Cauterets, 18 juillet 1995, journée doublement maudite

par Axel_Borg
samedi 29 septembre 2018

Le 18 juillet 1995, le monde du sport parle principalement du décès du maestro argentin de la Formule 1, le quintuple champion du monde Juan Manuel Fangio. L’étape de Cauterets, gagnée par Richard Virenque sur le Tour de France, va être marquée du sceau de la malédiction. Champion olympique sur route en 1992 aux Jeux Olympiques de Barcelone, l’Italien Fabio Casartelli devient le troisième cycliste à décéder en course sur le Tour de France, après l’Espagnol Francisco Cepeda en 1935 dans la descente du Galibier, et l’Anglais Tom Simpson en 1967 sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux. D’autres sont morts indirectement du fait de leur participation à la Grande Boucle, Adolphe Hélières en 1910 à Nice, et Carlo Tonon en 1996, après une chute dans le col de Joux-Plane en 1984. Quant à l’arrivée à Cauterets, elle était au départ destinée aux sites protégés de Gavarnie et Pont d’Espagne, qui n’ont jamais eu l’honneur d’accueillir le grand chapiteau du cyclisme …

La station pyrénéenne de Cauterets a accueilli trois fois une arrivée au sommet sur le Tour de France, avec comme vainqueurs respectifs Miguel Indurain en 1989, Richard Virenque en 1995, Rafal Majka en 2015. L’étape de 1995 reste la plus connue pour une raison funeste, avec le décès du jeune coureur italien Fabio Casartelli dans la descente du col du Portet d’Aspet. En 1994, Casartelli avait débuté sur le Tour de France, abandonnant durant la septième étape entre Rennes et le Futuroscope de Poitiers. Son coéquipier et compagnon de chambre chez Ariostea en 1993, Massimiliano Lelli, témoigne : On avait affronté la montée du col à faible allure, Virenque était devant, parti chasser les points du Grand prix de la Montagne, dans la descente le rythme du peloton s'était accéléré, on dévalait en file indienne, j'étais quinze places derrière Fabio, quand je l’ai vu sur le sol, recroquevillé. Une vision effroyable. On a roulé, roulé sans rien savoir et puis, 20 km plus loin, Radio Tour nous a appris qu’il était mort... On s'est tous mis à pleurer, dans le peloton. Fabio, c'était un enfant comme nous.

Car la chute de Fabio Casartelli ressemble a priori à beaucoup d’autres gamelles du Tour de France cycliste. Mais sans casque, on ne cesse de jouer avec les probabilités et les limites. D’autres ont eu plus peur que de mal : Johan Bruyneel ou Alex Zülle en 1996 sur la route des Arcs, Jan Ullrich en 2001 dans la descente du col de Peyresourde, ou Bernard Hinault en 1977 dans le col de la Porte sur le critérium du Dauphiné Libéré, avant de gagner avec l’énergie d’un champion sur les pentes de la forteresse de la Bastille à Grenoble ... Certains ont eu mal, comme Laurent Jalabert en 1994 à Armentières, mais ont survécu. D’autres enfin, comme Roger Rivière en 1960 dans le col du Perjuret, ont vu leur carrière se briser en un instant. Passé par-dessus le parapet du col des Cévennes, le Stéphanois perdit le Tour de France, mais surtout l’usage de sa colonne vertébrale. Devenu hémiplégique, Rivière ouvrit un café nommé le Vigorelli, en hommage au célèbre vélodrome milanais où il avait battu, en 1957, le record de l’heure détenu par Jacques Anquetil. Il n’y a pas de risque zéro en sport mécaniques, qu’il ait pour nom Formule 1, moto, ski ou voile. La passion de la mer a emporté Eric Tabarly ou Alain Colas, celles des pentes enneigées Régine Cavagnoud, celle de la haute vitesse sur quatre roues des as du volant tels que Bernd Rosemeyer, Alberto Ascari, Jim Clark, Jochen Rindt, Ronnie Peterson, Gilles Villeneuve, Stefan Bellof, Elio de Angelis ou encore Ayrton Senna. La moto ne fait pas exception avec Jarno Saarinen, Daijiro Katoh ou encore Marco Simoncelli. Comme les autres, el cyclisme a donc subi la tragédie de chutes mortelles, tel Joaquim Agostinho en 1984 au Tour d’Algarve. Le 18 juillet 1995, le nom de Fabio Casartelli est venu se greffer à cette tragique nécrologie.

Pendant des années jusqu’à son décès tragique en février 2004 à Rimini, le grimpeur italien Marco Pantani fut le seul coureur du peloton à envoyer régulièrement de l'argent à la veuve de Casartelli. Si Lance Armstrong salua plusieurs fois la mémoire de son coéquipier de Motorola (à Limoges en 1995 et à Saint-Lary Soulan Pla d’Adet en 2001), ce fut son prédécesseur au palmarès du Tour de France qui s’occupa d’Anna-Lisa. Il est de coutume que les coureurs du Tour de France respectent, en signe de recueillement et en mémoire de Fabio Casartelli, une minute de silence à cet endroit si la route du Tour emprunte le col de Portet-d'Aspet. On peut observer sa bicyclette dans l'état après sa chute dans la chapelle Madonna del Ghisallo.

Au lendemain de la mort accidentelle de Fabio Casartelli, coureur italien de l’équipe Motorola, dans le Portet d’Aspet, il fut logiquement décidé la neutralisation de l’étape Tarbes - Pau, dernière étape de montagne du Tour de France 1995. Un seul coureur s’était opposé à cet hommage rendu au champion olympique des Jeux de Barcelone, dans la droite lignée du bushido cycliste, le code d’honneur du peloton. Ce coureur avait pour nom Bjarne Riis, ce qui lui valut l’opprobre général. 3e du classement général, le Danois de la Gewiss était persuadé, via les cols des Pyrénées, de pouvoir reprendre son maillot jaune à Miguel Indurain, pourtant implacable dans ce Tour de France 1995, quelques jours avant de rejoindre dans le gotha le trio Anquetil - Merckx – Hinault, ces géants nourris par les fées du destin au nectar et à l’ambroisie.

L’étape de Cauterets, en 1995, fut donc tragique, certains reprochant injustement Richard Virenque sa joie sur la ligne, lui qui gagnait sa deuxième étape sur le Tour, un an après la belle banderille de Luz-Ardiden. Mais le Varois n’était pas au courant du drame qui se nouait à l’arrière, on lui chercha donc pour rien des poux dans la tête. Pour la troisième fois dans l’histoire du Tour de France, après l’Espagnol Francisco Cepeda en 1935 (chute) et le Britannique Tom Simpson en 1967 (mort au Ventoux sous le triple effet de la canicule, du dopage et de l’alcool), un coureur allait décéder en course, sans parler de l’hydrocution d’Adolphe Hélières en 1910 à Nice, pendant la journée de repos, ou du coma irréversible de Carlo Tonon en 1984.

L’Histoire de Tom Simpson est mieux connue. L’Anglais, champion du monde en 1965 dans le Pays Basque, rêve du maillot jaune au Parc des Princes en ce mois de juillet 1967. Il a acheté une résidence en Corse, il s’est endetté. Le mercenaire, qui confie fumer de la marijuana comme les Beatles de Liverpool, s’effondre sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux en ce 13 juillet 1967 : canicule du Comtat Venaissin, prise d’anabolisants et alcool ont fauché le coureur britannique, qui n’avait pas encore soufflé ses trente bougies … En 1968, Jacques Goddet, façon langue de bois, offre des éléments de langage bien démagogiques. En bon apparatchik du Tour de France, l’homme au chapeau colonial digne du colonel Nicholson du Pont de la Rivière Kwaï offre le Tour de la Santé au départ de Vittel. L’aggiornamento tant attendu ne viendra jamais. Car le cyclisme est gangréné par le dopage depuis Mathusalem, les mœurs byzantines de la petite reine ne vont pas changer par le destin tragique d’un Icare dont les ailes de cire ont fondu sous le feu de Phoebus et du pastis du Vaucluse. Trois décennies plus tard, en 1999, Jean-Marie Leblanc fait le coup du Tour du Renouveau après le scandale Festina. Le panier de crabes est resté le même que jadis, le sac de nœuds demeure, l’Arlésienne, le serpent de mer : personne n’a tranché ce maudit nœud gordien du dopage. Comme pour l’hydre de Lerne, on coupe une tête, deux autres repoussent ... Le cyclisme propre continue de manger son pain noir, tandis que le dopage prospère du cyclisme des tricheurs, autres pharmaciens et docteurs Mabuse, lui, vit son âge d’or, mangeant son pain blanc. Le pain noir, le pain perdu, le pain rassis de ceux qui courent à l’eau claire a le goût amer de la défaite, face à aux moutons noirs passés du côté obscur de la force, ces avatars de Faust qui ont cédé à la tentation de Méphistophélès. A croire que tout le peloton a lu Goethe, ainsi qu’Oscar Wilde et sa cynique citation : Le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder. Comme Eve dans le jardin d’Eden face au serpent Nahash, beaucoup ont goûté le fruit défendu par la seringue, en intraveineuse, voire l’auto-transfusion. En 2003, la leçon de la mort de Fabio Casartelli, pas plus que celle de Tom Simpson, n’est pas retenue par le peloton : Andreï Kivilev meurt sur Paris-Nice, par la faute de l’absence de casque mais aussi des maudites oreillettes qui font des coureurs des pantins modernes. Le boomerang avait mis huit ans à revenir … Il fallut attendre que le drame Kivilev s’ajoute à celui de Casartelli, avec huit longues années séparant les deux traumatismes, pour que le cyclisme se raisonne enfin, et porte l’estocade définitive au sujet du port du casque. Le miroir aux alouettes avait enfin pris fin …

Etouffée en 1935, l’affaire nauséabonde autour du décès de Francisco Cepeda souille les organisateurs de l’époque. L’accident du coureur espagnol a pour cause un matériel défectueux : de nouvelles jantes en duralumin fournies aux participants. Plus léger et plus rigide que le bois, cet alliage a l’inconvénient majeur de s’échauffer, d’où l’arrachage des pneumatiques - les boyaux. La température s’élève surtout dans les descentes, sous l’effet du freinage. Pour réparer une crevaison, les coureurs se brûlent les doigts. Ils exigent le retour des anciennes jantes. Mais l’organisation, tenue par un contrat de sponsoring avec la Société d’aluminium, cède trop tard aux revendications. Le timide Cepeda, qui faisait le Tour par passion et gagnait sa vie comme commerçant et juge municipal en Espagne, a éclaté son boyau avant. La minute de silence imposée à son époque résonne jusqu’à nos jours.

