De la démocratie Internet
par Thierry Crouzet
mardi 4 juillet 2006
En 1835, dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville écrit : « Chez la plupart des nations européennes, l’existence politique a commencé dans les régions supérieures de la société et s’est communiquée peu à peu, et toujours d’une manière incomplète, aux diverses parties du corps social. En Amérique, au contraire, on peut dire que la commune a été organisée avant le comté, le comté avant l’État, l’État avant l’Union. »
En langage moderne, Tocqueville compare les approches top-down et bottom-up. Le bottom-up domine la vie politique lorsque les nations naissent. Puis, peu à peu, les classes dirigeantes apparaissent et elles dictent leur volonté à partir du sommet de la pyramide sociale.
La domination par le haut est rarement au début d’une aventure. Tocqueville dit qu’en Europe, la politique a commencé par le haut, tout simplement parce qu’il n’a pas eu la chance de voir les nations européennes se former. Lorsqu’il écrit, elles ont depuis longtemps oublié leurs origines. Comme le montre Peter Turchin dans War And Peace And War, les nations européennes se sont construites sur les marges de l’Empire romain grâce à des aventuriers qui, eux aussi, privilégiaient le bottom-up : il leur conférait plus de souplesse que le top-down sclérosé appliqué par les fonctionnaires romains.
Alors qu’au XIXe siècle, pour Tocqueville, le bottom-up est encore manifeste en Amérique, il est à nos yeux déjà moins convaincant, surtout lorsque nous observons les dérives impérialistes d’un Bush. Nous sentons toutefois que les initiatives individuelles sont encore favorisées en Amérique, mais la différence avec l’Europe s’atténue très vite. L’Amérique adopte aujourd’hui, de plus en plus, des politiques top-down, même si la liberté d’entreprendre est encore mise en avant.
Quelques lignes plus loin, Tocqueville discute de la commune de Nouvelle-Angleterre en 1650. Il dit : « La loi de la représentation n’est point admise. C’est sur la place publique et dans le sein de l’assemblée générale des citoyens que se traitent, comme à Athènes, les affaires qui touchent à l’intérêt de tous. »
La jeune nation américaine a commencé son histoire par une démocratie participative. La représentation n’est survenue que plus tard, lorsque des politiques professionnels sont apparus, et aussi lorsque la population a grandi, compliquant la participation directe.
J’aime considérer Internet comme une jeune nation où domine le bottom-up et la participation. Grâce à la technologie, nous pouvons étendre cette participation à tous, sans limite quantitative. Ainsi les initiatives individuelles resteront peut-être le moteur de la société. Espérons : assez longtemps pour qu’une nouvelle époque de l’humanité commence.