L’intégrité scientifique médicale vient d’être décapitée
par Pierre Biron
mardi 26 février 2019
Chaque jour les médecins prennent des décisions diagnostiques et thérapeutiques. Pratiquants d’une médecine scientifique, il doivent se fier aux résultats de la recherche relayés par une formation continue et des guides de pratique. Cependant le volume de nouvelles données est si abondant qu’il est devenu difficile voire impossible de tout intégrer en pratique. Ainsi est né la « Cochrane », un réseau international de collaborateurs indépendants fondé en 1993 par le médecin britannique Iain Chalmers, un disciple d’Archibald Cochrane, lequel fut un pionnier dans l’élaboration des règles à suivre pour évaluer et valider les nouvelles interventions et pratiques médicales.
La Cochrane, organisation à but non lucratif, indépendante et transparente, devint l’une des institutions scientifiques les plus fiables pour analyser la littérature issue de la recherche en santé et éclairer les soignants. Plus de dix mille collaborateurs dans plus d’une centaine de pays sont regroupés en une cinquantaine de Centres d’évaluation. Les quelques sept mille synthèses méthodiques font autorité depuis plus de deux décennies.
Peter Gøtzsche, un co-fondateur de ce réseau international, fonda aussi le Centre d’évaluation du CHU Rigshospitalet de Copenhague. Au fil des ans, il devient l’un des experts les plus respectés de son époque pour son évaluation critique des essais cliniques et sa dénonciation d’une corruption du savoir par les industries de la santé. Il a dénoncé les dépistages de masse controversés, l’usage abusif des psychotropes, les règlementations laxistes, les prix exorbitants et l’omerta concernant les effets nocifs de nouveaux médicaments.
Il a publié deux livres provocants aux Presses de l’Université Laval, Médicaments mortels et crime organisé et Psychiatrie mortelle et déni organisé. Il a constaté que les auteurs des synthèses Cochrane (limitées aux essais cliniques publiés qui sont majoritairement financés par les fabricants) peuvent inclure des personnes en conflit d’intérêt et surtout, ne tiennent pas compte des essais cliniques négatifs non publiés, des enquêtes sur le terrain, des critiques fondées et des rapports de graves incidents thérapeutiques. Entretemps, la gouvernance de la Cochrane a accepté plus d’un million de dollars d’une fondation privée intéressée au développement pharmaceutique.
Cela illustre un virage corporatiste, centralisateur et conservateur pour cette institution. Les lobbies industriels et professionnels se mettent en branle et se jurent qu’ils auront la peau de ce dénonciateur dérangeant. Eh bien ils ont finalement eu sa tête sur un plateau.
En septembre 2018 la Cochrane a brutalement congédié Gøtzsche de son conseil de direction, et en octobre le CHU où il dirigeait son Centre d’évaluation, a fait de même. Ces deux expulsions sauvages sont du jamais vu dans ces milieux. Consternés et indignés, plus de dix mille collaborateurs à la Cochrane (incluant son fondateur Iain Chalmers), universitaires, soignants et patients ont réclamé à hauts cris sa réhabilitation.
Cette récente victime de la corruption institutionnelle se défend avec un courage hors du commun dans un livre dévastateur - certainement le livre de l’année en éthique médicale [1]. Si la Cochrane persiste dans cette voie, c’est l’indépendance académique, la liberté d’expression en science appliquée et la qualité de la prochaine prescription de votre médecin qui sont en jeu. Les universitaires d’ici et d’ailleurs doivent manifester leur indignation et éviter de faire comme une vigie qui, sur la passerelle du Titanic, ne donnerait pas l’alerte.
Pierre Biron et Jean-Claude St-Onge.
[1]Death of a Whistleblower and Cochrane’s Moral Collapse. Peter C. GØTZSCHE. Denmark : Peoples’s Press ; January 2019 (numérique)