Ni fleurs ni couronnes. Quand certains morts du Tour ont leur nom gravé dans une stèle, héros tombés au champ d’honneur, d’autres reposent dans la fosse commune. Depuis 1995, Fabio Casartelli dessine avec sa tête une pieuvre rouge sur l’asphalte du Portet-d’Aspet. En 1967, le Ventoux a changé Tom Simpson en rocher, comme le Vésuve a figé Pompéi. Ce sont les martyrs du Tour de France. Victimes tantôt d’une mauvaise glissade, tantôt d’une combustion sous le soleil, l’alcool et les petites pilules. Les autres morts brutales, comme celle de Francesco Cepeda, appartiennent au domaine de la statistique.

Une confusion épaisse entoure le sort de Carlo Tonon, tombé dans la descente du col de Joux-Plane en 1984. C’est la course en tête qui captive : Laurent Fignon toujours maillot jaune, Bernard Hinault toujours dauphin. Le modeste Italien, lui, a percuté un spectateur à vélo. Attardé, Carlo Tonon heurte violemment un cyclotouriste, remontant la course en sens inverse, à 7 kilomètres de l'arrivée, jugée à Morzine. A l’hôpital d’Annecy, les médecins se donnent 48 heures pour livrer un pronostic vital. L’un d’eux est plus direct avec Davide Boifava, le directeur sportif de l’équipe Carrera : Regardez bien votre coureur, il faudrait un miracle pour qu’il passe la nuit. Pourtant, Tonon s’accroche. Il reste dans le coma pendant trois semaines. La presse renonce à donner de ses nouvelles, si bien qu’une partie du public l’imagine déjà en chambre froide.

Les séquelles furent terribles. Pendant un an et demi, Tonon a vécu avec un cerveau d’enfant. Il a dû réapprendre à parler puis à écrire, ses souvenirs ont été rapiécés un à un. Lorsqu’il a pris conscience de son destin, oublié de son ancienne équipe, il s’est empli de chagrin et s’est senti inutile : Les amis m’ont abandonné. Il a trouvé refuge dans un élevage de truites tenu par sa famille, a prodigué ses conseils à de jeunes cyclistes de Vénétie. Cette vie chancelante s’est étirée jusqu’en juin 1996, quand Tonon, le demi-mort du Tour, choisit, en se suicidant, de quitter définitivement la course.

La tragédie éclate parfois sur une plage de la Côte d’Azur. Le tout premier disparu de l’épreuve le fut, en 1910, alors qu’il était descendu de vélo. Adolphe Hélière avait à peine 19 ans. Au départ, des lecteurs de l’Auto ont parié 100 francs que le petit mécanicien ne pourrait pas couvrir plus de trois étapes. Or, il pédale encore entre Grenoble et Nice. A travers les cols, il s’apitoie sur ses adversaires blessés et s’arrête même pour en jucher un sur ses épaules et le déposer dans une ferme. A son tour, il essuie les crevaisons et chute à cause d’un cheval. Il termine dans les huit derniers.

Au bord de l’eau, il s’endort à la belle étoile. Fatigue extrême ou manque d’argent pour se payer un lit ? Hélière n’est pas un « as » du peloton : il fait partie des « isolés », qui portent bien leur nom. Le lendemain, jour de repos, il place ses économies dans un bon déjeuner et, luxe suprême, s’offre une crème glacée. Quand il décide de se baigner, il est foudroyé par une hydrocution. Les coureurs, les organisateurs et les spectateurs se cotisent : dix mois plus tard, le corps peut enfin être inhumé en Bretagne.

A 25 ans, Fabio Casartelli laissait une veuve et un orphelin, Marco. Médaille d’or de la course en ligne en 1992 aux Jeux Olympiques de Barcelone, le coureur italien de Motorola était un coéquipier modèle, dans le sillage de son leader américain Lance Armstrong. Le choc fut terrible dans le peloton à la mort de Casartelli, grièvement blessé à la tête dans une chute dans la descente du Portet d’Aspet. Chez Motorola, certains hésitaient franchement à continuer la course, tel Lance Armstrong. Mais les coureurs de Jim Ochowicz poursuivirent la Grande Boucle. Le lendemain, entres Tarbes et Pau, l’ultime étape des Pyrénées était neutralisée par le peloton en hommage à celui qui venait de décéder. La bataille des cols était terminée prématurément, et le peloton laissa symboliquement les équipiers restants de Motorola, Lance Armstrong, Andrea Peron, Alvaro Mejia et Frankie Andreu, franchir la ligne en tête à Pau.

Trois jours plus tard, Lance Armstrong rendait un vibrant hommage à son jeune coéquipier disparu ... L’Américain, champion du monde sur route en 1993 à Oslo devant Miguel Indurain, montra son panache et son courage dans l’étape Bordeaux - Limoges, cochée par Casartelli lui-même en début de Tour. L’Italien s’était promis, une fois ses tâches de coéquipier effectuées, de tenter sa chance personnelle dans cette étape de transition, à la veille du dernier grand contre-la-montre au Lac de Vassivière. Vainqueur en solitaire à Limoges, Armstrong saluait la mémoire de Casartelli. A son arrivée dans la capitale de la porcelaine, le Texan leva deux doigts au ciel, comme un symbole. En 2001, six ans après le drame du Portet d’Aspet, parti à la conquête du maillot jaune dans l’étape du Pla d’Adet, Armstrong réédita son geste en hommage à Casartelli. Victorieux à Saint-Lary-Soulan une minute devant son rival Jan Ullrich, ayant imposé sa férule à Andreï Kivilev et Joseba Beloki, Lance Armstrong récupérait le maillot jaune et levait de nouveau les doigts au ciel ...

Indirectement, l’annulation de l’étape Tarbes - Pau de 1995 profitait à Miguel Indurain. Le maillot jaune espagnol, après l’étape de Cauterets, semblait dominer le Tour de façon implacable, même si l’écart sur ses challengers Alex Zülle (ONCE) et Bjarne Riis (Gewiss) n’était pas immense. Le Suisse et le Danois ne pointaient respectivement qu’à 2’46’’ et 5’59’’ du Navarrais, bien loin de l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette donc. La marge du Goliath de Pampelune était belle, mais si le sphinx de la Banesto semblait invulnérable, une défaillance en montagne se compte vite en minutes plus qu’en secondes : ainsi Eddy Merckx en 1975 à Pra-Loup, Greg LeMond en 1991 à Val Louron, Jan Ullrich en 1998 aux Deux Alpes voire même Lance Armstrong en 2000 dans Joux-Plane sur la route de Morzine. Le record des cinq victoires d’Anquetil, Merckx et Hinault allait bientôt être égalé par le génial coureur espagnol, qui avait dominé Gianni Bugno en 1991, Claudio Chiappucci en 1992, Tony Rominger et Zenon Jaskula en 1993, Richard Virenque, Piotr Ugrumov et Marco Pantani en 1994. Personne n’avait su interrompre son règne implacable sur les routes de France depuis quatre ans, lui qui avait succédé à Greg LeMond comme meilleur coureur du peloton après le troisième maillot jaune de l’Américain, acquis en 1990 ...

Sorti de l’ombre de Pedro Delgado en 1991, Miguel Indurain avait accompli un Tour de France 1995 parfait ... Prudent à Saint-Brieuc sous la pluie du prologue, Indurain n’avait pas cherché à faire un chrono, voyant à quel point le parcours breton était truffé de pièges, provoquant la chute et l’abandon de Chris Boardman. Opportuniste à Liège par une attaque dans le Mont-Theux, haut lieu des classiques ardennaises, Miguel Indurain affichait pour la première fois du panache sur le Tour. Souvent critiqué pour sa trop grande mansuétude (laissant gagner Gianni Bugno à l’Alpe d’Huez en 1991, Tony Rominger à Serre-Chevalier et Isola 2000 en 1993, Luc Leblanc à Lourdes Hautacam en 1994), Indurain avait attaqué sur la route de Liège, voyant la méforme de ses rivaux désignés Evgueni Berzin et Tony Rominger. Il enfonçait le clou dès le lendemain dans le CLM wallon entre Huy et Seraing. Dominé dans le dernier pointage intermédiaire par Bjarne Riis (pour 5 secondes), Indurain avait puisé dans ses ultimes ressources. L’orgueil avait poussé l’Espagnol à un effort terrible pour conserver son leadership dans son domaine réservé, le contre-la-montre. Meilleur rouleur de tous les temps avec Fausto Coppi et Jacques Anquetil, virtuose de l’effort solitaire, Indurain parvenait finalement en vainqueur à Seraing, douze secondes devant le surprenant coureur danois (5e du Tour en 1993). Au lendemain du subtil kriegspiel de Liège, place au blitzkrieg de Seraing. Le bulldozer de Navarre avait écrasé la concurrence, même si Bjarne Riis limitait les pertes au strict minimum.

