Bayrou, seul avec son armée de 77 000 anges

par Sylvain Rakotoarison
vendredi 1er juin 2007

La loi sur les apparentements a tué le RPF de De Gaulle. Le scrutin majoritaire tuera-t-il les espoirs suscités par la candidature de François Bayrou ? Sans nouveau 1958 en perspective.

Au Zénith le 24 mai 2007, lançant la campagne du Mouvement démocrate, François Bayrou évoquait la IVe République ainsi : « En 1951, De Gaulle avait réussi à constituer un groupe parlementaire fort de plus de 100 députés et en quelques mois (...) presque tous ses députés ont rejoint le pouvoir de l’époque. » sans oublier de rappeler que De Gaulle allait revenir au pouvoir en 1958.

Comme toujours, les hommes politiques se grandissent en se comparant aux légendes du passé. Voulant évoquer les ralliements des députés UDF pour la majorité présidentielle, Bayrou voulait croire à son retour aux affaires en 2012, par la grande porte, après en avoir été privé depuis... 1997.

Si l’analogie n’est recevable que pour les partisans de François Bayrou, il me semblerait qu’elle mériterait d’être prise d’un autre point de vue.

L’arrivée de 121 députés RPF le 17 juin 1951, si cela peut être considéré aujourd’hui comme un large succès pour un parti qui venait de recueillir 22,3% des suffrages exprimés (plus de quatre millions de voix), n’en était pas moins un échec à la fois en voix (aux municipales de 1947, le RPF avait obtenu 35% des voix) et en sièges (De Gaulle comptait obtenir au moins 200 sièges).

En effet, pour endiguer la vague gaulliste, les partis de la Troisième Force (MRP, SFIO, radicaux, modérés) avaient in extremis voté la loi des apparentements, défavorisant les listes autonomes (le scrutin était alors proportionnel par grande circonscription) et avantageant sérieusement les partis gouvernementaux qui pouvaient s’allier, s’apparenter. Ainsi, les communistes et les gaullistes perdirent mécaniquement beaucoup de sièges en raison de cette loi opportuniste.

Pourquoi un tel rappel ?

Parce que 1951 vit justement le déclin du RPF constitué quatre ans plus tôt. Les élus RPF, constatant cet état de fait, prirent alors leur décision d’aller ou pas à la soupe, selon l’expression de De Gaulle.

Et si François Bayrou aime cette analogie, c’est parce qu’après cette décomposition, il y a eu 1958, et l’UDR devenant même par la suite hégémonique. Mais il oublie qu’il a fallu, avant qu’il y ait le 13 mai 1958, la quasi-désertion des pouvoirs publics en Algérie, et une crise politique et institutionnelle majeure à Paris. Rien de comparable avec la situation de cette fin de printemps 2007.

Je ne suis donc pas convaincu par la méthode actuelle de François Bayrou qui oublie deux éléments majeurs. On dit toujours que la politique est l’art de concilier le souhaitable et le réalisable. Ne pas prendre en compte la réalité politique est une sorte d’aveuglément qui ne préfigure rien de bon sur la capacité à gouverner.

J’en cite deux donc :

1. Nicolas Sarkozy est le nouveau président de la République.

Cela n’a échappé à personne sauf à François Bayrou et à Ségolène Royal. Je ne dis pas ici si c’est bon ou mauvais, mais c’est désormais un fait, et on pourra toujours le critiquer ou l’aduler, cela ne changera rien.

Sur cette base, cela signifie deux choses.

D’une part, toute ambition présidentielle est à remiser à plus tard, et si cela reste la priorité des deux malheureux candidats, c’est qu’ils considèrent qu’il n’y a rien à faire de constructif pour la France avant 2012. L’argument est souvent utilisé par l’UMP évidemment, mais doit l’être aussi par ceux qui veulent que les choses s’améliorent.

D’autre part, cette élection constitue une rupture par rapport aux deux précédentes présidences plutôt conservatrices et immobilistes. Ce n’est pas dû à Sarkozy lui-même, l’élection de Bayrou ou de Royal aurait constitué également une nouveauté dans ce besoin de changement. Mais Sarkozy, plus que les deux autres, a tout misé sur son image d’homme d’action : « Je ne suis pas là pour durer, je suis là pour agir très vite » a-til dit le 10 mai 2007 devant les députés UMP.

2. Le scrutin des élections législatives est majoritaire uninominal à deux tours.

Ce mode de scrutin, qui a l’avantage de créer de forte majorité (ce qui n’a rien à voir avec une absence de séparation des pouvoirs : aux partis majoritaires et à leurs députés de contrôler l’action du gouvernement), a évidemment la mauvaise conséquence de ne pas faire élire des députés qui refusent le jeu des alliances au second tour.

Tout comme la loi sur les apparentements, le scrutin majoritaire va sans doute porter un coup mortel aux ambitions législatives du Modem.

Il ne s’agit pas ici de juger de la pertinence d’une loi électorale. Jusqu’à maintenant, seul le Front national, ayant représenté jusqu’à 18% de l’électorat (en 2002) n’a jamais pu avoir une représentation parlementaire à la hauteur de son importance électorale. Et donc les discussions sur la pertinence d’un scrutin proportionnel étaient souvent parasitées par l’intérêt ou pas d’avoir des députés FN.

