L’érotisme rouge

par Szem
lundi 28 décembre 2015

En notre époque de totale et entière jouissance libérale, des questions ne manquent cependant pas de nous tarauder parfois... Y a-t-il eu un paradis marxiste-léniniste pour le sexe ? La révolution prolétarienne a-t-elle brisé les barrières psychologiques et renversé les tabous sociaux ? Il semblerait en effet que la sexualité des pays de l'Est ait été beaucoup plus débridée qu'à l'Ouest pendant la Guerre froide.

Des études comparatives ont été effectuées entre la RFA et la RDA (pays nés de la séparation de l'Allemagne de 1949 à 1990), et synthétisées dans un documentaire malin, RDA, l'amour autrement (Liebste des Osten anders), réalisé par André Meier en 2006. Dans ce pertinent comparatif de l'activité sub-cinctoriale des Allemands des ex RFA et RDA, la conclusion est sans appel : les Allemands de l'Est avaient le coït plus joyeux et plus fréquent que leurs cousins (germains...) de la république fédérale voisine qui bénéficiaient pourtant d'un système plus libre et plus démocratique.

Premier facteur d'explication mis en avant par les chercheurs : l'absence des Eglises. Pas de dieu pour juger et punir. Pas d'enclume religieuse à porter. Dans un régime athée, on est seuls, camarade, donc on est libres. Il n'y a que le Parti (communiste, pour ceux qui auraient oublié leurs cours d'histoire du collège) qui puisse nous taper sur les doigts et faire la morale. Mais il avait d'autres chats à fouetter. Tant que les libidos individuelles n'entravaient pas son projet d'édification de l'Homme nouveau...

Ensuite, un facteur politique : le totalitarisme communiste. Pour chaque citoyen(ne), les plaisirs étaient rares, la vie difficile, surveillée, cadenassée. Les parties de jambe en l'air étaient des moments d'intimité, et par conséquent de liberté ; le lit était le seul endroit où l'Etat ne pointait pas son oeil. Un espace précieux où l'on pouvait enfin s'exprimer !

Un facteur social, également. Dans les "démocraties populaires" d'Europe de l'Est, le sexe était plus accessible grâce à une vie plus collective où l'égalité hommes-femmes s'instituait solidement. Dans les mouvements de jeunesse, camarades filles et garçons se côtoyaient naturellement, pratiquaient du sport ensemble, mangeaient ensemble, partageaient parfois les mêmes dortoirs. La découverte du corps de l'autre s'en trouvait plus précoce et plus naturel qu'à l'Ouest.

De plus, en RDA (République démocratique allemande), les filles craignaient moins d'avoir un enfant tôt car l'Etat se chargeait alors de tout : logement pour la fille mère, crêche et école gratuites pour l'enfant... En cas d' "accident", moins de honte (pas de poids religieux) et moins de tracasseries pratiques. En Occident, pour les Wessis (surnom donné aux habitants de la RFA), l'affaire devient vite plus compliquée. Il faut assumer individuellement, trouver un boulot, un logement, éventuellement un père... D'où le recours à l'avortement, parfois sauvage. L'IVG en France n'a été voté qu'en 1975. Voilà qui a freiné l'épanouissement sexuel de moult donzelles occidentales.

Enfin, un facteur socio-économique : la société de consommation. A l'Est, le sexe n'était pas merchandisé : pas de sex-shop, ni de sex-toys, pas de femme-objet publicitaire non plus, etc. Pas de produits à vendre, donc moins de frustrations à ne pas pouvoir se les offrir, donc moins de névroses. Au contraire des pays capitalistes (RFA, USA, France...) où le sexe est devenu un produit comme les autres, où tout se vend, tout se loue : cassettes porno, abonnements en boîte échangiste, sites de rencontres internet, gadgets, lubrifiants, aphrodisiaques... et même les corps. Il faut payer pour vivre une sexualité considérée comme intéressante. 

Le sexe en Occident est une affaire sérieuse (et juteuse pour ceux qui en font un business) : il fait gagner de l'argent, participe de l'esprit de compétition et de performance propre au capitalisme, valorise l'image sociale, contribue au culte du corps... Pour briller en société, ou simplement s'y insérer, chaque individu ne doit pas hésiter à révéler ou montrer "avec qui et dans quelle position" il baudouine ou saillit.

Finalement, sous son aspect très libre, le sexe capitaliste se révèle extrêmement normatif jusqu'à devenir aliénant. A l'Est, il s'agissait d'un pur amusement, d'une vraie gâterie sans rien d'ostentatoire.


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