Le vinaigre des quatre farceurs

par C’est Nabum
lundi 7 juillet 2025

 

Renaud, Allard, Guichard et Richard …

 

Il advint que quatre frangins, joyeux lascars et fieffés gredins s'étaient vu affublés par des géniteurs aussi lettrés que fort peu avisés des prénoms des quatre fils Aymon. Un clin d'œil à la légende ou bien la volonté de leur mettre le pied à l'étrier afin que leur vie soit riche en péripéties et pourquoi pas, en facéties les plus diverses. Ce fut aussi la loterie génétique qui favorisa le sort puisque ce couple eut successivement quatre garçons avant que de donner naissance par la suite à trois filles qui se firent beaucoup plus discrètes même s'ils les affublèrent des prénoms suivants : Charlotte, Émilie et Anne ; allez donc savoir pourquoi !

Renaud, Allard, Guichard et Richard grandirent donc avec le diable au corps et avouons-le, la coupable mansuétude d'un père qui non seulement ne tançait jamais leurs turpitudes mais plus encore, les encourageait en se félicitant toujours des mauvais tours qui sortaient toujours de leurs caboches. Dans le pays, ils étaient redoutés tant ils étaient capables de faire tourner en bourrique le premier venu.

Enfants des quais, ils avaient là un terrain de jeu et de méfaits propice à bien des sottises qui tournaient toujours en dérision ceux qui en subissaient les conséquences. Ce n'était jamais très méchant mais si bien tourné qu'ils mettaient souvent les rieurs de leur côté à l'exception notable des victimes qui leur gardaient un chien de leur chienne. On peut se douter qu'en Orléans, la chose n'est pas sans conséquence.

Prenant de l'âge, les quatre galopins mettaient de plus en plus d'ingéniosité dans les coups pendables qu'ils réservaient indifféremment aux mariniers, aux portefaix, aux charretiers, aux calfateurs, aux pêcheurs et à tous les gens de l'eau à l'exception des laveuses dont ils s'étaient toujours écartés, redoutant leur terrible battoir. Ils eurent bien vite droit à une étiquette qui les ravissaient : les quatre farceurs avaient ainsi une réputation qui mettaient en garde tous ceux qui un jour accostaient dans le port de Recouvrance.

Renaud l'aîné était féru d'histoire. Il avait trouvé trace de la légende des quatre voleurs qui à Toulouse durant la peste de 1628, détroussaient les cadavres sans subir pour eux-mêmes les redoutables conséquences de l'épidémie. Ces détrousseurs de cadavres s'étaient prémunis de la contamination en se badigeonnant avec un vinaigre dans lequel des plantes médicinales avaient macéré longuement. Connu sous le nom de vinaigre des quatre voleurs, il avait bien des vertus.

Racontant cette histoire à ses frangins, il provoqua une curieuse réaction chez son cadet. Allard en ressentit une grande frustration. Déjà que les quatre fils Aymon leur faisaient de l'ombre et que les quatre frères Dalton n'allaient pas tarder à faire parler d'eux, voilà que quatre voleurs étaient entrés dans l'Histoire bien avant eux. Ils devaient changer d'échelle dans leurs pratiques pour que leur réputation tienne la route.

Guichard, le plus malin des quatre se mit donc en devoir de trouver une mauvaise action à grande échelle, de nature à marquer durablement les esprits. C'est en entendant Richard, le puîné et le plus craintif, s'exclamer : « Fais attention tout de même, il ne faudrait pas que ça tourne au vinaigre ! » qu'il eut une idée de mauvais génie qui poursuit encore, de nos jours, son bonhomme de chemin.

Puisque de vinaigre il était question, autant se jouer de la chose en jouant vilain tour à tous ces convois de vin qui transitaient par Orléans. S'étant enquis de la composition du vinaigre des quatre voleurs : une macération d'Absinthe, lavande, menthe poivrée, romarin, sauge, cannelle, clou de girofle, ail, acide citrique, camphre dans un vinaigre de cidre ou de vin, il décida de lancer une fabrication sauvage de nature industrielle…

Après avoir effectué des recherches poussées, une mauvaise action exige souvent beaucoup de réflexion et de nombreuses préparations, les quatre farceurs se lancèrent dans la récolte d'herbes et de fleurs. Romarin, thym, estragon, sauge, menthe, basilic, persil, ciboulette se virent associés aux fleurs de sureau et de rose, pour compléter harmonieusement des mères de vinaigre qu'ils avaient fabriqué en grande quantité. Rien du reste n'est plus simple, il suffit de suivre cette recette : prendre du vin de Loire, versez-le dans un récipient d'une merveilleuse céramique de la Puisaye puis couvrez le récipient avec un tissu respirant et placez-le dans un endroit chaud et sombre.

Ils étaient en mesure de lancer leur opération. Nuitamment, ils montaient sur des chalands ou des sapines transportant du vin afin de glisser dans quelques tonneaux une mixture qui allaient faire parler d'elle. Puis aussi discrètement, ils redescendaient pour recommencer ainsi, chaque fois que ce fut possible durant une période qui s'avéra très longue puisqu'ils ne se firent jamais prendre.

L'inconvénient majeur de leur astucieux forfait c'est que ses effets ne se manifesteraient pas immédiatement et généralement loin d'eux. Ils n'en avaient cure, ils se doutaient qu'un jour, tôt ou tard, le temps jouerait en leur faveur. Ils ne se trompèrent guère.

Petit à petit une rumeur vit le jour. Des tonneaux, mystérieusement tournaient vinaigre après être passés par Orléans. Mais pas n'importe quel vinaigre, un condiment d'une étonnante saveur, un mélange subtil de parfums aux multiples tonalités. Après s'en être débarrassés, les premières victimes regrettèrent amèrement de n'avoir pas conservé ce qui désormais se vendait fort cher dans toute la vallée de la Loire.

L'histoire prenait une tout autre tournure que celle attendue par nos quatre farceurs qui voyant que leur préparation avait connu un grand succès, cessèrent de l'offrir gratuitement pour s'installer comme vinaigriers sur la place. Ils ouvrirent boutique sous l'enseigne : « Vinaigre des quatre farceurs ! ».

La renommée, mauvaise fille, ne leur sourit jamais. Le vinaigre des quatre voleurs resta dans les mémoires tandis que le leur s'évapora dans les esprits du vin. Il est vrai que leur recette était quelque peu alambiquée et d'un coup de revient certain. Ils furent pris à leur propre piège en faisant rapidement faillite. Ils l'eurent amère, je peux vous l'assurer.

Quant à leur mauvaise farce, elle passa dans la légende, devenant pour tous une certitude : le vin tournait vinaigre en arrivant à Orléans. Contre la rumeur, on ne peut rien, surtout par ici même si elle est fort injuste pour une production qui devait tout à la qualité exceptionnelle de ses raisins.


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