Une journée très particulière

par C’est Nabum
lundi 26 décembre 2022

 

Pont & Temps suspendus.

 

Il est des jours qui ne ressemblent en rien à ce qui constitue habituellement l'ordre immuable du cycle de la rotation de la terre. Rien pourtant ne pourrait laisser supposer qu'il en va alors du sort de l'humanité. Si la journée affiche toujours vingt-quatre heures au compteur, il y a pourtant un petit je ne sais quoi qui marque au fer rouge ces instants, les faisant définitivement entrer dans la mémoire collective durant des minutes ou des instants qui échappent à la rationalité.

Chacun, pourvu qu'il fût né avant ce jour-là, se rappelle avec une acuité toute particulière les premiers pas d'un certain Armstrong sur la Lune ou plus tard, l'effondrement de tours si jumelles qu'elles décidèrent de mourir en même temps. Il y eut encore des attentats en France qui firent mémoire commune pour peu que l'humanité compte encore pour ceux qui vécurent pareilles calamités.

Dans l'ordre des faits qui laissent trace, souvent le sport, en dépit de tous ses travers impose une trace indélébile dans des esprits dont nous éviterons de souligner la rime. C'est ainsi, il n'est pas à y revenir, la force du rouleau compresseur médiatique a réussi ce que la Rome Antique ne parvenait pas toujours à faire. Le pain peut rassir quand les jeux sont à la hauteur de l'attente, quitte semble-t-il à se contenter d'une pizza le moment venu.

C'est donc avec une extrême prudence que ce jour de finale de la coupe du monde de football je prenais la route à une heure matutinale et par un froid attribué à un canard ignorant tout des restrictions aviaires. Un long trajet du reste sur des routes salées pour poivrer un peu plus l'inquiétude sourde qui me tenaillait. Y aura-t-il des courageux pour braver les conditions climatiques et repousser l'injonction footballistique ?

J'avais du reste déjà donné lors de deux précédentes éditions de ce rendez-vous quadriennal : véritable cataclysme pour le spectacle vivant incapable de rivaliser avec le tremblement de tête que constitue un match ou des coqs en short tentent de renverser une autre nation autour d'un ballon rond. Deux fois par le passé, je m'étais retrouvé sans le moindre spectateur ou peu s'en faut, alors que le bon peuple était scotché devant son écran, prêt à bondir sur son klaxonne pour exprimer une joie extatique.

Cette fois, je disposais d'un peu de marge. La Balade contée et chantée démarrait à 10 heures alors que l’événement interstellaire opposant deux étoiles au sommet de leurs trajectoires respectives et ce jour-là, antagonistes, ne commencerait qu'à 16 heures, heure locale. Largement de quoi rentrer chez soi pour les plus mordus par autre chose que le froid glacial.

Le miracle eut lieu puisque près de cinquante personnes répondirent à l'invitation des bénévoles qui avait sorti les braséros et le vin chaud pour réconforter les courageux candidats à l'onglet et aux engelures. Trois heures durant, ils supportèrent les morsures de la bise et les galéjades de votre serviteur, c'est dire qu'ils avaient de la volonté à revendre.

Puis il me fallut rentrer assez vite car mon partenaire n'entendait pas manquer ce que vous savez, reconnaissant qu'il y avait grande contradiction entre ses opinions et son refus de se priver d'un plaisir rare au Qatar. Chacun appréciera ou non, l’ambiguïté de sa posture quand je le déposai chez lui à 2 minutes du coup d'envoi. Je pouvais continuer mon chemin, la route m'étant entièrement réservée sans que j’eusse recours à des motards.

Ce fut alors le jeu de cache-cache pour échapper à cette curieuse tragédie qui rassemblait nous dit-on les véritables patriotes, les amoureux de la glorieuse incertitude du sport, les êtres privés de la moindre considération éthique, les assoiffés attendant un prétexte pour vider quelques barriques, les casseurs se disant qu'il y a toujours moyen de tirer leur épingle du jeu, les lobotomisés volontaires. J'en profitai pour rédiger ce texte dans l'impérieuse nécessité de tuer le temps tandis que l'univers avait cessé de graviter ailleurs qu'à Doha.

Tous médias coupés, coupé du monde des vivants, je me concentrais sur ce pauvre écrit, pour échapper à la frénésie collective. Je pensais avoir atteint l'heure fatidique du verdict quand je découvris, ahuri que des prolongations plongeraient dans une angoisse insoutenable, un tiers de la population hexagonale. Il ne me restait plus qu'à me relire, reprendre ce billet, le compléter, histoire de laisser s'écouler le sablier.

Là-bas, au cœur du désert, les acteurs faisaient durer un plaisir qui pour moi devenait calvaire, une forme d'incarcération intime, loin du souffle vital d'une nation en apnée. Je n'avais plus qu'à tirer à la ligne pour attendre le verdict et ainsi choisir la chute ad-hoc qui allait ponctuer ces fadaises verbeuses. Les rois de l'esquive et du contre-pied, ne souhaitaient sans doute pas que l'épreuve me soit trop aisée. Ils en rajoutaient encore et encore jusqu'à me contraindre à devoir écrire dans la surface de réparation, histoire de redresser mon orthographe défaillante avant que les gardiens du temple ne viennent m'arrêter en plein vol !

C'est finalement au bout de l'insoutenable attente que je pouvais enfin avoir la certitude, que la défaite tricolore aidant, pour cinquante personnes seulement, cette journée resterait à jamais gravée comme étant une inoubliable promenade sur le duit et au bord du canal latéral à la Loire. Je l'avais échappé belle. La mémoire ne retient que le mémorable au nom d'un principe assez évident de concordance des sens. Un résultat contraire à quelques milliers de kilomètres de là eut relégué aux oubliettes cette animation comme celles auxquelles j'avais dû renoncer, lors des deux mondiaux précédents.

À contre-coupe.

Photographies : Les locaux s'motivent


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