Sur la route de Plagne, Indurain étendait ensuite son hégémonie. A la poursuite d’Alex Zülle échappé, l’Espagnol donnait tout son éclat au maillot jaune acquis en Belgique ... Imposant sa férule à Tonkov, Pantani, Riis, Jalabert, Berzin, Virenque et Jalabert, le quadruple vainqueur du Tour écrasait la concurrence, réduisant l’écart sur le Suisse Zülle, dont l’avance avait fondu comme neige au soleil dans les ultimes kilomètres vers la station alpestre. La promenade de santé du coureur suisse de la ONCE prenait fin face à la réaction du patron du peloton. En quelques kilomètres, d’un coup de massue, Indurain renvoyait chacun à son propre seuil d’incompétence en montagne, du fait du célèbre principe de Peter.
Le lendemain, dans le redoutable col de l’Alpe d’Huez séparant comme chaque année le bon grain de l’ivraie, seul l’escaladeur prodige qu’était Marco Pantani put tromper la vigilance du maillot jaune. Serein et puissant, l’ogre Indurain devançait Zülle et Riis au sommet.

Sur la route de Mende, cédant à la panique avec ses Banesto devant l’offensive des ONCE orchestrée par Laurent Jalabert, Indurain sauva finalement sa toison d’or, contenant Pantani et Riis dans la montée du Causse, vers l’aérodrome de Mende, tandis que Zülle concédait 17 secondes à l’Espagnol. Comme Bourvil et Louis de Funès s’envolant sur l’aérodrome lozérien à la fin de la Grande Vadrouille, Jalabert avait réussi une belle odyssée, il lui manquait juste le maillot jaune pour parachever cette journée de rêve, cet exploit majuscule. Le Tarnais garderait son beau maillot vert, ne maîtrisant pas encore l’alchimie pour se parer de la Toison d’Or. Mais les fulgurances tactiques de la ONCE n’avaient pas suffi pour sonner l’hallali face à l’intouchable Indurain, protégé par sa garde prétorienne de Banesto.

Dans les cols pyrénéens, Indurain n’était guère plus inquiété, sortant sans encombre des étapes de Guzet-Neige et Cauterets ... Le déclin qui guette, l’inexorable érosion du temps allaient encore attendre. Big Mig était encore au firmament. Alex Zülle et Bjarne Riis avaient chacun subi de très lourdes pertes. Décevant dixième du CLM de Seraing, Zülle avait perdu 3’56’’ sur Miguel Indurain. Le Danois, lui, avait perdu 5’35’’ à la Plagne sur le fer de lance des Banesto (soit 7’37’’ sur Zülle vainqueur d’étape ce jour là avec 2’02’’ d’avance sur Indurain) ... Des pertes irréversibles dans l’optique du maillot jaune, de surcroît quand l’adversaire a pour nom Miguel Indurain Larraya, parti en 1995 pour une cinquième razzia.

Devant la décision du peloton de neutraliser l’étape Tarbes - Pau en hommage à Fabio Casartelli, un seul coureur osa mettre son veto : Bjarne Riis, pourtant coéquipier du jeune espoir italien en 1993 chez Ariostea. Le Scandinave semblait oublier qu’il avait été, lui aussi, un simple porteur d’eau en début de carrière. Rouleur puissant et zélé, Riis était aussi à l’aise en montagne qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le dopage estampillé EPO, à partir de 1993, l’aidera à voltiger dans les cols des Alpes et Pyrénées, reléguant sa phobie de la montagne aux oubliettes. Son refus viscéral d’abdiquer dans la course au maillot jaune, avant l’épilogue parisien et le money time limousin de l’édition 1995, sont d’un point de vue sportif admirable. D’un point de vue humain, le comportement de Riis, est clairement abject. Il est celui d’un gladiateur sans honneur qui croyait, tel le phénix, renaître de ses cendres après avoir été mis K.O. sur les pentes de la Plagne. Transcendé par la perspective de la tunique jaune, Bjarne Riis pense avoir trouvé la martingale gagnante, il se consume d’impatience, il pense déployer ses ailes de condor sur le Béarn … Mais son double crime de lèse-majesté, envers la mémoire posthume de Fabio Casartelli et envers l’incontestable supériorité de Miguel Indurain, n’aura pas lieu.

Le Danois de la Gewiss, en grande forme dans la dernière semaine du Tour 1995, pensait avoir les moyens de reprendre à Miguel Indurain son maillot jaune. 6e à Guzet-Neige, 5e à Cauterets, Bjarne Riis espérait donc faire exploser la course entre Tarbes et Pau. La suite du Tour démontra l’inverse ... Au CLM du Lac de Vassivière, l’Espagnol parachevait sa cinquième victoire dans le Tour en devançant Riis de 48 secondes. Seuls deux coureurs avaient perdu le Tour en pénétrant dans les cols pyrénéens ceint du maillot jaune : Luis Ocaña, en 1971, au profit d’Eddy Merckx, et Claudio Chiappucci, en 1990, au profit de Greg LeMond. Bjarne Riis ne serait pas le troisième, et Indurain gagnerait en 1995 son cinquième Tour de France, étant invaincu sur trois semaines depuis la Vuelta 1991 (exception faite du Giro 1994 où bien des observateurs avaient un peu trop vite annoncé son déclin ...). Près du plateau de Millevaches, là où le Danois aurait peut-être pu concurrencer Indurain dans ses rêves les plus fous si jamais l’étape de Pau avait tourné en sa faveur, l’Espagnol ramenait brutalement Riis à la réalité, sortant son rival de sa douce utopie ... Dans ce CLM de Vassivière, où LeMond avait pris le maillot jaune en 1990 face à Chiappucci, Indurain prouvait qu’il restait le meilleur rouleur du peloton, Riis battant quant à lui Tony Rominger.

En 1996 pourtant, Bjarne Riis serait le premier à interrompre le règne d’Indurain. La sixième victoire espérée par le leader de Banesto resterait un mirage après sa défaukkacbe des Arcs où Big Mig n’avancçait guère plus vite qu’une lanterne rouge après sa fringale carabinée. Alors que les vannes célestes s’abattaient sur les Alpes, l’Iseran et le Galibier disparaissaient du programme de l’étape de Sestrières. Pour cette étape piège de 46 kilomètres, Riis frappa fort, un enterrement de première classe. Le maillot jaune de Berzin était un leurre, une chimère, même si le Russe avait gagné la veille le chrono de Val d’Isère où Miguel Indurain avait encore bu la tasse, loin des meilleurs (5e). Non, le plus fort de cette édition 1996 était bien l’aigle danois, qui allait le prouver dans le Piémont, troquant son maillot rouge et blanc de champion du Danemark pour le maillot jaune de leader du Tour de France. Scellant définitivement sa victoire sur les cimes de Lourdes Hautacam, Riis recevait l’hommage d’Indurain le lendemain à l’arrivée de l’étape de Pampelune, tandis que le roi Miguel, bien que vaincu sur la route, recevait l’ovation de son peuple. Dans ce Tour 1996, la baraka avait fui, et la scoumoune lui collait à la peau tel le fameux sparadrap du capitaine Haddock.

Bjarne Riis avait compris qu’Indurain devait être attaqué bien avant le dernier col. Quittant Gewiss fin 1995, lassé des caprices à répétition d’Evgueni Berzin, le Danois rejoignait l’équipe allemande Telekom, promettant à Walter Godefroot de décrocher le maillot jaune à l’été 1996. Au Tour de Majorque, Riis faillit perdre un précieux cahier où il avait noté, durant 1995, tout ce qu’il fallait faire en vue de préparer le Tour. A son hôtel de Majorque, le Danois avait vu sa valise cambriolée ... L’argent avait été volé mais le précieux cahier restait en l’état ... Ironie du destin, la défaite d’Indurain en 1996 avait lieu dans les Pyrénées, là où Riis pensait qu’il avait perdu le Tour en 1995, par la faute de l’annulation de l’étape Tarbes - Pau ... Le Danois pensait avoir été privé de son été indien, finissant très fort la Grande Boucle en terme de récupération.

Quelques jours plus tard, Lance Armstrong rend hommage à Fabio Casartelli en gagnant à Limoges le doigt levé, sur ce Tour de France 1995. Le Texan, avant son septennat d’imposture entre 1999 et 2005, est un coureur de classiques, comme l’a montré son titre mondial à Oslo en 1993. En 1993 à Verdun, un mois et demi avant de conquérir le prestigieux maillot irisé, le jeune rookie américain de Motorola avait déjà réussi à tirer son épingle du jeu par une victoire d’étape. Interrogé par le journaliste new-yorkais Samuel Abt alors que Greg LeMond avait déjà emprunté l’inexorable toboggan du déclin, Lance Armstrong avait répondu avec une belle répartie : - Serez-vous un deuxième Greg LeMond ?- Je serai le premier Lance Armstrong !

