Le cauchemar d’un authentique conservateur américain

par Dominique Larchey-Wendling
lundi 11 juin 2007

Dans cette chronique, Paul Craig Roberts - un républicain respectueux de la tradition historique non interventionniste de ce parti - tire la sonnette d’alarme. Tous les indicateurs sont au rouge. L’échec du projet des néoconservateurs, loin de freiner leurs ambitions hégémoniques, les conduit à préparer la quasi-destruction de l’armée américaine pour obliger les Etats-Unis à envisager l’utilisation de l’arme nucléaire de manière offensive contre l’Iran, selon les termes de la nouvelle doctrine stratégique américaine, « pour assurer une issue de conflit favorable aux intérêts des Etats-Unis. » Il rejoint les inquiétudes du directeur de l’AIEA, Mohamed el Baradei, qui vient de dénoncer ces « fous qui veulent bombarder l’Iran. »

Si vous êtes aujourd’hui persuadé que Bush est le diable, que penserez-vous quand il aura atomisé l’Iran !

Paul Craig Roberts, document original.

La guerre en Irak est perdue. Ce fait est aujourd’hui largement admis par les officiers de l’armée américaine et a même récemment été exprimé avec force par le lieutenant général Ricardo Sanchez, ex-commandant des forces US en Irak lors de la première année d’occupation de ce pays. Il n’est aujourd’hui plus question d’espérer gagner la guerre. Notre meilleu, espoir affirme Sanchez, est de "masquer la défaite", mais il ne voit pas suffisamment d’intelligence et de détermination dans notre classe politique prise dans son ensemble pour qu’un tel résultat soit possible : "Je suis absolument convaincu qu’en ce moment même l’Amérique est en crise de leadership," affirme-t-il.

De nouvelles preuves de l’échec de cette guerre nous sont parvenues le 4 juin lorsque les gros titres des journaux ont annoncé que "les militaires contrôlés par les Etats-Unis ne maîtrisent qu’un tiers de Bagdad, d’après une déclaration de l’armée américaine lundi dernier." Après cinq années de guerre, les Etats-Unis contrôlent le tiers d’une ville et rien d’autre.

Toute une panoplie de généraux US en service ont déjà affirmé que la guerre en Irak est en train de détruire l’armée américaine. Il y a un an, Colin Powell disait de l’armée US qu’elle était "presque brisée". Le lieutenant général Clyde Vaughn affirme que Bush a "épuisé la totalité de notre force". Le général Barry McCaffrey, témoignant devant le Sénat des Etats-Unis, a affirmé qu’à son avis, "l’armée de terre va se décomposer".

Le colonel Andrew Bacevich, l’un des commentateurs américains les plus importants dans le domaine des affaires militaires, explique dans la dernière édition de la revue The American Conservative comment la guerre insensée de Bush a vidé et épuisé l’armée de Terre et le corps des Marines :

"Seul un tiers des brigades de l’armée régulière peuvent être considérées comme prêtes au combat. Parmi les réservistes, aucun n’est au niveau exigé. Lorsque les dernières unités arriveront à Bagdad suivant la stratégie d’escalade du président, les Etats-Unis se trouveront sans la moindre réserve de forces prêtes à l’emploi.

"Le stress des cycles de combat répétés est en train de saper les forces vitales de l’armée de terre. Il est particulièrement inquiétant que les commandants expérimentés se fassent de plus en plus rares et que ce mouvement s’accélère. Il nous manque aujourd’hui 3 000 officiers accrédités. L’année prochaine, ce nombre devrait s’élever à 3 500. La garde nationale et la réserve sont dans un état pire encore. Là-bas, il manque 7 500 officiers. Les jeunes diplômés de West Point fuient l’armée de terre à une vitesse jamais observée depuis trente ans. Dans l’espoir de stopper l’hémorragie, il est offert un bonus de 20 000 dollars à tout capitaine nouvellement promu qui s’engage à servir trois ans de plus. Pendant ce temps-là, alors que de plus en plus d’officiers veulent partir, il y a de moins en moins volontaires pour s’engager : les formations d’officiers de l’armée de réserve sont vides par manque de candidats de qualité."