En 2007, le jeu est un peu différent puisque les principales victimes du scrutin majoritaire vont être les électeurs de François Bayrou.

Pourtant, cet extrême centrisme ne me paraît pas pertinent. En effet, la logique de la candidature et du discours développé au cours de la campagne présidentielle de François Bayrou était d’arriver au second tour de la présidentielle. Or, à ce stade-là, l’élection se bipolarise (forcément). Ce qui reste dans l’ambition de François Bayrou, c’est d’être la seule opposition "démocrate" à Nicolas Sarkozy à côté d’un PS laminé, ruiné, et détruit idéologiquement.

Beaucoup de mauvaises langues disaient à tort avant l’élection présidentielle que Bayrou serait incapable d’avoir des candidats dans chaque circonscription. C’était quand même bien mal connaître l’UDF, vieux parti d’élus locaux, très bien implanté dans les collectivités locales (à tous les échelons).

C’était donc depuis septembre 2006 que ces candidats UDF, bien rodés et bien formés, avaient commencé à labourer leurs circonscriptions (parfois bien avant même), certains contre des leaders historiques du centrisme ralliés à l’UMP (comme Méhaignerie).

On pouvait penser que les investitures aux législatives n’auraient donc posé aucun problème concret au Modem. Et pourtant, si.

Sans doute ébloui par ses presque 19% (un score très honorable) et par les nombreuses adhésions spontanées et rapides au Modem (récemment, 77 000 annoncées), François Bayrou s’est jeté dans une stratégie qui n’a de sens que pour lui : sa candidature en 2012, l’échec envisagé de Nicolas Sarkozy et la décomposition et la division du PS incapable de s’opposer comme depuis 2002.

Hélas, c’était bien amer pour ceux qui le soutenaient sans compter autour de lui : des élus qui se voyaient ainsi proposer une attitude spécifiquement suicidaire, et des citoyens, qui devaient alors attendre cinq ans avant de pouvoir imaginer une amélioration dans leur pays.

Le Modem répond évidemment à une attente nouvelle de l’engagement civique. Ses adhérents sont de nouveaux venus de la politique et beaucoup viennent de la gauche, déçus par les archaïsmes féodaux du PS. Sans doute. Je crains seulement que cette attente soit déçue au profit de la seule ambition présidentielle de Bayrou (qui est d’ailleurs respectable, puisque l’élection présidentielle est l’élément clef du système politique).

Dans cette perspective, c’était naturel que la majeure partie des députés UDF sortants (dont la sincérité ne peut être mise en cause car éprouvée à deux reprises : lors de la création de l’UMP et du débauchage des nombreux députés UDF de l’époque, et lors de la campagne présidentielle, loyaux et même zélateurs dans leur soutien à la candidature de François Bayrou) refusaient de s’embarquer dans une telle aventure.

Leur création d’un Nouveau Centre, leurs nombreuses candidatures artificielles (en mobilisant famille, collaborateurs etc.) ne sont que le résultat de la loi sur le financement des partis politiques et leur souhait de ne pas se fondre dans l’UMP (et donc d’avoir besoin de conforter matériellement leur autonomie). Il n’en reste pas moins que, politiquement, cette structure n’est qu’une coquille vide, qu’un instrument de parlementaires.

Du côté du Modem, il y a eu aussi beaucoup de confusion dans les candidatures. Plusieurs candidats UDF pressentis ont eux aussi renoncé à combattre sous les couleurs du Modem car ils s’estimaient dans la majorité présidentielle. Ce qui a donc nécessité de trouver rapidement des remplaçants. D’autres candidats Modem ont ouvertement affirmé qu’ils soutenaient la majorité présidentielle. D’autres encore, pourtant dans la ligne autonomiste, se sont vu écarter au profit d’autres impératifs (comme Quitterie Delmas au profit d’une candidature écologiste ralliée).

Si François Bayrou avait été logique avec son discours, il n’aurait pas dit qu’il ne voterait pas Sarkozy, il se serait tu. En choisissant son camp, il s’est décrédibilisé. Il voudrait prendre au PS le monopole de l’opposition à Sarkozy. Mais pour quoi faire ? Pour une ambition personnelle ou une ambition nationale ?

À mon sens, l’ambition nationale aurait été d’assumer l’efficacité dans la mise en œuvre de ses propres idées. Or, avec plus de 18%, soit plus de la moitié des 31% de Sarkozy, Bayrou aurait pu négocier dans un tel rapport de forces un véritable gouvernement UMP-UDF avec une considération forte apportée aux hommes et aux idées de l’UDF.

Pour cela, il aurait fallu se mouiller, risquer de se faire "arnaquer" (Sarkozy n’est pas un tendre), sans doute renoncer à ses ambitions présidentielles pour 2012 (l’UDF devenant un parti majoritaire comme l’UMP, donc sortant).

Mais au moins, Bayrou, l’UDF, les ministres UDF qui auraient été nommés dans cette configuration, auraient pu infléchir de façon décisive la politique du gouvernement sarkozyen. Notamment en matière de construction européenne, de décentralisation ou de déficits publics.

Au lieu de ça, l’isolationnisme forcé du Modem risque de le confiner à une sorte de grande secte dont l’unique gourou (les autres étant partis) serait François Bayrou.

Bayrou voulait rassembler tous les partis gouvernementaux. Il a concrètement divisé les centristes. Dommage de dilapider si vite un si grand capital de voix.


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