Il ne croyait pas si bien dire, lui qui serait le champion de l’omerta durant les années de plomb de ce cyclisme 2.0 protégé de l’œil du cyclone par le Ponce Pilate de Lausanne, Hein Verbruggen. Du haut de sa tour d’ivoire, le président de l’UCI permettait aux coureurs de franchir le Rubicon, sans jamais nettoyer les écuries d’Augias. Tout le monde se regardait en chiens de faïence sans que personne n’agisse, afin de préserver l’intégrité de la poule aux œufs d’or, ces œufs de Fabergé qui faisaient la fierté de l’aristocratie russe du XVIIIe siècle à Saint-Pétersbourg. La politique de l’autruche, encore et toujours, pour que le cyclisme propre demeure une jachère. L’Italie, premier Eldorado du dopage, allait s’en donner à cœur joie, mais le premier conquistador de ce cyclisme viendrait d’Espagne : Miguel Indurain. Les morts à répétition du cyclisme néerlandais n’avaient semble-t-il interpellé personne. Verbruggen avait vu Francesco Conconi, à 55 ans, faire la démonstration de l’EPO, nouvel élixir de puissance, sur les pentes du Col du Stelvio, mythique juge de paix des Dolomites. La boîte de Pandore était fermée à double tour depuis 1991, début du quinquennat de Miguel Indurain. OVNI du cyclisme, l’Espagnol avait basé son hégémonie sur ses fantastiques capacités intrinsèques de rouleur. C’est là qu’il allait écraser la course en 1992 à Luxembourg, en 1993 au Lac de Madine ou en 1994 entre Périgueux et Bergerac, atomisant à chaque fois ses victimes pulvérisées par sa pédalée titanesque, en plein cœur de l’épicentre d’un séisme qui avait fracassé le macadam par une telle puissance. Trois années de suite, les challengers du roi Miguel avaient servi de punching-ball, avec autant de partitions sans fausse note aux airs de requiem pour la concurrence, de la part du métronome de l’effort solitaire. Dans le Grand-Duché en 1992, en Lorraine en 1993 ou dans le Périgord en 1994, il avait fallu ramasser les restes du peloton à la petite cuillère, miettes du festin gargantuesque d’un monstre se déployant dans l’orbite de la perfection, avec trois mots de latin pour résumer ces trois journées : Veni, Vidi, Vici. En face du mètre étalon de la petite reine, pas le menu fretin, pas des vulgaires fétus de paille, mais le gratin mondial du cyclisme, près de 200 coureurs triés sur le volet des meilleures équipes au monde. Mais face à ce titan investi de potion magique, seule la deuxième place était un objectif raisonnable, et beaucoup font figure de simples figurants, tels Laurent Fignon en 1992 à Luxembourg ou Lance Armstrong sur la route de Bergerac en 1994. Les deux champions prennent chacune une valise de six minutes face au TGV ibérique ... En 1995 entre Huy et Seraing, Bjarne Riis n’avait perdu que 12 malheureuses secondes sur Indurain. Mais le Danois oubliait que le Navarrais avait couru avec panache la veille sur la route de Liège, où Johan Bruyneel lui avait sucé la roue avant de s’offrir la victoire d’étape dans la cité wallonne. Le Danois oubliait aussi qu’il n’était que le joker d’Evgueni Berzin, le prodige russe de la Gewiss s’étant révélé avec fracas au printemps 1994 : triomphe sur la Doyenne à Liège, participation au triplé du jus d’orange sur la Flèche Wallonne, victoire sur le Giro. Après le passage de l’ouragan Gewiss au printemps 1994, le cyclisme mondial faisait passer le reste du peloton pour Rome incendiée après Néron, ou Pompéi après le Vésuve : un champ de ruines apocalyptiques. Michele Ferrari et ses padawans avaient définitivement fait basculer les sceptiques du côté obscur de la force. Seul Miguel Indurain, en juillet 1994, avait sifflé la fin de la récréation, battant facilement ses challengers sur la Grande Boucle. Mais Gewiss avait placé le vétéran letton Piotr Ugrumov sur la deuxième marche du podium, devant le nouveau prodige des cimes, l’Italien Marco Pantani.

Grand fauve, Indurain avait failli se faire battre dans sa chasse gardée par son rival scandinave, 5e du Tour en 1993. Le coup de Jarnac liégeois avait bien failli se révéler une victoire à la Pyrrhus. Blessé dans son orgueil, le Goliath de Pampelune avait sorti le bleu de chauffe dans les derniers kilomètres du chrono ardennais, pour remettre les pendules à l’heure face à celui qui lui avait tenu la dragée haute pendant la grande partie de l’épreuve. Orphelin de sa fraîcheur du fait de l’attaque surprise de Liège, le cheval de Troie navarrais s’en remettait à son expérience et à son courage. Repoussant les limites de la douleur tel Sisyphe poussant son rocher, Indurain tenait sa prouesse, la rage chevillée au corps, au paroxysme de l’effort, comme si l’acide lactique n’était qu’un concept virtuel, une vue de l’esprit.

Dressant la guillotine dans l’étape de la Plagne où Alex Zülle avait réussi un éblouissant numéro de grimpeur, ce diable d’Indurain faisait passer tous ses rivaux sous ses fourches caudines, de Marco Pantani à Richard Virenque en passant par Tony Rominger ou encore Pavel Tonkov. Bjarne Riis avait perdu plus de cinq minutes et demie ce jour là sur la route de la Plagne. Le camouflet était terrible pour le coureur danois. Exception faite de l’escarmouche des ONCE de Jalabert sur la route de Mende, Miguel Indurain avait encore réussi à cannibaliser la Grande Boucle, pour le cinquième été de rang. Spécialiste honoris causa de la grand-messe de thermidor, l’épouvantail espagnol avait encore tutoyé la perfection en montagne, tirant la quintessence du dopage de pointe prodigué par Sabino Padilla chez Banesto. La tactique éprouvée par Jose Miguel Echavarri avait encore fonctionné, une fois de plus, laissant les autres crocodiles du marigot estival en découdre pour les accessits. Banesto avait accompagné son leader jusqu’au dernier col en décourageant les offensives de quiconque voulait déboulonner le golem venu d’Espagne. Mais un homme voulait s’extraire de la fange des vaincus pour se mesurer à celui qui allait rentrer dans le gotha comme le quatrième homme à ramener cinq fois le maillot jaune à Paris après Jacques Anquetil, Eddy Merckx et Bernard Hinault. Bjarne Riis pensait donc pouvoir tirer la substantifique moelle de l’étape Tarbes – Pau pour effacer un handicap de près de six minutes sur Miguel Indurain. En 1994, son coéquipier letton chez Gewiss, Piotr Ugrumov, avait repris presque neuf minutes au colosse de la Banesto en trois étapes, Val Thorens et Cluses et Morzine Avoriaz. Mais l’avance d’Indurain sur le Letton était un véritable gouffre ! A l’exception de Liège où il avait offert des montagnes russes d’adrénaline au public du Tour de France, Indurain avait plus géré son capital que couru avec panache. Son chant du cygne attendrait donc 1996. Bjarne Riis, lui, avait eu l’indécence de penser que la journée du 19 juillet 1995 put être courue comme si de rien n’était, comme si la mort de Fabio Casartelli n’était qu’un évènement lambda, insignifiant.

C’est ignorer que le peloton a ses règles, son code d’honneur, qu’il sait rendre hommage aux siens. A quelques jours de l’apothéose, Miguel Indurain avait donc reçu un petit coup de pouce de la chance. Mais personne n’aurait misé un kopeck sur les chances de Riis de désarçonner Indurain en ce mois de juillet 1995. Le Scandinave devrait attendre un an avant de devenir calife à la place du calife. D’ailleurs, le Navarrais profita du chrono du Lac de Vassivière pour montrer à Riis, Rominger et consorts qui était le patron dans l’effort solitaire. A 31 ans, le roi Miguel restait encore le maître du jeu, même s’il commettrait le péché d’orgueil de briguer un sixième maillot jaune en 1996. Son bourreau aurait pour nom Bjarne Riis, à Lourdes Hautacam et Pampelune, bâton de maréchal d’une carrière débutée dans l’ombre pour le coureur danois. Le cavalier seul de Riis dans Hautacam est à mettre en parallèle du calvaire d’Indurain, lequel a bu le calice jusqu’à la lie ce jour là, comme s’il était chloroformé, les jambes sans jus. Le chant du cygne de Miguel Indurain interviendrait aux Jeux Olympiques d’Atlanta, dans l’épreuve chronométrée, tandis que Pascal Richard succéderait à Fabio Casartelli dans la course en ligne, pour la première fois ouverte aux coureurs professionnels.

