En Italie, la justice peine à lutter contre les oligarques
par Le detektiv
samedi 30 juillet 2022
Les autorités transalpines éprouvent les plus vives difficultés à saisir les biens des oligarques russes dans la péninsule, ces derniers se cachant, le plus souvent, derrière de complexes montages financiers. Une impuissance que vient quelque peu nuancer la récente victoire judiciaire remportée par l'Etat italien contre la famille de l'oligarque kazakh Moukhtar Abliazov, un homme d'affaires qui a fui son pays pour trouver refuge en Europe.
Non, la police italienne n'est pas coupable d'« enlèvement » ni de « séquestration » à l’encontre d'une femme et de sa jeune fille. Le journal satirique belge Pan révèle ainsi que dans une décision rendue au début du mois de juin par la Cour d'appel de Pérouse, la justice italienne a acquitté l'ensemble des agents, fonctionnaires et policiers poursuivis par Alma Shalabayeva, l'épouse de l'oligarque d'origine kazakhe Moukhtar Abliazov. La femme du milliardaire avait été arrêtée, en compagnie de leur fille, en mai 2013, alors qu'elles résidaient illégalement dans le très chic quartier de Casal Palocco, au sud-ouest de Rome. Munies de faux passeports diplomatiques prétendument établis par la République centrafricaine, les deux femmes avaient fait, deux jours après leur arrestation, l'objet d'une mesure d'expulsion vers leur pays d'origine, le Kazakhstan. Une opération rondement menée, qui faisait alors l'orgueil de la police et de l'administration italiennes, pas peu fières de démontrer leur application à lutter contre la corruption et la criminalité en col blanc.
De fait, l'affaire avait, en Italie, fait grand bruit, en raison de la notoriété de Mme Shalabayeva et, surtout, de celle de son époux. Accusé par les autorités kazakhes d'avoir détourné plusieurs milliards de dollars de la BTA, la banque qu'il présidait au Kazakhstan, Moukhtar Abliazov est depuis une quinzaine d'années en cavale. Après plusieurs années d'exil doré au Royaume-Uni, où Paris Match rappelle qu’il a échoué à obtenir le statut de réfugié politique et a été condamné à 22 mois de prison pour outrage à la justice, le sulfureux homme d'affaires a élu domicile en France, où il a séjourné quelque temps en prison avant de se voir attribuer un énigmatique statut de « réfugié politique ». Son épouse et sa fille, quant à elles, ont pu récupérer leur – vrai – passeport kazakh peu de temps après leur mésaventure et se sont empressées de retrouver leur palais italien. Non sans traîner les fonctionnaires en charge de leur arrestation et de leur expulsion devant les tribunaux du pays qui leur a, pourtant, de nouveau ouvert les bras. En vain donc, du moins pour l'heure – une victoire que n'ont pas manqué de célébrer comme telle médias et politiques transalpins.
L'Etat italien impuissant face aux oligarques ?
Rocambolesque et, provisoirement, victorieuse – Alma Shalabayeva devrait faire appel devant la Cour suprême –, l'affaire Abliazov-Shalabayeva n'en est pas moins révélatrice des difficultés qu'éprouvent les autorités italiennes face aux oligarques ayant des intérêts dans la péninsule. Depuis les premiers jours de l'offensive russe en Ukraine, Rome peine à mettre la main sur les biens que les proches de Vladimir Poutine possèdent en Italie : qu'il s'agisse de yachts ou de propriétés de rêve, l'enjeu pour les juristes italiens est de trouver la faille permettant de saisir légalement ces signes ostentatoires d'ultra-richesse. Mais ceux-ci se heurtent le plus souvent à l'opacité de montages financiers complexes édifiés, précisément, dans le but de dissimuler l'identité réelle des propriétaires de ces biens de luxe. Ainsi, alors que près de 500 personnalités seraient théoriquement concernées par les sanctions contre la Russie, le montant des saisies jusqu'alors menées à bien par l'Etat italien ne dépasserait pas les 150 millions d'euros.
Quelques trophées sont, néanmoins, à porter au crédit des « chasseurs d'oligarques » italiens, parfois aidés dans leur croisade par des activistes russes tels que ceux qui entourent l'opposant numéro 1 de Vladimir Poutine, Alexeï Navalny. Plusieurs navires soupçonnés d'appartenir à des hommes d'affaires russes ont ainsi été immobilisés dès le début de la guerre, à l'image du Lady M, un yacht de 65 millions d'euros appartenant à Alexeï Mordachov, le PDG du groupe Severstal, ou encore du Lena, propriété de l'homme d'affaires Gennady Timchenko, évalué à quelque 50 millions d'euros. Autant de prises qui ne doivent pas faire illusion et soulignent, plus qu'elles ne la minimisent, la faiblesse de l'Etat italien face à la rapacité des oligarques de tout poil.