Supprimer le liquide : un impôt invisible qui ponctionne chaque euro
par Mathias Madej
jeudi 12 juin 2025
Le 23 mai 2025, devant le Sénat, Gérald Darmanin a relancé le débat. Il veut faire disparaître les espèces pour mieux lutter contre les trafics. L’argument est sécuritaire. Imparable sur le papier. Mais est-ce vraiment la seule raison pour laquelle certains responsables publics tiennent tant à la disparition du cash ?
Petit à petit, les billets disparaissent. Le liquide, ce moyen de paiement concret et rassurant, est en train de devenir un vestige du passé. Les arguments officiels pour cette disparition sont nombreux : sécurité, traçabilité, modernité. Mais la réalité qui se cache derrière ces beaux mots est bien plus cynique : l’extinction progressive de l’argent liquide enrichit un acteur inattendu : le système bancaire et les prestataires de paiement.
Car un billet de 20 euros a une propriété unique : il passe de main en main, de commerçant en commerçant, sans perte. Chaque euro payé en liquide reste dans le circuit économique réel, celui de la boulangerie, du coiffeur, du petit commerçant. La monnaie tourne, intacte. Sans qu’aucune part ne soit prélevée.
Mais dès qu’on passe au paiement par carte, la logique change. À chaque transaction, la banque ou le prestataire (Visa, Mastercard, etc.) prélève sa commission. Elle varie généralement de 1 % à 3 % par paiement. Pour un commerçant qui encaisse 20 euros par carte, ce sont déjà 20 à 60 centimes qui disparaissent. Et ce prélèvement n’a rien d’exceptionnel : il se répète à chaque transaction, à chaque passage d’un euro dans le circuit bancaire.
Prenons un exemple concret. Le coiffeur encaisse 20 euros par carte. Il ne recevra pas la totalité : après la commission, il ne touchera réellement que 19,60 euros. Quand il paiera son boulanger avec sa propre carte, la même ponction se répétera. Le boulanger, à son tour, perdra quelques centimes. Cette taxe silencieuse grignote la richesse produite par le travail des commerçants et des artisans. Elle se cumule et s’accumule, à chaque euro échangé.
On parle souvent de modernité, de rapidité, d’efficacité. Mais on oublie ce prélèvement invisible qui s’ajoute à chaque paiement par carte. Un impôt silencieux, imposé non pas par l’État, mais par des acteurs privés. Les banques et les prestataires de paiement encaissent ainsi des milliards d’euros chaque année, simplement parce qu’ils contrôlent l’infrastructure numérique qui remplace l’argent liquide.
Le danger est bien réel. Pour les commerçants, ces commissions représentent une charge supplémentaire, qui vient rogner leurs marges déjà fragiles. Pour les consommateurs, c’est un coût indirect, que personne ne voit, mais qui finit par peser sur les prix. Et pour la société dans son ensemble, c’est un transfert permanent de richesses de l’économie réelle vers le secteur bancaire.
Au-delà de l’aspect financier, la disparition du liquide pose un autre problème : celui de la liberté. Payer en liquide, c’est rester anonyme. C’est échapper à la collecte des données, à la surveillance constante des transactions. Chaque paiement par carte, lui, laisse une trace. Une donnée qui sera stockée, analysée, et parfois revendue. Le liquide protège non seulement le porte‑monnaie des commissions, mais aussi la vie privée des citoyens.
Supprimer le liquide, c’est donc bien plus qu’un simple changement de moyen de paiement. C’est confier le contrôle de la circulation de l’argent à des acteurs privés, qui prélèvent leur part à chaque étape. C’est accepter qu’un euro ne soit plus jamais un euro complet, mais un flux numérisé, fractionné par les commissions bancaires.
La crise sanitaire a accéléré cette tendance. Le paiement sans contact s’est imposé comme la norme. Mais derrière cette apparente modernité se cache un coût que personne ne veut voir : la perte de souveraineté monétaire des citoyens. Et la soumission aux acteurs privés qui contrôlent les réseaux de paiement.
Mathias Madej (Auteur & Prête-Plume)
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