A son apogée en 1995, Indurain était donc invulnérable, ayant réalisé le triplé Midi Libre / Critérium du Dauphine Libéré / Tour de France réussi par le Cannibale Eddy Merckx en 1971. Cette année là fut le climax du virtuose coureur bruxellois, avec un taux de victoires de 50 % proprement effrayant … L’usure du pouvoir finirait par avoir raison du grand Merckx en 1975 sur la route de Pra-Loup, comme ce serait le cas pour Miguel Indurain en 1996 aux Arcs. Au faîte de sa gloire, au firmament de son parcours de cycliste, l’Espagnol avait réussi son Tour le plus accompli en 1995, bouclant la boucle avec maestria. Il avait accompli la quadrature du cercle : gestion intelligente du prologue pluvieux de Saint-Brieuc, attaque opportuniste dans les monts ardennais sur la route de Liège, victoires dans son jardin du contre-la-montre à Seraing puis au Lac de Vassivière, manœuvre de patron sur la route de la Plagne pour enfoncer le clou au classement général. Le seul bémol avait été ce début de panique, ce moment de flottement sur la route de Mende, dans l’étape du 14 juillet. Mais si Bjarne Riis croyait qu’il pouvait regarder Miguel Indurain dans le blanc des yeux en ce 19 juillet 1995 entre Tarbes et Pau, il se mettait le doigt dans l’œil, tant le leader espagnol de Banesto avait porté son art au pinacle. On ne pouvait pas écrire, cette fois, qu’il avait couru en épicier. Plébiscité meilleur coureur du monde entre 1991 et 1994, Indurain méritait encore ce titre subjectif. Dans cette épreuve de grand fond qu’était le Tour de France, plus darwinienne que jamais, le roi Miguel avait passé l’examen avec mention très bien. Les inquiétudes de 1994, avec une défaite sur le Giro contre Evgueni Berzin et Marco Pantani, et un revers à distance dans la course au record de l’heure face à Tony Rominger, était balayées d’un revers de main. Le Navarrais continuait de pérenniser les exploits. Indurain avait lavé l’affront de façon sublime, avec une forme stratosphérique, pour ne pas dire stellaire, en ce mois de juillet 1995 qui en faisait l’égal statistique des plus grands, même si d’un point de vue de l’empreinte historique, Fausto Coppi complétait bien mieux que lui le carré d’as à former avec le triumvirat Anquetil / Merckx / Hinault. Il manquait un petit quelque chose en plus à Miguel Indurain pour faire de son règne la madeleine de Proust d’amateurs de vélo : son éloquence et son charisme envers le public. Champion du silence, bien que patron despotique et incontesté de la Banesto le soir au dîner, le géant de Pampelune ne pouvait pas dire que la foule avait pour lui les yeux de Chimène. Il n’était pas détesté non plus, il suscitait plus le respect que l’admiration ou l’idolâtrie. Il lui manquait ce petit supplément d’âme qui sépare les grands champions des authentiques héros, de ceux qui restent gravés dans la mémoire collective pour la nuit des temps.

Personne n’avait donc trouvé l’antidote à sa formidable suprématie, qui prendrait fin en 1996, avant que Jan Ullrich et Marco Pantani ne précèdent le futur septennat qui s’annonçait, celui du martien Lance Armstrong. Le Texan imposerait sa férule avec un sceau d’une rare violence entre 1999 et 2005, à la façon d’un shérif forçant la porte du saloon, d’un titan surclassant de simples mortels. Le joug insatiable du Texan contraindrait Ullrich, Pantani et consorts aux mines de sel pendant sept années de malheur, comme si l’Europe avait cassé un miroir après la fin du Tour de France 1998. Mais à la différence d’Indurain en 1996, l’Américain ne tomberait jamais du Capitole à la Roche Tarpéienne durant son règne d’airain. Il faudrait attendre son retour raté, en 2010, sur la route d’Avoriaz, pour voir le rouleau-compresseur prendre un visage humain, après tant d’années d’un moulin à café à la cadence de pédalage ravageuse, telle la foudre de Jupiter. Hein Verbruggen, ancien responsable marketing des barres chocolatées Mars, aura protégé politiquement Lance Armstrong de deux contrôles positifs, sur le Tour de France 1999 et sur le Tour de Suisse 2001.

Mars, et ça repart. Rappelez-vous cette pub où un jeune adolescent abandonne sa vocation de séminariste sur fond de musique grunge Nirvana (My Girl, where did you sleep last night ?), aux portes d’un monastère blanc rappelant le clocher de la mission espagnole de Sueurs Froides (1958), où John Ferguson et sa phobie du vertige ne peuvent empêcher la machination Elster. Après son adolescence de cycliste passée sur les rives du lac de Côme, Lance Armstrong, lui, a abandonné sa vocation de golfeur amateur en Europe, sur la Riviera niçoise, en se remettant des coups de pied au cul grâce à son épouse Kristin et à Jim Ochowicz. Le bon vieux temps des Gun’s N’Roses, musique de chambre de l’adolescent triathlète des années 80, allait revenir. Selon son autobiographie si pure que Wiki Leaks n’ira jamais la contredire, le Texan est redevenu un coureur en Caroline du Nord, sur les pentes de Beech Mountain, son Everest du Tour DuPont en 1996, seule course par étapes que le Texan aux épaules de rugbyman pouvait décemment viser à l’époque, avant de devenir l’imposteur, le renégat, le Judas du cyclisme, avec trente deniers, et un taux de change qui a explosé depuis 33 après Jésus-Christ, en 1 966 ans d’histoire économique entre la Judée romaine de +33 et la France chiraquienne de 1999. Comptez environ un million de dollars par denier d’argent du temps de Barabbas et Ponce Pilate, sur le Mont des Oliviers, près du Golgotha. Sestrières sera le Golgotha du cyclisme le mardi 13 juillet 1999, Zülle, Olano et consorts servant de punching-ball à Lance « Terminator » Armstrong. Même Cipollini déguisé en Jules César n’a rien pu faire contre ce Keyzer Soze de la petite reine. La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ! Verbal Kint alias Kevin Spacey n’a fait que paraphraser Charles Baudelaire. Mars, et ça repart. Telle une ode au dieu romain de la guerre, on se remet un coup de seringue comme Astérix boit une gourde de potion magique fournie par son druide Panoramix. Et à la fin, on se gave comme une oie au banquet du village des irréductibles gaulois sur la côte d’Armorique, tels Lance Armstrong et ses postiers bleus de l’US Postal ainsi que le fidèle Motoman au Musée d’Orsay le 25 juillet 1999 à l’arrivée du 86e Tour de France, alias 1er Tour du Renouveau (copyright Jean-Marie Leblanc), 31 ans après le Tour de la Santé que Jacques Goddet avait osé vendre en 1968 à Vittel, un an après le décès tragique de Tom Simpson sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux. Mais Lance Armstrong, stakhanoviste de l’entraînement devenu un moine-soldat du cyclisme mutant, ne faisait pas autre chose que Miguel Indurain, sauf qu’il cassait la vaisselle à la fois en montagne et dans les chronos. Miguel Indurain, exception faite des étapes (Val Louron 1991, Serre Chevalier 1993, Lourdes Hautacam 1994 et La Plagne 1995), gérait en montagne le capital acquis dans les chronos.

Au Lac de Vassivière donc en 1995, le roi Indurain prenait 48 secondes à son dauphin du jour, Bjarne Riis. Sur l’asphalte limousine, la hiérarchie était claire, et Riis finissait 3e de ce Tour de France 1995, à 6 minutes et 47 secondes. Sans faire injure au Danois, il était encore un cran en-dessous du maestro ibérique cette année là, 1995 étant l’acmé du grand champion espagnol. Mais Riis viserait sa quête du Graal en 1996, piétinant la bienséance le 16 juillet à Lourdes Hautacam, jour du 32e anniversaire de son rival espagnol. Le lendemain, vers Pampelune, le 17 juillet, il ne ferait pas plus de sentiments qu’un cow-boy dans un western-spaghetti. L’épée de Damoclès était tombée, et Indurain devait rendre les armes devant son public et sa famille, sur la terre de Navarre chère au bon roi Henri IV.

Si le Portet d’Aspet avait été le tragique cimetière de Fabio Casartelli, c’est bien dans les Pyrénées que Riis allait définitivement prendre le pouvoir. Mais avec un an de retard, moins deux jours. Du 19 juillet 1995 au 16 juillet 1996. Sortant ses bottes de sept lieues, l’Hercule venu du Danemark allait atteindre son firmament physiologique en gagnant à Hautacam sur le grand plateau avec la vitesse d’un dragster. Monsieur 60 % justifiait la préparation de son marabout de Toscane, le docteur Luigi Cecchini, éminence grise cachée derrière le médecin officiel de la Deutsche Telekom, Lothar Heinrich. Par trois fois, Riis s’était laissé faussement décrocher. Par trois fois, il était revenu du diable vauvert. Comme pour Indurain entre 1991 et 1995, la clé de voûte de son succès sur le Tour tenait en trois lettres : EPO. Comme pour tous les maillots jaunes par la suite, le dopage sanguin serait l’alpha et l’oméga menant aux lauriers élyséens. Le coureur danois s’attirerait tous les superlatifs des journaux et de l’aréopage du cyclisme, du landerneau journalistique. Sa victoire allait faire pschitt dès 1997, écrasé par la classe folle de son jeune coéquipier allemand, Jan Ullrich. Ce dernier, dès 1996, allait montrer son incroyable potentiel en s’offrant le scalp du grand Indurain entre Bordeaux et Saint-Emilion. Ce serait le premier soleil d’Austerlitz de ce Rastignac pressé venu de Rostock, en Allemagne de l’Est. La figure de proue du cyclisme espagnol, éparpillée façon puzzle au classement général, n’avait pas pu sauver l’honneur sur les routes du Médoc. Le Pantagruel du chrono qu’était Indurain rentrerait bredouille de cette cuvée 1996 aux airs de piquette, fanny, sans la moindre victoire d’étape. Après cinq millésimes exceptionnels, le cru 1996 était raté pour Banesto et Indurain. Ce succès d’Indurain sonnait le tocsin, pour ne pas dire le glas, des espoirs d’Indurain en vue de 1997. Lucide, le roi Miguel jetterait l’éponge sur la Vuelta, dans l’étape de lacs de Covadonga, magnifique site du parc des Pics d’Europe, dans la région des Asturies : un panorama de rêve, idyllique.

