Crescendo, festival méconnu mais furieusement génial
par Bernard Dugué
samedi 29 août 2009
C’est la fin de l’été et même l’automne qui commence selon le calendrier révolutionnaire de la luminosité. La saison des festivals d’été est donc achevée. L’occasion de rendre justice à le plus intéressant d’entre eux, le festival Crescendo à Saint Palais, déjà dans la onzième édition. Le festival Crescendo a deux particularités. Il offre la possibilité de découvrir des groupes inédits dans un genre maudit mais pourtant majeur, le rock progressif. Et en plus il est gratuit.
Le festival Crescendo se déroule sur trois jours à la fin août. Cette année, il a eu lieu les 20, 21 et 22 août 2009. Le cadre est superbe. Une grande esplanade verte dieu merci restée vierge de toute construction. Au large, l’océan et au bord, de modestes falaises auxquelles sont arrimés quelques carrelets. Le site est tellement étendu qu’il offre un parking et toutes les commodités pour installer une scène et autour, les incontournables vendeurs ambulants, auxquels s’ajoutent les frites, les merguez et quelques revendeurs de disques progressifs, aux côtés du rédacteur d’un fanzine consacré au progressif. C’est vraiment un free festival, plus sympa que Woodstock. Vous ne trouverez aucun vigile pour vous fouiller ni aucune interdiction d’amener sa bouffe et ses boissons, ce qui n’est pas le cas d’autres festivals, notamment celui très branché qui se tient dans une ville au nord de Bordeaux et qui proscrit même les bouteilles d’eau minérale en plastique. On ne sait pas si c’est pour éviter le passage de vodka en contrebande ou alors faire un peu profit s’ajoutant aux 40 euros de l’entrée. Cela dit, lorsque vous allez au Crescendo, pas besoin d’apporter ses victuailles, vous pouvez et moralement vous devez acheter pour quelques euros des tickets permettant de se procurer un demi de mousse ou un sandwich préparé par les bénévoles de l’association et de boucler un budget incertain. Le festival est financé par les collectivités locales et assuré par des bénévoles qui ne rechignent pas à la tâche. Seuls, l’ingénieur du son et l’installateur de la sono sont rémunérés. C’est un truc inimaginable à l’ère du néo-libéralisme et pourtant, ça existe. Des gens passionnés et une ambiance détendue, pas d’animosité, on dirait une sorte de zone protégée de la fureur médiatique ambiante et de la férocité des intérêts particuliers. Une mention pour Sébastien, l’organisateur, le boss, efficace, passionné et présent.
Et la musique ? Au total neuf concerts qui chaque soir vont crescendo, avec une première partie sympathique, une seconde partie plus « sérieuse » et le plat de résistance vers 22 heures. Ce n’est pas parce que c’est gratuit que c’est mauvais. C’est même l’inverse. Les groupes de rock progressifs livrent des prestations incroyables sur scène. La plupart sont des virtuoses et quelques groupes ont 20 ans de carrière, voire plus. Les batteurs du prog sont des techniciens aussi doués que ceux du métal. Mais il ne suffit pas de technique pour ravir l’âme. La musique est aussi émotions et autres esthétiques multicolores restituées dans des compositions mélangeant les effluves de synthétiseur, les nappes de mellotron, les parties de clavier et le piment de la guitare, le tout entrelacé à une rythmique efficace qui n’a rien d’une posture de métronome comme dans un punk band mais tout d’une contribution à un quintet ou un sextet de musique de chambre qu’il faut écouter en plein air. Et dieu sait si l’air de Saint Palais se prête à recevoir ces harmonies venues de loin. Car autre particularité, le festival Crescendo accueille des artistes venus de plusieurs continents. L’année dernière, nous avons eu des Péruviens et des Mexicains (Cast) et cette année, des Chiliens ont partagé la scène avec des Canadiens puis des Japonais. L’Europe de l’Est a aussi été présente, avec l’Ukraine et la Pologne. Il n’y a pas photo. Ce festival est le plus international qu’on connaisse mais il faut dire que le rock progressif est devenu planétaire et se positionne comme le rock classique et artistique du 21ème siècle. Alors que le rock standard descend au niveau de la chanson pop et que U2 sonne comme Tino Rossi pour une oreille progressive avertie.
J’ai assisté aux concerts des 20 et 22. Les premières parties ont été à la hauteur mais pas de quoi s’enflammer. Le genre prog est difficile et souvent, les groupes manquent de style propre, livrant une musique raffinée mais qu’on sent émanée d’influences diverses sans inspiration spéciale. Je retiendrai du Crescendo de 2009 la prestation le 22 de Baraka, trio japonais sachant manier virtuosité, pêche et ironie pour livrer des effluves de free rock rappelant parfois King Crimson. On pouvait d’ailleurs croiser les musiciens pendant le festival sur le site, comme bien d’autres instrumentistes venus jouer pour la passion, pas du tout dans la star attitude, en toute simplicité. Etrange, décalé… Le 20, les Italiens d’Il bacio della medusa ont livré une prestation de virtuoses, avec un chanteur d’une incroyable présence. Le progressif étant vaste, ces Italiens n’entrent pas dans la catégorie reine du prog, le symphonisme, mais leur rock est aussi intéressant que le fut celui du légendaire Tull. D’ailleurs, une flûtiste nous a gratifié de beaux effluves d’instruments à vent avec également le saxophone. Le mot de la fin pour Djam Karet, un groupe américain méconnu, sauf des aficionados du prog, formé il y a plus de 25 ans, jouant un rock progressif musclé et virtuose, assez spécial, rappelant parfois Crimson, mais original, très cérébral, très complexe, comme le sont les Suédois d’Anglagard. Sorte de musique contemporaine écrite pour le 21ème siècle que n’aurait pas dénigré un Messiaen.
Crescendo, c’est génial mais c’est fini. Si vous regrettez de ne pas être venu, vous pourrez vous rattraper pour l’édition de 2010 qui devrait avoir lieu, sauf si les financements locaux se désistent sur fond de crise.