Bush au Vietnam, une mission sans résultat très brillant
par Bertrand C. Bellaigue
vendredi 24 novembre 2006
Deux thèmes principaux ont été à l’ordre du jour du sommet annuel du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (Apec), qui a eu lieu à Hanoï les 18 et 19 novembre : la réduction des taux des barrières douanières au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les menaces posées par l’essai nucléaire nord-coréen.
L’assemblée a été sensible au danger présenté par un échec éventuel du cycle entamé à Doha, capitale du Qatar. Il a été estimé que cet échec "serait trop grave pour nos économies et pour le système multilatéral du commerce mondial". Signe de cette unanimité sans faille, une déclaration séparée sur le sujet a été publiée dès l’ouverture, samedi, du sommet d’un bloc qui représente la moitié du commerce mondial.
M. Georges W. Bush se trouvait à Hanoï. Ce voyage a été pour lui l’occasion de la signature d’un accord bilatéral entre Moscou et Washington ouvrant la porte de l’OMC à la Russie, dernière grande puissance économique à ne pas en faire partie.
Cette réunion qui lui donnait l’occasion de réaliser un grand « show » - un grand spectacle diplomatique - a été ravalée non pas au rang de voyage ordinaire, mais au niveau d’une mission sans résultat très brillant.
En dépit du lobbying exercé par Washington pour rapprocher les vues des participants aux négociations à six (Chine, Etats-Unis, Japon, Russie et deux Corée), tous membres de l’Apec à l’exception du régime stalinien, les participants ne se sont pas précipités pour trouver une compromis dans un communiqué final quand il s’est agi de la Corée du Nord et de son programme nucléaire.
Dans une déclaration finale, l’Apec a estimé que les tirs de missiles nord-coréens en juillet et l’essai nucléaire du 9 octobre représentaient "une menace" pour la région, et ses membres ont souligné leur "attachement à un règlement pacifique du problème nord-coréen".
Ils ont aussi insisté sur la nécessité de respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, mais ils n’ont pas décrit avec précision les sanctions décidées contre Pyongyang.
Cette déclaration n’a été que "verbale". Les représentants du Vietnam se sont opposés à ce que cette question controversée figure dans le communiqué final, a-t-il été indiqué de source diplomatique.
Le sommet n’aura pas été complètement vain, estime-t-on dans ces milieux, car il aura été l’occasion pour les six acteurs des négociations à six d’envisager les initiatives qui pourraient être demandées à la Corée du Sud comme préalables à la reprise des discussions. Samedi, la Russie avait mis en garde contre les risques d’acculer le régime nord-coréen par une trop grande fermeté.
Faute de l’approbation de la Chambre des représentants à Washington, M. Bush n’a pas pu signer avec Hanoï l’accord de coopération américano-vietnamien qui était un des buts de son voyage. Mais la face était partiellement sauve car lors sa visite, a-t-on indiqué de source américaine, le président a pu s’entretenir avec son homologue chinois, ce qui a permis un début de consensus sino-américain sur cette question nucléaire qui empoisonne l’atmosphère diplomatique particulièrement dans cette zone asiatique extrêmement sensible.
Pourtant, la visite officielle du président des Etats-Unis au Vietnam, le second avec Bill Clinton à visiter Hanoï, ne s’est pas déroulée au milieu de la même ferveur.
Contrairement au succès qu’avait remporté le président Clinton, premier président américain à être accueilli par des acclamations après la Guerre du Vietnam, pour M. Georges W. Bush, seuls des curieux sont venus voir passer son cortège. Des honneurs officiels au Palais du gouvernement sous le buste du défunt père de la Patrie, Ho Chi Minh, mais pas plus. On savait déjà que la nouvelle Chambre démocrate des représentants l’avait privé de la satisfaction de signer le « traité historique de libre-échange » qu’il avait projeté de conclure avec le Vietnam. Une dépêche de Reuters affirme qu’il a néanmoins cherché à rassurer les Vietnamiens sur sa capacité à mener à bien ses objectifs en matière de libéralisation des échanges.
« Je pense que cela se fera », a prédit G.W. Bush lors d’entretiens au palais présidentiel vietnamien.
Sa visite apparemment tournée vers l’avenir devra néanmoins évoquer le passé. Le président doit se rendre au Bureau de recensement conjoint des prisonniers de guerre et des disparus au combat. Trente et une années se sont écoulées depuis la fin des combats. Mais on est toujours sans nouvelles de près de 1800 soldats américains.
Lors d’une visite à l’Université de Singapour, le président Bush a réaffirmé la volonté des Etats-Unis de demeurer engagé en Asie. Mais quelle est la valeur d’une promesse exprimée par un chef d’Etat parvenu à mi-course de son mandat et affublé pour le temps qu’il lui reste d’un congrès d’opposition ?
Pendant ce temps, les nations européennes et leurs instances gouvernementales, parlementaires ou économiques, ne paraissent pas se rendre compte, absorbées qu’elles sont par des problèmes quasi paroissiaux, que depuis une bonne vingtaine d’années, le bassin de l’Océan pacifique est en train de devenir le nouveau centre de gravité de la planète.
C’est là que vivent - ou survivent - les populations les plus pauvres, les plus actives et les plus nombreuses du monde, aux côtés de quelques puissances dont la croissance économique - pour être partie de plus bas - laisse statistiquement loin derrière elles celle des nations européennes.
Créée en 1989, L’Apec est composée de vingt-et-un pays situés en bordure de l’Océan pacifique. Ce regroupement d’économies représente 55 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et 47 % du commerce mondial. Ces données en font le forum le plus important de la région Asie-Pacifique.
L’assemblée de leurs représentants va se retrouver le 28 novembre pour sa quatorzième réunion à Hanoï, capitale de la République populaire du Vietnam, où le président des Etats-Unis les a précédés et ville, dans cette République, dont la sévérité des institutions communistes est légendaire depuis l’entrée triomphale des « Bodoi » dans Saïgon, devenu Ho-chi-Minh. On n’a pas oublié le pont aérien constitué d’hélicoptères lourds « Shinook » de l’US Navy qui évacuait dans l’urgence vers la 6e flotte, depuis le toit de l’ambassade des Etats-Unis, les diplomates et leurs amis, ainsi que les derniers militaires d’un contingent qui avaient connu et fait connaître sans succès à ce pays ce qu’une grande puissance peut faire subir d’horreur à un peuple qui se bat pour son indépendance.