Beaucoup de sites de rêve n’ont eux jamais accueilli le Tour de France, dont le parcours s’apparente à un concours Lépine annuel de l’originalité. Il faut se renouveler tout en restant classique et en s’appuyant sur la tradition. C’est le dilemme des organisateurs de la Grande Boucle : être raisonnable, utiliser plaines, montagnes et étapes chronométrées avec parcimonie. Le plus célèbre exemple de ville ignorée par le Tour est New York. En 1997, dans l’optique du parcours de l’édition 2000 de la Grande Boucle, Jacques Goddet avait imaginé un prologue à Big Apple, dans Central Park, avant de rapatrier le peloton et la caravane en Concorde vers Londres, puis en Eurostar vers Calais ! Plus raisonnablement, Jean-Marie Leblanc fit partir l’édition 2000 du Tour de France du Futuroscope de Poitiers, comme en 1990. La Guadeloupe et la Martinique, suggestions du même Jacques Goddet pour le Tour du Centenaire 2003, furent ignorées par ASO, malgré une candidature guadeloupéenne pour accueillir un grand départ à Pointe-à-Pitre en 2000. Les DOM-TOM ont en tout cas accueilli deux équipes de France, celle de football en novembre 2005 (match amical contre la Costa Rica à la Martinique, à Fort-de-France) puis en mai 2010 (match de préparation à la Coupe du Monde en Afrique du Sud, contre la Chine à Saint-Denis de la Réunion), et celle de tennis en février 2016 sur l’initiative du nouveau capitaine Yannick Noah, désireux d’exploiter le climat guadeloupéen pour jouer sur terre battue face au Canada. Si la Guadeloupe ou la Martinique arrivent un jour à accueillir la Grande Boucle malgré les inconvénients logistiques, et malgré la fin du Concorde en 2000 qui aurait permis un retour si rapide vers la lointaine métropole, tous les espoirs seront permis pour tant d’îles proche de la France métropolitaine : Jersey et Guernsey, l’île d’Elbe, la Sardaigne, les Baléares, Porquerolles, Belle-Ile, Ré, Oléron … Mais le Tour n’est pas très insulaire, ayant mis 110 ans à poser ses valises sur l’île de Beauté. En 2013, le Tour passa enfin en Corse, à Porto Vecchio, Bastia, Calvi et Ajaccio. Mais les falaises de Bonifacio furent ignorées. Au-delà de la mégapole américaine et de la ville la plus méridionale de France d’où l’on aperçoit la Sardaigne, deux sites pyrénéens comme Pont d’Espagne et le Cirque de Gavarnie souffrent de ne jamais avoir accueilli le Tour de France cycliste. Ces deux joyaux des Pyrénées font partie du patrimoine naturel et culture de la France. L’Hexagone, pays le plus touristique au monde, possède pléthore de merveilles culturelles ou naturelles, telle une caverne d’Ali Baba. Il faut un appétit colossal pour tout visiter : Tour Eiffel, Musée du Louvre, Musée d’Orsay, Château de Versailles, Mont Saint-Michel, Rocamadour, île de Porquerolles, bastides de Dordogne, Châteaux de la Loire (Chambord, Chenonceaux, Villandry, Azay-le-Rideau, Cheverny, Blois, Amboise …), Dune du Pyla, calanques de Cassis, gouffre de Padirac, gorges du Verdon, du Tarn, du Cians ou encore de l’Ardèche, golfe de Girolata, réserve de Scandola et calanques de Piana, falaises de Bonifacio, route des vins d’Alsace, lac d’Annecy, massif du Mont-Blanc, maquis du Vercors, citadelles de Vauban, grotte de Lascaux, hospices de Beaune, falaises d’Etretat, remparts de Saint-Malo, villes de Lyon, Bordeaux, Paris, Strasbourg et Nice, abbaye de Vézelay, volcans d’Auvergne, viaduc de Millau, menhirs et dolmens de Carnac, côté de granit rose en Bretagne, abbaye de Jumièges, arènes de Nîmes et d’Arles, palais des Papes d’Avignon, théâtre antique d’Orange, villages du Luberon et de Provence, cathédrales d’Amiens, Chartres, Paris, Reims et Strasbourg, place du Capitole de Toulouse, château de Chantilly, cité épiscopale d’Albi, place Stanislas de Nancy, château de Fontainebleau, Pont du Gard, châteaux cathares des Pyrénées, ville fortifiée de Carcassonne, château de Vaux-le-Vicomte, forteresse de Château-Gaillard surplombant la Seine aux Andelys, plages du Débarquement, beffroi de Lille, coteaux de Champagne, îles de Lérins, pinèdes des Landes, Rocher de la Vierge à Biarritz, villages typiques du Pays Basque, île de Ré, butte Montmartre, colline de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille … La liste est sans limites ! En bref, tous ces lieux où vous pouvez passer du syndrome de Stendhal, ébloui par une beauté foudroyante jusqu’à une étrange sensation de malaise, au syndrome de Stockholm, à vous faire kidnapper plusieurs été d’affilée par ces coins de paradis, lorsque le soleil est à son zénith. Mais l’Hexagone, tonneau des Danaïdes pour la gestion de ses dépenses publiques, est incapable de tirer le fruit économique de ses merveilles touristiques. Ce n’est pas dans l’ADN français que de tirer profit d’un tel butin, tel les pommes d’or du jardin des Hespérides.

Initialement, l’étape du 18 juillet 1995 aurait dû se terminer au Pont d’Espagne, non loin du cirque de Gavarnie, mais le 3 avril 1995 la Société du Tour de France publia un communiqué : Cela pose de multiples problèmes, tant au niveau de la loi que de l’organisation, étant donné la taille et l’enthousiasme de la foule attendue. La ligne d’arrivée fut donc sagement déplacée plus bas, à Cauterets. Durant les années 80, un dossier Gavarnie était entreposé avec d‘autres, au QG parisien du Tour de France. Une ligne d’arrivée potentielle avait même été déterminée, aux Espécières : 1700 mètres d’altitude, 6 kilomètres avant le Boucharo, littéralement à la porte de l’Espagne. Après 19 kilomètres d’une montée relativement douce vers Gavarnie et jusque dans le cirque, route et coureurs devaient tourner à droite, sur la départementale D 921, en direction de Boucharo.

Arrive ensuite la fameuse Brèche de Roland, cette impressionnante trouée de 100 mètres dans la paroi rocheuse. Selon la légende, elle aurait été créée par Durandal, l’épée mythique de Roland, le neveu de Charlemagne, lors de la bataille de Roncevaux, en l’an 778, face aux Vascons, ancêtre des Basques et des Gascons. De retour de Saragosse où le gouverneur de Barcelone avait sollicité l’aide des Francs, Roland et Charlemagne furent attaqués par des pillards vascons au col de Roncevaux, le 15 août 778. Face à l’émir de Cordoue, le gouverneur de Barcelone demande l'aide des Francs pour tenir la ville de Saragosse afin qu'il puisse aller conquérir d'autres territoires, voulant ainsi en devenir le roi et allié de Charlemagne. Cela aurait ainsi permis de créer un État tampon, une marche entre le royaume et l'empire sarrasin d'al-Andalus afin de protéger le royaume franc des razzias. A l’issue de la bataille, Roland aurait voulu détruire son épée en la frappant contre la roche. Voyant qu'elle ne cassait pas, le neveu de Charlemagne l'aurait envoyée de toutes ses forces dans la vallée et elle se serait fichée dans une falaise à Rocamadour dans le Lot ...

Cette Brèche de Roland marque la frontière naturelle entre l’Espagne et la France. Pont d’Espagne et le cirque de Gavarnie font tous deux partie du Parc National Des Pyrénées, espace protégé créé en 1967 et faisant partie des dix parcs nationaux de France : Calanques, Cévennes, Ecrins, Guadeloupe, Guyane, Mercantour, Port-Cros, Pyrénées, la Réunion et Vanoise.

Les premiers parcs nationaux de France créés avaient ceux de la Vanoise et de Port-Cros en 1963, suite au statut mis en place par le gouvernement de Michel Debré en 1960.

En 1992 déjà, le Tour de France avait dû se soumettre aux contraintes du Parc National de la Vanoise pour l’étape Saint-Gervais – Sestrières (14e étape du Tour, gagnée par Claudio Chiappucci), pour, selon la direction du parc, concilier le bon déroulement d’une grande manifestation sportive avec le respect de l’environnement dans des espaces naturels protégés, les véhicules de la caravane publicitaire d’une part observeront le silence complet, sans klaxon, ni haut-parleur, d’autre part ne jetteront ni tract, ni objets publicitaires.

En outre, il était prescrit aux hélicoptères de contourner la zone centrale du parc ou de la survoler à plus de 1 000 mètres. Il était enfin demandé au public de respecter le site, et en particulier, de ne pas peindre d’inscriptions sur la route. Si, dans le parc lui-même, les mesures prescrites furent dans l’ensemble respectées par les organisateurs et par le public, il n’en fut pas de même dans la réserve naturelle du Vallon de l’Iseran, soumise à une règlementation très stricte interdisant notamment la pratique du camping et du caravaning, la cueillette des fleurs et la présence d’animaux domestiques. Avec 200 000 personnes présentes le bord de la route, tous les interdits furent violés causant des dégâts importants dans la flore, sur les pentes garnies de gentianes, anémones et autres silènes. Au lendemain du passage du Tour, alors que le peloton prenait la direction de l’Alpe d’Huez, on peut entendre un véritable concert de protestations, le maire de Bonneval jetant l’opprobre à la célèbre course cycliste : la montée d’un col alpestre par le Tour de France est une horreur. Tout ce qui entoure la course est une agression contre la beauté et le silence de la montagne. En outre, les dirigeants de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature avaient émis une protestation solennelle

En 1993, lors de la 11e étape partant de Serre-Chevalier (prêt du Parc des Ecrins) à Isola 2000 (station située près du Parc du Mercantour) remportée par Tony Rominger devant le maillot jaune Miguel Indurain, des mesures très sévères avaient été prises portant en particulier sur l’accès à la route du col de la Bonette Restefond, interdite 24 heures avant le passage de la course. Plus haut col d’Europe (2 802 mètres) devant le Passo di Stelvio (27 58 mètres), mythe absolu des Dolomites et juge de paix du Giro en 1953 et 1980 notamment au bénéfice des géants Coppi et Hinault, la Bonette Restefond n’allait accueillir que 100 000 spectateurs, loin de la fourchette de 300 000 à 500 000 espérée par les organisateurs dans une sorte de stade à ciel ouvert, l’asphalte remplaçant la pelouse, la terre battue ou la cendrée.