Bush a déjà pris toutes les mesures désespérées. L’âge limite pour s’engager a été repoussé de 35 à 42 ans. Les pourcentages de recrues ayant échoué leurs études et de ceux qui obtiennent les notes les plus basses aux tests de recrutement ont explosé. L’armée des Etats-Unis est contrainte de recruter parmi les drogués et les criminels condamnés. Bacevich rapporte que les convocations "envoyées à des criminels déjà condamnés ont bondi de 30 %." La durée de rotation au combat a été étendue de 12 à 15 mois, et les mêmes troupes sont déployées encore et encore.

Il n’y a pas d’équipement disponible pour l’entraînement. Bacevich nous informe que "près de 212 milliards de dollars de matériel ont été détruits, endommagés ou sont tout simplement hors d’état." Ce qui reste se trouve en Irak et en Afghanistan.

Dans ces circonstances, "maintenir le cap" n’a pas d’autre issue que la défaite totale.

Même les bellicistes néoconservateurs qui ont trompé les Américains avec leurs promesses de "promenade de santé en Irak" qui ne durerait qu’au plus six semaines pensent que la guerre est perdue. Mais ils n’abandonnent pas pour autant. Ils ont un plan de la dernière chance : bombarder l’Iran. Le vice-président Dick Cheney est le fer de lance de ce plan des néoconservateurs, et Norman Podhoretz son propagandiste en chef, avec ses nombreux plaidoyers en faveur du bombardement de l’Iran, publiés dans le Wall Street Journal et la revue Commentary. Podhoretz, comme tous les néoconservateurs, est totalement islamophobe. Il a écrit que l’Islam doit être déraciné et détruit, l’équivalent d’un génocide pour les musulmans.

Les néoconservateurs pensent que le bombardement de l’Iran par les Etats-Unis provoquera en réaction la fourniture de roquettes antiblindage et de missiles sol-air aux milices Chiite d’Irak par l’Iran, et lancera ces milices à l’assaut des troupes US. Ces armes neutraliseront les tanks et les hélicoptères de combat et détruiront les derniers petits avantages dont jouit l’armée américaine, qui se morcèlera alors en groupes isolés susceptibles d’être privés de ravitaillement et de possibilité de retrait. Avec une Amérique sur le point de perdre le gros de ses troupes en Irak, un appel à "sauver les troupes" en atomisant l’Iran monterait en sein de l’opinion publique.

Ces cinq années de guerre qui ont échoué en Irak et en Afghanistan et la défaite militaire récente d’Israël au Liban ont convaincu les néoconservateurs que l’Amérique et Israël ne peuvent dominer le Moyen-Orient avec les seules forces conventionnelles. Les néoconservateurs ont modifié la doctrine de guerre américaine qui autorise maintenant les Etats-Unis à frapper préventivement une puissance non nucléaire avec des armes nucléaires. Depuis toujours, on les entend se demander "à quoi il sert d’avoir des armes nucléaires si on ne peut pas s’en servir ?"

Les néoconservateurs se sont eux-mêmes convaincus qu’atomiser l’Iran montrera au monde musulman qu’il n’a d’autre alternative que de se soumettre à la volonté du gouvernement des Etats-Unis. La résistance et le terrorisme ne peuvent pas gagner contre les armes nucléaires.

De nombreux officiers de l’armée des Etats-Unis sont horrifiés à l’idée de ce qui pourrait être le pire de tous les crimes de guerre jamais orchestrés. On a rapporté des menaces de démissions. Mais Dick Cheney est déterminé. Il raconte à Bush que ce plan le sauvera de l’ignominie de la défaite et restaurera sa popularité en tant que président qui aura sauvé les Américains des armes nucléaires iraniennes. Avec des médias américains captifs d’une propagande servant de couverture, les néoconservateurs croient que ce plan les protègera en les sauvant de l’échec que leurs illusions ont forgé.

Les électeurs américains ont décidé en novembre dernier qu’il leur fallait faire quelque chose pour nous sortir de cette guerre perdue et ils ont donné aux démocrates le contrôle des deux chambres du Congrès. Malgré cela, les démocrates sont arrivé à la conclusion qu’il leur serait plus facile d’être complices de crimes de guerre que de défendre la volonté de leur électorat et de mettre un président voyou devant ses responsabilités. Si Cheney devait à nouveau gagner cette partie, l’Amérique supplanterait le 3e Reich comme régime le plus honni de l’Histoire.

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Paul Craig Roberts fut directeur de cabinet du ministre des Finances sous l’administration Reagan. Il a été éditeur associé du Wall Street Journal à la revue National Review.


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