Le silence est d’or
par pluskezorro
lundi 10 juillet 2006
Nous sommes le 10 Juillet 2006.La France vient de perdre la finale de la Coupe du monde de football.Un silence assourdissant règne un peu partout.J’ai éteint la télévision car les commentateurs sont sans voix.Ils tentent de faire contre mauvaise fortune bon coeur.Mais franchement, le coeur n’y est pas, et les mots contredisent leur pensée.
Sacha Guitry disait :"Ce qu’il y a de merveilleux dans la musique de Mozart, c’est que le silence qui suit cette musique, c’est encore du Mozart." C’est exactement pareil avec notre Mozart du ballon rond et son geste impensable, à tous points de vue sidérant, n’y pourra rien changer. Il y a cette musique qui continue, cette inoubliable symphonie de virtuose qui, malgré le deuil, nous suit comme une ombre.
Alors que l’italie entière exulte, ce n’est pas la tristesse qui prévaut en France comme il serait facile de le penser en voyant les larmes de Lilian Thuram. Non, c’est autre chose, que le visage de Trézéguet après son tir manqué contre Buffone résumait parfaitement : la stupeur. La stupeur, c’est un choc où l’incrédulité se mêle à la peur et à la frustration et dans les larmes de Lilian Thuram, il y avait ce coeur qui se brisait de déception, mais aussi de la rage. Rage d’avoir été aussi vaillant, aussi près du but et de voir tout lui échapper. En amour comme en sport, ne pas tout donner, c’est ne rien donner, et Thuram avait offert ses deux oreilles sur un plateau pour cette victoire.
Raymond Domenech est un homme étonnant. Il ne cherche pas à plaire. A un journaliste qui lui dit que la France à néanmoins fait un beau parcours, l’entraîneur ne manque pas de rétorquer avec morgue que cette autosatisfaction est "typiquement française", sous-entendu : elle ne fait pas son affaire, à lui. Et lorsque le journaliste attaque la deuxième question : "Zidane va nous manquer, n’est-ce pas ?" le retors sélectionneur lui envoie : "Il nous a surtout manqué pendant les vingt dernières minutes du match !"
De fait, Domenech est un homme lucide. Il a vu l’énorme ratage se dérouler sous ses yeux. D’abord Vieira blessé et remplacé par Diarra, pas terrible, mais ça pouvait encore aller, ensuite Henry et Ribéry remplacés par Wiltord et Trézéguet, on sentait que c’était moins bien, mais très jouable, quand même. Et en la matière, c’était plus qu’honorable : c’était palpitant. Il ne manquait rien pour que le second but français passât du virtuel au réel.
Oscar Wilde a dit : "Le vrai mystère du monde est le visible, pas l’invisible." Lorsque l’arbitre siffla une interruption de jeu, il y eut comme un flottement sans doute lié à ce que les caméramen avaient vu bien avant le télespectateur mais hésitaient à lui montrer. Mais très vite, la scène impensable fut envoyée et on put assister à ce geste hallucinant : un coup de tête du capitaine français-modèle de courtoisie et de fair-play- en plein plexus d’un joueur italien. Ce n’était pas possible,ce n’était tout simplement pas possible. Et le pire ne se fit pas attendre : carton rouge, et expulsion de Zidane. A cet instant la France entière espérait qu’un miracle se produisît. Que l’arbitre revînt sur sa décision. Expulser Zidane, c’était faire courir Carl Lewis avec une jambe de bois, laisser jouer Tiger Woods les yeux bandés, ou Rafael Nadal avec une raquette en carton. Ce n’était pas raisonnable. C’était tuer le match. Un moment je me suis pris à rêver que les joueurs français tous solidaires se refusent à continuer la partie. Mais non, ils avaient trop envie de jouer, de se battre, de montrer qu’ils pouvaient malgré tout le faire.
Il est certaines choses basses qu’on subit noblement. Le champion français aurait été bien inspiré de suivre ce principe, comme il le fît lors du match contre l’Espagne. Mais visiblement, il ne pouvait pas, il ne pouvait plus.Une accumulation de choses.La pression énorme, la pluie d’éloges de la presse, jusqu’aux joueurs adverses qui affichaient trop leur admiration pour être vraiment honnêtes, la fatigue, et puis un mot sans doute outrageant lancé par le joueur italien à son adresse, un mot qui devait relever du langage des voyous et qui fait partie de toute la panoplie de voleurs à la tire des footballeurs de la péninsule au même titre que la commedia dell’arte. Zidane ne pouvait plus intégrer à son jeu une donnée qui excédait le football. C’était la provocation. Cette donnée, les joueurs italiens la maîtrisent parfaitement, et ils l’utilisent sans vergogne, assurés qu’ils sont pour l’instant de l’impunité sur ce registre.
Un silence assourdissant plane sur la ville, comme une colère rentrée qui atteste que quelque chose n’a pas eu lieu. Les Français me font penser à de riches voyageurs détroussés au coin d’un bois par d’habiles bandits romains. Mais peut-être que cette défaite sera salutaire pour la France entière. Plus que la victoire, qui a tendance à enivrer démesurément. A l’inverse, la victoire italienne ne masquera pas longtemps des méthodes douteuses et une morale vacillante (scandale du Calcio entre autres). Un arbre qui s’abat fait beaucoup de bruit, une forêt qui pousse est silencieuse, dit un proverbe ancien. C’est tout le mal qu’on pouvait se souhaiter.