Le problème n’était donc pas totalement nouveau pour l’édition 1995 de la Grande Boucle. Et les organisateurs avaient la pression car la dernière traversée des Pyrénées vraiment réussie datait de 1991, avec la passation de pouvoir entre Greg LeMond et Miguel Indurain dans l’étape du Val Louron, Claudio Chiappucci faisant exploser l’Américain dans le col du Tourmalet. Victime à la fois des premiers effets sa myopathie mitochondriale (conséquence des plombs restés dans son organisme après son terrible accident de chasse du printemps 1987) et des effets de l’EPO chez ses rivaux Indurain, Chiappucci et Bugno (ce dernier vantant cependant son régime de pâtes et sa musicothérapie à coups d’ultrasons de Wolfgang Amadeus Mozart pour expliquer sa métamorphose à l’hiver 1989-1990), le triple vainqueur du Tour abdiquait son espoir d’un quatrième maillot jaune. Plus globalement, sa génération de l’Américain passait la main : le Français Laurent Fignon, l’Espagnol Pedro Delgado et le Colombien Luis Herrera laissaient la place au trio Indurain – Bugno – Chiappucci, podium final du Tour de France 1991 mais aussi en 1992.

Cette année là, le parcours du Tour fait scandale, plus que jamais. Jean-Marie Leblanc a ouvert une boîte de Pandore et libère des démons … Face aux ayatollahs du conservatisme, le directeur de l’épreuve a franchi le Rubicon.

Ce Tour de France 1992 célèbre en effet l’Europe, l’année de la ratification par les douze états membre du traité de Maastricht (qui met en place l’Union Européenne et son mécanisme de coopération renforcée). Allant plus loin que le traité de Rome (1957), le traité de Maastricht est signé le 7 février 1992, et entre en vigueur le 1er novembre 1993. Il sera ratifié de justesse par les Français en référendum le 20 septembre 1992, à 51.04 % des voix, après un débat passionné entre le Président de la République socialiste François Mitterrand et son contradicteur RPR, le souverainiste Philippe Seguin, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, sous l’œil de l’académicien Jean d’Ormesson.

Depuis, les traités d’Amsterdam, Nice et Lisbonne sont allés plus loin que le texte signé à Maastricht. Six pays limitrophes de la France, chacun étant membre de la Communauté Economique Européenne, sont donc parcourus par ce Tour 1992 : l’Espagne à San Sebastian (victoire de Miguel Indurain dans le prologue, de Dominique Arnould dans la première étape en ligne, une boucle vers la ville côtière basque), la Belgique à Bruxelles (victoire de Laurent Jalabert), les Pays-Bas à Valkenburg (victoire de Gilles Delion), l’Allemagne à Coblence (victoire de Jan Nevens), le Luxembourg (victoire de Miguel Indurain dans le CLM), l’Italie à Sestrières (victoire de Claudio Chiappucci après une échappée solitaire en montagne, à travers le col de l’Iseran notamment).

On remarquera aussi le passage du Tour par trois villes sièges d’institutions européennes : Bruxelles (Commission Européenne), Luxembourg (Cour de Justice Européenne) et Strasbourg (Parlement Européen). L’étape de Strasbourg fut remportée par le célèbre sprinter Jean-Paul Van Poppel. Ironie du sort, 1992 marque aussi le bicentenaire de la création de la Marseillaise par le capitaine Rouget de Lisle. C’était le 25 avril 1792, à Strasbourg. Le futur hymne national portait alors le nom de Chant de guerre pour l’Armée du Rhin.

Quant à Coblence, elle est la ville natale de Valéry Giscard d’Estaing (né en 1926), l’ancien président de la République Française ayant été un ardent défenseur du processus de renforcement de coopération européenne au niveau politique ou monétaire pendant les années 70, avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. Faut-il y voir également un clin d’œil de la part du Tour à l’égard de VGE ?

Quarante ans après la mythique victoire de Fausto Coppi en 1952, le Tour fait de nouveau étape dans la station piémontaise de Sestrières. Certes, l’édition 1992 fait la part belle à l’Europe pour fêter le traité de Maastricht, en visitant six pays européens. Le Tour aurait pu choisir Pignerol, Turin ou Aoste pour son excursion en Italie, mais ce sera Sestrières, avec deux avantages principaux ... la perspective d’une arrivée au sommet, et un bailleur de fonds nommé Giovanni Agnelli, propriétaire de la station et propriétaire de FIAT, de la Scuderia Ferrari et de la Juventus Turin. L’étape italienne sera remportée par Claudio Chiappucci (dont le père Arduino avait connu Fausto Coppi en 1943 en Ethiopie) après une échappée fleuve, offrant le maillot jaune à Miguel Indurain malgré une fringale dans les deux derniers kilomètres. En 1996, Bjarne Riis gagnera dans le Piémont, puis ce sera au tour de Lance Armstrong de gagner à Sestrières en 1999, pour deux victoires EPO.

Les réactions à cet atypique parcours de l’édition 1992 n’avaient pas tardé, mais Jean-Marie Leblanc les avaient anticipé dès la présentation en octobre 1991 au Siège de la Société du Tour, à Issy-les-Moulineaux : La carte du Tour 1992 va surprendre à coup sûr, mais le Tour ne serait pas cet évènement s’il ne vivait avec son temps et s’il restait figé dans le conformisme …

Certes, on ne peut pas plaire à tout le monde, et le plébiscite semble utopique en matière de parcours du Tour. Sauf que là, ce 79e opus avait fait l’unanimité contre lui dans l’aréopage journalistique ! Amoureux de ses cols pyrénéens, Bernard Pratviel avait été le premier à dégainer dans le landerneau de la presse écrite : Puis on fit l’obscurité et le Tour apparut sur grand écran. Un grand blanc au Sud-Est, un trait d’avion sur l’Ouest, et puis, surtout, ce grand coup de crayon noir qui file en plein Nord à la sortie de Pau.

Les Pyrénées avaient été escamotées pour ne pas ruiner le suspense d’entrée, du fait du départ de San Sebastian, au Pays Basque espagnol … Les coureurs avaient juste escalade l’Alto de Jaizkibel. Le passage par six européens est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Aux yeux de beaucoup, c’est un crime de lèse-majesté, on a franchi le Rubicon une deuxième fois, dans cette France si partagée sur le Traité de Maastricht. Le « oui » ne sera adopté par référendum qu’à 51.04 % le dimanche 20 septembre 1992, après une joute verbale mémorable entre François Mitterrand et Philippe Seguin dans l’amphithéâtre de la Sorbonne le jeudi 3 septembre, sous l’œil de l’académicien Jean d’Ormesson …

Il ne faudra pas s’étonner si cette carte provoque un choc au cœur du bon peuple de France, eu égard à cette spectaculaire dérive européenne, écrivait Jean-Pierre Oyarsabal dans Sud-Ouest.

Dans le Courrier de l’Ouest, un article Orphelin du Tour rédigé sous la plume de Didier Paillat va plus loin dans la critique : Le sympathique omnibus qui visitait naguère tous les coins de l’Hexagone est devenu un froid et lointain Trans-Europe-Express. Et nous osons dire, c’est un sale tour qu’on nous fait. Le Tour n’est plus le tour de la France, il n’est plus qu’une marque de fabrique, un label de voyage exportable à volonté.

Dans le Parisien, Jean-Luc Gatellier dénonce lui une entorse faite au pied gauche de la France.

Gilles Le Roch estime quant à lui dans les colonnes de France-Soir que le Tour sans les Pyrénées, c’est niais et ce n’est plus vraiment le Tour, c’est un chef-d’œuvre en péril.

L’inévitable Bernard Pratviel en remet une couche : Même si l’oubli des Pyrénées n’a duré qu’un an, il est indéniable qu’on s’en souviendra longtemps comme d’un crime contre l’esprit de la plus grande course du monde, comme d’une trahison que l’on ne devra pas renouveler.

Dans L’Equipe du lundi 6 juillet 1992, le maire de Gourette se faisait d’ailleurs le porte-parole de la population mécontente de ce tracé si spécifique : En tant que maire, je regrette, je trouve curieux que l’on appelle Tour de France un Tour d’Europe. La moitié de la France est privée du Tour, je ne sais pas si c’est très adroit de montrer en France qu’on nous enlève du plaisir pour devenir européen. En tant qu’hôtelier, le passage du Tour correspond aux 36 heures qui valent autant qu’une semaine de travail en pleine saison, vous pouvez multiplier le chiffre par cinq. Enfin, personnellement, le col de Marie-Blanque c’est de la rigolade, il faut que le tracé soit exceptionnel, je crois qu’ils ont tout loupé cette année.

