du Tour et l’amarillo devenu rouge de la Vuelta).