La cerise sur le fardeau
par C’est Nabum
vendredi 15 mai 2020
L’insulte faite à ceux qui se sont donnés corps et âme.
Les applaudissements de 20 heures se sont presque partout tus. Le monde est revenu à son régime de croisière, celui qui nous conduira dans l’abîme, les rayons de nos super-marchés remplis et le porte-monnaie des consuméristes compulsifs aussi vide que leur cerveau. L’alerte n’est pas encore passée même s’il convient de faire semblant. L’essentiel est ailleurs, l’économie doit reprendre sa course folle.
Dans les allées du pouvoir, les grands esprits réfléchissent à la meilleure manière de remercier ceux qui, comme nos glorieux poilus furent la chair à canon pour enrichir les grands industriels du début du siècle passé, furent exposés en première ligne sans protection ni considération. Ils se sont regroupés au sein de comité de réflexion et de proposition, une calculatrice à la main, pour ne surtout pas se laisser emporter par une quelconque générosité de pure circonstance.
Le temps de la rigueur et de la bonne gestion est revenu une fois que les énormes cadeaux aux industries du passé ont été consentis sans contre-parties. Il convient de ne pas s’emballer, de garder les pieds sur terre quand nombre des collègues de ceux qu’on veut remercier, ont achevé leur sacrifice dans la tombe.
Il faut un geste fort mais rien qu’un geste avant que de reprendre discrètement la casse systématique de l’hôpital public. La récompense doit donc avoir des vertus anesthésiantes. C’est une difficulté supplémentaire car ces professionnels maîtrisent les produits soporifiques tout comme ils savent parfaitement identifier l’effet placebo. Il faudra agir avec tact et fourberie.
Pour la fourberie, dans la corporation politique, personne n’a d’inquiétude. C’est une forme de seconde nature, une compétence naturelle qui s’acquiert dès qu’un individu ordinaire se retrouve en responsabilité. C’est le tact qui interroge ceux qui ont l’habitude non pas d’avancer avec leurs gros sabots – ils les ont troqués depuis longtemps contre de jolis godillots - Faire preuve de doigté, de subtilité et d’imagination étant souvent considéré comme une faute professionnelle dans ce milieu interlope.
La réflexion pourtant n’a pas duré très longtemps. Dans cet aréopage de fats, d’orgueilleux, de vaniteux, de prétentieux et de pédants, il en est toujours un pour gonfler sa poitrine, se dresser sur ses ergots avant que de réclamer la parole dans un brouhaha détestable. N’obtenant pas le silence, étonné lui même qu’il puisse avoir une idée, ce digne représentant d’une République En Marche vers la vacuité, se frappa la poitrine pour démontrer à ses collègues son désir de s’exprimer.
Le silence se fit quelques instants. Suffisamment pour qu’on entende une femme de l’opposition s’écrier : « Mais bon dieu c’est bien-sûr ! » Cette exclamation fit son effet, tout le monde se tourna vers Émilie Bonnivard, une députée de Savoie membre du groupe Les Républicains. Elle déclare alors « Comme tous les Français, à mon petit niveau, je suis sur mon balcon à 20 heures pour les applaudir. Ce serait bien que cette reconnaissance populaire se traduise par la plus haute reconnaissance de la Nation envers ceux qui donnent leur vie. »
Dans la foulée, elle dépose une proposition de loi pour attribuer la légion d'honneur à titre posthume à tous les personnels morts du Covid-19 en soignant et s'occupant des autres. Naturellement cette mesure n’a rien de scandaleux, cette médaille récompensant le plus souvent les vrais héros une fois leur sacrifice accompli. Quant aux baudruches, c’est de leur vivant qu’ils héritent de la belle récompense.
Pour ne pas être en reste un de ses collègues, profitant de l’euphorie qui gagnait la réunion émit lui aussi sa petite proposition. Philippe Gosselin a déposé une proposition de loi pour la création d'une "Médaille des épidémies" pour la reconnaissance du travail du personnel soignant. Une distinction qui a déjà existé par le passé.
Voilà les blouses blanches, vivants ou morts, allaient pareillement hériter de la reconnaissance de la nation par le truchement de ceux qui font métier de la politique. Ces tristes personnages imaginent que les vrais gens fonctionnent comme eux, qu’ils aiment les honneurs, les colifichets et les breloques. Non seulement, en pensant ainsi ils insultent tout le personnel soignant mais de plus ils les humilient honteusement. Une petite prime, une médaille, le tour est joué. Ensuite, ces canailles pourront reprendre leur terrible destruction de notre système de santé.
Affligement leur.