La France est-elle impliquée dans le meurtre du mannequin Altantuya ?

par citoyen
vendredi 17 août 2007

Abonné au Nouvel Obs, j’ai lu cette semaine un article intéressant de Bruno Birolli, « Mélo Malais », avec un intérêt d’autant plus grand que je suis en train de rattraper mes retards de lecture avec le roman de Jean-Christophe Grangé La Ligne noire dont la trame se déroule justement autour Kuala Lumpur. Et il faut dire que la « réalité » racontée par Birolli n’a rien à envier à la fiction. Pirandello serait ravi de ce point de vue.

Il faut dire que tous les ingrédients d’un vrai roman noir y sont présents au-delà de toute espérance que peut formuler un romancier.

Tout d’abord, le meurtre atroce d’une jeune femme, mannequin mongol, âgée à peine de 28 ans et dont le corps de rêve fait penser aux James Bond girls. Ce corps dont on nous dit qu’il a été retrouvé au milieu fond de la jungle malaise « littéralement pulvérisé à l’aide de C4, puissant explosif militaire ». Je dois reconnaître avoir lu à plusieurs reprises le terme employé par le journaliste : "pulvérisé". Après avoir compris et tenter d’imaginer la scène, j’ai repensé aux discussions entre amis au sujet des romans de Grangé dont certains trouvent que sa trame tourne de plus en plus « gore ». Mais là ! La réalité est au-delà de l’imagination : « en passant au peigne fin les bosquets... les enquêteurs n’ont retrouvé de cette jeune femme... que des fragments d’os. » Quel destin pour une femme si belle ! A ce stade de la lecture, vous avez envie de croire à un mauvais roman qui en fait trop... mais vous savez que vous êtes en train de lire le fil d’un procès en cours et, malgré la distance qui vous sépare de Kuala Lumpur, le dégoût monte en vous. Pourquoi cette femme est-elle morte ? Et vous poursuivez la lecture ...

Le sexe, ensuite. Comme une évidence. La photographie d’Altantuya illustrant l’article dans l’hebdomadaire est assez démonstrative pour se dispenser de tout commentaire autre que ce que nous en dit le reporter : « c’est fin 2004, lors d’un gala à Hong Kong, que Baginda rencontre la belle Mongole Altantuya Shaaribuu. Une histoire commence. Romance clandestine dans les palaces. Luxe et volupté... » Là aussi, l’imagination fait la reste.

Le pouvoir et l’argent ensuite. Le pouvoir, car Baginda Razak, dont le mannequin a été la maîtresse, appartient à l’élite malaise, auteur de plusieurs ouvrages de géostratégie, directeur de l’Institut de recherches stratégiques de Malaisie et surtout proche du vice-Premier ministre, Najib Tun Razak. L’argent est là aussi comme une autre évidence d’un roman trop facilement ficelé. En effet, la jeune femme « aurait été témoin de curieuses transactions impliquant son ex-amant et l’actuel vice-Premier Ministre, Najib Tun Razak. » C’est alors que vous tombez des nues en découvrant que la France a peut-être indirectement partie liée à ce meurtre atroce. Et là, par réaction orgueilleuse (un zeste de sentiment national ?), vous vous moquez de vous-même. Et vous restez incrédule tant votre naïveté vous enveloppe. Comment la France peut-elle être liée même de loin au meurtre atroce d’une jeune femme mannequin mongole, ex-maîtresse d’un haut responsable politique malais ? La réponse est simple, et là aussi tombe comme une évidence qui vous fait qu’il ne peut y avoir tant d’évidences dans une même histoire sans un fond de vérité. Altantuya aurait assisté à des négociations entre Razak Baginda et la Direction des constructions navales (DCN) ainsi qu’avec Thalès au sujet de l’attribution d’un contrat d’1 milliard d’euros comprenant notamment l’acquisition par la Malaisie de trois sous-marins. Or, il est évoqué l’éventualité de « rétrocommission » [rien à voir avec les marges arrières des grandes surfaces, quoique !] de la part de Thalès. Et là, vous restez bouche bée. « Rétrocommission », un mot politiquement correct pour parler de corruption...

L’implication hypothétique et même indirecte de la France dans ce que l’auteur nomme, trop timidement à mon goût de « mélo malais », au travers de ses sociétés les plus en vue dans les hautes sphères françaises aurait de quoi alimenter quelques polémiques dans un contexte actuel sur les négociations franco-libyennes illustrant comment la France construit ses relations internationales à bon dos sur les pays dits en voie de développement en vendant des armes.

Aussi, je trouve la chute de l’article - laissant présager une impasse judiciaire : « le premier juge a été destitué... son remplaçant est appliqué, il note chaque échange sur un cahier d’école, mais il n’est pas spécialiste en affaires criminelles. Son domaine, ce sont les litiges civils. », « Altantuya a-t-elle été éliminée parce qu’elle s’apprêtait à révéler un scandale de corruption ? On ne le saura sans doute jamais. » - trop timide aussi et trop défaitiste... J’espère que l’auteur croit encore en la force et l’existence du droit, et la capacité à dire la vérité même à Kuala Lumpur... et qu’il sera un jour possible de savoir pourquoi Altantuya Shaaribuu, si belle, est-elle morte « pulvérisée » par un puissant explosif militaire ? Pour une histoire d’amour qui finit mal ? Ce serait assez sordide... Pour une affaire de corruption dans un contrat de vente d’armes ? Ce serait assez logique... mais tout aussi sordide

Mais peut-être l’auteur, Bruno Birolli, garde-t-il quelques éléments pour la suite.... ? Ne serait-ce que pour la mémoire de la belle Altantuya ! Et ne pas laisser croire que ce meurtre atroce ne serait que la trame d’un bon roman noir dont le titre serait "La Belle, le Stratège et les Vendeurs d’armes"...

L’histoire semble d’autant plus complexe que certains sites évoquent une utilisation de photographies par méprise de la chanteuse sud-coréenne U-Nee elle-même retrouvée morte par pendaison à son domicile au cours du mois de janvier 2007. A ce sujet, lire l’article trouvé sur "theStar Online". Une information d’autant plus troublante dans cette étrange affaire...


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