Les deux qui font si mal à la Pologne et à l’Europe

par Carnot
vendredi 13 avril 2007

Au cœur de la nouvelle Europe, celle qui vient d’intégrer notre espace commun, se déroule, quasiment dans l’indifférence générale, une innommable chasse aux sorcières,

 

Les jumeaux Kacziynski, arrivés au pouvoir en 2006, l’un comme président de la République, l’autre comme Premier ministre, multiplient les coups de boutoir aux valeurs qui pourraient un jour constituer le socle d’une Europe enfin politique.

 

Les parlementaires issus de leur majorité, alliés avec l’extrême droite locale, ont déjà insisté pour l’abrogation du droit à l’avortement ou le rétablissement de la peine de mort.

 

Tout récemment, les deux affreux se sont lancés dans une croisade anticommuniste, à la suite des aveux l’archevêque de Varsovie, récemment nommé par le Pape, qui avouait avoir collaboré avec la police politique du temps de Jaruzelski.

 

A la suite du vote d’une loi le 15 mars, les journalistes, intellectuels, magistrats avocats, ministres, députés, hauts fonctionnaires, directeurs d’école sont priés de déclarer s’ils ont eu des relations avec la police secrète au cours de leur existence. Près de 700 000 formulaires ont été envoyés à cet effet. En l’absence de réponse ou en cas de déclaration jugée mensongère, les contrevenants s’exposent à un licenciement immédiat de leur fonction et une interdiction d’exercer leur profession durant dix ans. On imagine aisément les risques pour ne pas dire les certitudes de corruption, de passe-droits, d’erreurs, de dénonciations aveugles qui présideront à la rédaction puis à la vérification d’une telle masse de documents.

 

Plus encore que cela, c’est le procédé en lui-même qui est détestable et contraire à l’idée que l’on se fait d’un pays démocratique. Que les Polonais désirent avoir un regard critique sur leur passé, cela va de soi. Qu’ils souhaitent dénoncer des comportements innommables au cours des années de plomb de la dictature est tout aussi légitime. II ne doit pas exister de prescriptibilité pour de tels crimes. Mais, nous savons comment fonctionnaient de tels régimes ; pour que ces systèmes perdurent, ils reposaient nécessairement sur une population considérable de personnes endoctrinées ou simplement soucieuses de survivre, ni lâches ni héros, qui devaient collaborer avec la police politique, sous peine de disparaître. Que l’on imagine qu’il existait en ex-RDA près de 700 000 indics dans les années 80 sur une population de 10 millions d’habitants ? Par ailleurs, si épuration il devait y avoir, et cela se justifiait sans doute pour de larges pans de la vie publique, elle aurait dû intervenir dès la fin de la dictature et non pas quinze ans après sa chute. Il aurait mieux valu que la Pologne entreprenne le travail qu’a mené l’Afrique du Sud avec la commission Vérité et réconciliation, établie pour juger les crimes de l’Apartheid, dont le but n’était ni de pardonner ni de condamner une partie de la population mais surtout de se souvenir des victimes.

 

Les pratiques actuelles du gouvernement polonais rappellent les tristes heures du maccarthysme lorsque des intellectuels - cinéastes, écrivains... - Américains furent obligés d’avouer leurs accointances avec le Parti communiste ou simplement leur sympathie pour les idées de gauche. A cette époque, McCarthy avait fait des dégâts mais il n’avait pas fait long feu ; des voix aux Etats-Unis et en dehors s’étaient rapidement élevées contre ses procédés dignes de l’Inquisition. C’est notamment ce que décrit fort bien Georges Clooney en relatant l’histoire du journaliste Edward Murrow dans le film « Good Nignt and Good Luck ».

 

McCarthy avait été rapidement isolé aux Etats-Unis par une majorité politique qui avait pris conscience à cette époque que pour combattre au mieux ses adversaires, il fallait veiller à ne pas utiliser leurs méthodes.

 

Ce qui fait peur aujourd’hui, c’est que l’on sent que cette purge qui ne dit pas son nom s’inscrit dans un projet plus global du gouvernement polonais, de visée clairement atlantiste, réactionnaire.

 

On ne compte plus, depuis l’arrivée au pouvoir de la nouvelle majorité, les campagnes menées en ce sens ; un jour, c’est un groupe de députés qui se prononce en faveur d’une abrogation du droit à l’avortement, une autre fois, il s’agit d’envisager le rétablissement de la peine de mort proscrit dans tous les autres pays d’Europe.

 

La Pologne a été l’un des premiers pays à soutenir activement la coalition menée par George Bush, alors même qu’elle s’apprêtait à rejoindre l’Union européenne. Désormais, elle se porte candidate pour accueillir des bases antimissiles américaines, dirigées sans aucun doute vers la Russie, sans en avoir débattu préalablement avec ses partenaires européens. Par là même, le gouvernement polonais risque de ranimer, dans un contexte déjà extrêmement tendu, le spectre de la guerre froide et de favoriser encore un peu plus - mais tel n’est ce pas son but après tout - l’enlisement de la construction européenne.

 

Tout récemment, c’est un député polonais, soutenu par un groupe d’historiens, qui a osé faire cette proposition ignoble : arrêter le versement des pensions, délivrées au titre du statut des anciens combattants, aux membres des Brigades internationales ; faudrait-il rappeler à ce député que ces jeunes combattants se battaient à l’époque déjà, en pleine Guerre d’Espagne aux côtés des républicains, contre un ennemi, les fascistes et notamment les nazis, qui allait moins de quatre ans après réduire en esclavage l’intégralité de son peuple ?

 

Le parlement espagnol, dans une belle unanimité rassemblant même - fait exceptionnel - le Parti populaire, a presque immédiatement réagi en suggérant le versement de ces pensions par le gouvernement espagnol.

La France, ses intellectuels et ses médias, obnubilés par une élection dont les enjeux ne sont pas uniquement nationaux mais aussi européens et internationaux, va-t-elle enfin réagir à son tour ?


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