Après Darwin : une théorie nouvelle émergera-t-elle ?

par Bernard Dugué
jeudi 14 mai 2009

C’est certain, une théorie nouvelle émergera en ce siècle, une théorie approchant de plus près l’essence et le ressort de la Vie, de l’Evolution. En attendant je vous propose cet extrait d’un livre qui verra ou non le jour ; tout dépend de l’issue finale de la rédaction et surtout du courage des éditeurs*, chose bien délicate en ces temps de défense des acquis et du repli sur ses intérêts assuré par des valeurs sûres mais sûrement pas des valeurs. 

La science de l’évolution est inachevée. La vie est-elle hasard ou bien dirigée vers une direction et un progrès ?


Si la vie apparaît comme une technique, et donc comme moyen, elle recèle en sa substance quelques fins. Ainsi le suppose une certaine sagesse philosophique depuis Aristote. Cette question, que je développerais dans un chapitre de ce livre, est posée sous une forme différente par Simon Conway, professeur de paléontologie à Cambridge et surtout, auteur d’un livre décalé où il expose des réflexions alternatives à la doctrine contemporaine néo-darwinienne. Dans un entretien donné à la revue Books (avril 2009) il affirme que la science de l’évolution reste inachevée. Son propos se veut radical car par inachèvement, il n’évoque pas quelques détails supplémentaires venant s’ajouter au corpus évolutionniste contemporain. Il s’agit au contraire de revoir les ressorts fondamentaux de l’évolution.


Conway ne remet pas en cause la sélection naturelle mais le fait qu’elle constitue la seule explication de l’évolution. Selon ses termes, la théorie actuelle, basée sur les mutations de l’ADN (et les recombinaisons) combinées à la sélection naturelle conduisent obligatoirement vers des transformation complètement aléatoires et imprévisibles. Alors que l’observation et le bon sens vont à l’encontre de cette explication sélectionniste qui pour les néodarwiniens, est suffisante. La science de l’évolution est incomplète affirme Conway, insatisfait de cette théorie qui rend impossible de prévoir les produits qu’elles pourrait donner. Alors que l’évolution semble obéir à un sens, ne serait-ce que la tendance à la complexité croissante. Et donc, il faut trouver des principes d’ordre supérieur capable d’expliquer cette logique biologique. Conway affirme en effet que l’évolution est prévisible, bien plus que ne le pensent la plupart de ses confrères. Et pour asseoir son hypothèse, il évoque la genèse de structures très complexes inventées plusieurs fois, à plusieurs époque, dans des espèces éloignées dans l’ordre des ramifications phylogéniques.


Ce fait est dénommé convergence évolutive. Cette notion n’étant qu’un cas particulier, appliqué à l’évolution des espèces, de la notion plus générale de téléologie. En deux mots, les chemins de l’évolution sont nombreux mais ils mènent à un nombre assez limité de destination. L’œil camérulaire chez les pieuvres et les vertébrés, les oiseaux qui apparaissent à quatre reprises… Ce constat oppose les partisans de la téléologie, peu nombreux, parmi lesquels Conway mais aussi Teilhard de Chardin naguère ou Anne d’Ambricourt plus récemment, aux promoteurs d’un darwinisme strict, les plus connus étant Stephen J. Gould ou Richard Dawkins. L’alternative est simple à exposer. La convergence évolutive dit qu’un entonnoir canalise les transformations des espèces et l’apparition des morphologies. Deux possibilités. (i) C’est la pression naturelle qui par le jeu de la sélection, pousse les espèces vers les formes adaptées à la survie. Et c’est l’instinct de vie qui pousse les espèces nouvelles issues des mutations aléatoires dans l’entonnoir. (ii) Une instance téléologique crée une aspiration, une sorte de « moule morphique » qui canalise la transformation du vivant. Il se peut bien que les deux options se complètent pour fournir l’explication la plus plausible.


Rien ne dit que la téléologie puisse faire l’objet d’une investigation scientifique mais du point de vue de la conception philosophique de la nature, cela a un sens. Nombre de biologistes pensent que la vie est le fait d’un hasard et du bricolage sélectionné par la nature. Si tel est le cas, il n’y a pas de progrès dans l’évolution. C’est cette thèse extrême que défendait Gould, encore plus radical qu’un Darwin auquel il reprochait de ne pas avoir eu l’audace de nier le progrès bien qu’il ait eu entre les mains quelques éléments pour aller vers cette idée. Selon Gould, Darwin baignait dans une atmosphère idéologique où l’idée de progrès était presque sacrée et incontestable. Et lorsqu’on lit attentivement l’opus de Gould intitulé L’éventail du vivant et sous titré le mythe du progrès, on comprend parfaitement comment ce scientifique se plaît à « flinguer » le progrès, accomplissant une quatrième blessure pour l’homme, après celles infligées par Copernic, Darwin et Freud. On comprend comment Gould aime détruire les idéaux de l’homme et les croyances. On ne comprend pas pourquoi ce dessein de Gould si funeste car la science quitte alors ses prérogatives pour servir on ne sait quel sombre ressentiment. La science qui devient une profanation du réel. Livrée à l’idéal des déconstructeurs devenus destructeurs, aux Néron de la pensée. On sait en vérité pourquoi l’homme, où qu’il soit, peut devenir un tyran avide de destruction. Et l’on comprend que les spéculations sur le ressort de l’évolution n’ont pas forcément des intentions scientifiques ni philosophiques. Loin d’être le lieu du « sacre du vivant », la science s’est constituée sous l’égide du « massacre du vivant ».


Cette idée de convergence évolutive ou de téléologie morphique a toute sa place dans une philosophie du vivant. Et si elle ne peut être expérimentée, rien n’empêche qu’on puisse réfléchir à ce qui la rend possible. Nous sommes au centre de l’incomplétude de la théorie de l’évolution et par la force des choses, de la théorie du vivant. Les pistes évoquées par Conway ne sont guère originales, essayer de créer une forme de vie par synthèse, étudier la vie sur les autres planètes, observer une colonie de bactéries pour voir si une espèce apparaît. Comme je m’en suis expliqué, la compréhension de la Vie risque d’échapper à l’expérience mais relève de spéculations philosophiques. Et pour commencer, nous disposons de la mécanique quantique qui offre un regard sur l’essence de la matière, ainsi que cette idée de physique non calculable. Quant à la direction de l’évolution, elle apparaîtra dès lors qu’on tente de faire un récit des transformations successives. Et l’on retiendra que c’est vraiment le point le plus crucial car si quelque part, on est persuadé qu’il y a un sens, cela offre matière à réfléchir à ce qui pourrait compléter utilement la théorie de l’évolution afin de la faire « évoluer » dans un sens moins darwinien, avec une sélection naturelle moins hégémonique et quelques principes fondamentaux. C’est ce que je propose au cours de cet ouvrage qui nous amènera vers quelques pistes originales, à la recherche de la « matière substance technique et cognitive » et de ses intentions.


Le lecteur pourra ainsi juger si un changement de paradigme est proposé au cours de ce cheminement intellectuel qui tentera autant que faire se peut de se perdre dans les détails, tout en s’efforçant d’aller à l’essentiel, à coup de concepts, notions, idées et principes.

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