Dans le même numéro de L’Equipe, le directeur du Tour, Jean-Marie Leblanc, répondait à ces critiques : Je l’ai dit, d’abord nous nous sommes heurtés à l’impossibilité de revenir dans les Pyrénées après avoir décidé de ne pas les franchir d’entrée pour des raisons sportives évidentes. Nous savions que c’était une première, que ce serait mal perçu par les tenantes de l’orthodoxie du Tour mais qu’on ne nous fasse pas le procès de la méconnaissance de ce que les Pyrénées ont apporté au Tour. On connaît tout ça ! Simplement, j’avais sous-estimé la profondeur de la cicatrice affective. J’avais sous-estimé la profondeur de la cicatrice affective. J’avais sous-estimé aussi le poids économique que représentait le Tour pour ces régions. Mais je l’ai dit aussi, c’est une décision de caractère exceptionnel … Non, le Tour n’a pas vocation à rituel européen. Il a vocation d’aller saluer, d’une année sur l’autre, les publics et les cyclismes des pays voisins. Dès lors que les canons sportifs sont préservés, il doit parfois faire un pas en direction d’une avancée sociale, ou technique, ou même politique, au sens large. Le Tour, pendant cinquante ans encore, doit-il s’en tenir à la grande question suivante : dans quel sens va-t-il tourner ?

En 1993, les Pyrénées sont de retour avec un triptyque Andorre – Saint-Lary Soulan Pla d’Adet – Pau. Mais le problème est tout autre car Miguel Indurain, au climax de sa fantastique carrière à 29 ans, a course gagnée depuis les Alpes. Bien que fiévreux, le maillot jaune de la Banesto a ruiné le suspense, et tant pis pour les joutes d’anthologie avec Tony Rominger. Ses challengers des saisons précédentes, Erik Breukink, Gianni Bugno et Claudio Chiappucci, sont loin de leur meilleur niveau … De surprenants inconnus approchant la trentaine surgissent de nulle part telles des étoiles filantes, grâce à ce cyclisme 2.0 qui ne sépare plus le bon grain de l’ivraie, grâce aux druides du dopage : ainsi Zenon Jaskula, Alvaro Mejia et Bjarne Riis complèteront le top 5 derrière le tandem hispano-suisse. L'OVNI Rominger, lui, a également ce profil mais son palmarès s’est déjà étoffé. Claquant la porte de Château d’Ax fin 1990, le Zougois refuse de servir de porteur d’eau à Gianni Bugno, nouvelle idole de la péninsule après un Giro gagné avec maestria. Vainqueur de Paris-Nice en 1991, puis du Tour de Lombardie fin 1992, le coureur suisse s’adjuge surtout deux fois le classement général de la Vuelta, en 1992 et 1993. Double roi d’Espagne, Rominger vient donc sur le pré carré du roi d’Italie et de France, Miguel Indurain … Malchanceux dans le chrono par équipes entre Dinard et Avranches, Rominger subit une météo grêleuse au Lac de Madine, pour le premier test individuel. Sans cela, il aurait limité la casse face à un Indurain stellaire qui manque de peu d’éliminer son frère cadet Prudencio. Seule la crevaison de Miguel a sauvé le frangin de la voiture-balai … Dans les Alpes, le Goliath de Pampelune est serein comme un sphinx : personne ne l’attaque ni le contre quand il prend ses responsabilités dans le col du Galibier, les mains en bas du guidon, assis sur sa selle. La Clas de Rominger a mené un train d’enfer dans le Télégraphe, et Indurain fait lui-même la lessive dans le peloton des ténors dans le col le plus difficile des Alpes du Nord, cher à feu Henri Desgrange. Seuls quatre coureurs vont suivre le rythme infernal : Rominger bien entendu, ainsi que le Polonais Zenon Jaskula, le Colombien Alvaro Mejia et l’Américain Andrew Hampsten, ancien porte-flingues de Lemond du temps de l’alliance Hinault / Tapie. Tous les autres, de Virenque à Bugno en passant par Breukink, Riis ou Chiappucci, sont passés par la fenêtre, agonisants sur l’asphalte de la montagne trop grande pour eux … A l’arrivée à Serre-Chevalier, les coureurs sont à ramasser à la petite cuillère … Grand seigneur, Indurain laisse Rominger gagner l’étape à Serre-Chevalier. Le lendemain, bis repetita, le Suisse gagne l’étape d’Isola 2000 sans avoir vu que la grande carcasse du Navarrais souffrait légèrement dans les derniers hectomètres du col de la Bonette Restefond. Mais la seule perspective du Zougois est d’être dauphin de ce despote au sourire calme et au regard paisible, dont l’arme de destruction massive. Le résident monégasque est résigné à finir deuxième de ce Tour 1993 sans suspense, ceux qui espéraient de la testostérone et un peu de supplément d’âme resteront sur leur faim. Les montagnes russes d’adrénaline et autres madeleines de Proust attendront 1994.

Sauf qu’en 1994, le scénario se répète encore … Dressant la guillotine dans le chrono Périgueux – Bergerac, Indurain fait taire ce qui avaient parlé un peu vite de déclin après sa troisième place au Giro. Sous la fournaise du Périgord, le peloton tout entier passe sous les fourches caudines de ce diable d’Espagnol qui fend l’asphalte à chaque coup de pédale sur son Pinarello blanc et bleu ... A Hautacam, dix ans après avoir croisé Gino Bartali dans la Grotte de la Vierge de Lourdes sur le Tour de l’Avenir 1984, Miguel Indurain écrase de nouveau la première étape de montagne. Seuls deux coureurs s’accrochent à sa roue, Luc Leblanc et Marco Pantani. Le jeune Italien, virtuose de la montagne capable des plus exceptionnelles fulgurances quand la pente s’élève, concède 18 secondes tandis que le Français renaît de ses cendres en gagnant l’étape devant le roi Miguel, sous la brume pyrénéenne … Au départ de Lille sous le beffroi de la Grand-Place, on prédisait un duel Indurain / Rominger, le Suisse ayant gagné sa troisième Vuelta au printemps, dans la foulée d’un Paris-Nice victorieux. En deux étapes décisives, le champion de Banesto a remis les pendules à l’heure : le seul patron du Tour, c’est lui … Tony Rominger est déjà pointé à 4’47’’ Le lendemain à Luz-Ardiden, le nouveau dauphin a pour nom Richard Virenque, à 7’56’’ d’Indurain. Rominger a perdu plus de trois minutes, vaincu par la canicule qui lui fera jeter l’éponge. Avant même d’être entré dans son money time, ce Tour au parcours anti Indurain était déjà fini. Intouchable, le roi Miguel est toujours l’épouvantail d’un peloton qu’il toise plus que jamais du haut de son 1.88 mètre. Personne, pas même Tony Rominger, ne peut encore le regarder dans le blanc des yeux … Il faudra attendre 1996 pour mettre fin à l’hégémonie Indurain.

Au vu des tristes étapes des Pyrénées des éditions 1992, 1993 et 1994, on comprend mieux pourquoi le Tour de France avait voulu cette étape grandiose au Pont d’Espagne en 1995. Ce sera finalement seulement Cauterets, avec le drame Casartelli pour éclipser tout le reste.

Depuis 1997, le vaste ensemble montagneux transfrontalier Pyrénées Mont Perdu est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, englobant l’ensemble des sites suivants : les cirques de Gavarnie, Estaubé, Troumouse et Barroude et quelques territoires situés en zone périphérique du parc sur les communes d'Aragnouet, Gavarnie et Gèdre, le parc National Ordesa y Monte Perdido (Aragon) et quelques zones adjacentes sur les territoires de Bielsa, Fanlo, Puértolas, Tella-Sin et Torla.

En 2007, un rapport de l’UNESCO critiqua en effet vertement le festival de théâtre qui a lieu tous les ans à Gavarnie, en juillet, soit au même moment que le Tour de France. Des bénévoles du festival ont même été pris à partie par des militants locaux qui s’inquiètent de l’impact de cette manifestation culturelle sur l’environnement. Le Tour de France serait certainement encore moins bienvenu, avec des dizaines voire des centaines de milliers de spectateurs sur le site. Une fois classé comme parc national et plus encore comme patrimoine mondial, un espace préservé devient un totem inviolable, un talisman. Il ne faut pas s’étonner dès lors, de l’apartheid dont est victime la Grande Boucle dans cette merveille des Pyrénées qu’est le Cirque de Gavarnie.

Il y avait un projet, un plan, pour aller à Gavarnie, de la même manière que l’on est allé au Pont d’Espagne, mais les deux ont dû être abandonnés car ce sont des sites protégés. Un grand nombre d’arrêtés ont été pris concernant le bruit et la circulation. De ce fait, il serait impossible d’aller là bas maintenant. Je connais l’endroit, je sais combien il est beau, mais pour l’instant on dirait bien que c’est un non définitif, expliqua en 2011 le directeur technique du Tour de France, Jean-François Pescheux.

S’il y a un coureur qui regrette cette situation, c’est l’Irlandais Daniel Martin, qui passait souvent ses vacances à Luz Saint-Sauveur dans sa jeunesse : C’est tellement dommage. Gavarnie est une endroit génial, qui ne ressemble à aucun autre.

Le mot de la fin ira à l’historien et naturaliste Hippolyte Taine, qui résume parfaitement la fascination qu’exerce le joyau Gavarnie, dans son Voyage aux Pyrénées de 1857 : Il est enjoint à tout être vivant et pouvant monter un cheval, un mulet, un quadrupède quelconque, de visiter Gavarnie. A défaut d’autres bêtes, il devrait, toute honte cessante enfourcher un âne. Les dames et les convalescents s’y feront conduire en chaise à porteurs. Sinon pensez à quelle figure vous ferez au retour : - -


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