Heiligendamm... Sommet ou puits sans fond ?

par Argo
mardi 12 juin 2007

On devait avancer sur le réchauffement climatique, sur l’Afrique, le développement durable, la réduction des inégalités et la paix dans le monde. On devait ! Mais au hammam d’Heiligendamm, après un copieux massage aux huit huiles essentielles, on n’a eu droit qu’à un gommage tout en douceur des problèmes de la planète, suivi d’une bonne douche glacée.

Depuis Rio en 1992, Johannesburg, Doha, Kyoto, Montréal, cela fait quinze ans qu’on discute, suppute, argumente, bataille, expertise, théorise, ajourne, contre-expertise, contre-argumente, atermoie, sursoit, procrastine et lanterne. Une fois de plus, le dernier sommet a accouché d’une souris : vagues aspirations, accords tièdes, salades de mots creux, pas d’objectif chiffré, global, aucun agenda de mise en œuvre, aucun détail sur les modalités... Le degré zéro du réchauffement de l’âme. Le grand dam d’Heiligendamm !

Concernant le réchauffement climatique, George Bush a finit par accepter l’idée d’une « réduction des émissions de CO2 d’ici à 2050 à 50 % de leur niveau de 1990 ». Avant d’y engager un pays qu’il ne gouvernera plus en 2008, il propose d’inviter les quinze plus grands pays pollueurs de la planète pour discuter d’un « nouveau cadre de travail international » en ... 2008. Vivement le changement d’administration américaine ! On a convenu d’ouvrir à Bali une nouvelle conférence, une de plus, pour trouver un successeur au protocole de Kyoto, mort en couches.

On continuera donc à négocier, à s’emberlificoter minutieusement par examens successifs de résolutions toujours plus caduques, par combinaisons impeccables de conférences en série. Et comme le CO2 persiste près de deux siècles dans l’atmosphère, presque le temps d’apprendre le chinois à un béret basque, les effets de nos rejets actuels sur nos futurs rejetons ne sont pas près de disparaître. Reste la solution scientifique, le précis, l’ingénieux, le vélo solaire 12 volts ampères en libre service, le phytoplancton aspirateur de carbone à fond d’océans, les lunettes de soleil célestes, le vilebrequin titane à biodiesel mi-pétrole, mi-ricin, la bagnole à Plasmatron et catalyseur absorbeur de Nox... Mille soupapes inoxydables ! La rédemption par la technologie. Mots et merveilles. Amen !

Concernant l’aide aux pays pauvres, en 2005, à Gleneagles, le G8 avait promis d’annuler la dette multilatérale des dix-huit pays les plus démunis et de doubler son aide au développement pour l’Afrique, en la portant à 50 milliards de dollars par an,en 2010. Enjeu vital, car les vrais problèmes viennent de l’injustice de la pauvreté dans le monde. Et sans solidarité, toute notre science, nos mirifiques progrès n’y pourront rien changer. La première promesse a été tenue. Pas la seconde. Selon John Page, le chef économiste de la Banque mondiale, « à l’exception de la réduction de la dette, les pays africains n’ont pas concrétisé les avantages promis au sommet du G8 de 2005 ». Sur les 50 milliards promis, on atteint péniblement 35 et on cumule déjà un retard de 30 milliards. Une fois de plus l’Afrique a été lâchée. Comment y arriver aux 50 milliards ? Il suffirait d’ajouter un dollar par habitant et par semaine au 1,70 dollar déjà versé par les habitants des pays les plus riches. 50 milliards c’est à peine 0,15 % de la richesse cumulée des pays du G8 ! Ce n’est pas le bout du monde pour le monde... au bout du rouleau.

Ensuite ? La proposition française d’attendre six mois avant de se prononcer sur le statut du Kosovo n’a pas été adoptée par le G8. Poutine n’a même pas daigné donner son avis. On va donc droit à un veto de la Russie à l’ONU, sur l’indépendance du Kosovo. Fin de non recevoir de la suggestion de « corridors humanitaires » au Darfour, effroyable alambic de toutes les exactions. Des populations entières, otages du gouvernement soudanais, hommes, femmes, enfants, maintenus sous chape abominable d’horreur, affamés, violés, massacrés, cadavres à chaux le long des pistes, décomposés au fond des puits souillés, ensevelis sous mortier ; effroyable d’indifférence, aux portes d’une civilisation apathique, démissionnaire, comme résignée à contempler le sordide, musette au bal des cadavres.

Et pour mieux travestir ce banquet atroce du G8, on a ressorti les vieux spectres de la guerre froide, les bisbilles Bush-Poutine au sujet du projet de déploiement par les USA d’un bouclier antimissiles en Europe de l’Est. Ah ! qu’ils la regrettent, nos brillants dirigeants, cette fameuse époque du grand guignol... L’affrontement américano-soviétique, la grande mayonnaise à l’huile d’ogive. Ces années bénies où la fabuleuse et providentielle menace d’un conflit nucléaire entre superpuissances suffisait à cristalliser toutes les peurs, drainer toutes les haines, détourner l’attention du bon peuple des vrais problèmes de la planète.
Affolés par les discours et les gesticulations, terrorisés par d’épouvantables médias, abrutis par Hollywood, on ne se préoccupait plus que du Russe, tous Folamour obnubilés par l’atome popov, gavés de silos nucléovitchs, hallucinés du champignon fatal et du réchauffement final. En nous remettant une dose de guerre froide, plus la crainte des missiles que celle des gaz et une pincée de trouille du grand méchant russe dans la bouillie médiatique quotidienne, on espère nous faire passer l’ignominie d’Heiligendamm pour une avancée. Les mêmes vieilles recettes.

Reste une question, inévitable : qu’est ce que le G8 ? Un obscur club ultraprivé, réservé à une infime minorité de privilégiés avides à consommer toujours plus de ressources planétaires que la part relative qui leur revient pour ne laisser derrière eux qu’un sillage toujours plus large de déchets, de pollution et de rancoeurs ? Doit-on continuer ainsi ?

Mais que les pauvres, les déshérités, les maudits de la terre se rassurent. On continuera à leur envoyer les belles images, le ragoûtant spectacle de tous nos égoïsmes. Derrière l’effroyable miroir de leur misère, toujours plus profonde, grâce à la toute-puissance communicante, ils pourront toujours admirer l’émerveillante beauté de nos aisances, notre mirifique et si noble mode de vie occidental... Vanté, étalé, diffusé à pleins faisceaux hertziens, relayé par mille satellites, vomi direct par floraisons de bouquets numériques, magnifié jusqu’aux tréfonds de leurs impasses, de la boue du plus misérable ghetto, des favelas aux fanges de leurs taudis et de leurs bidonvilles. Jusqu’aux fosses communes ! A fond de cloaques !

Qu’ils lippent tout, bavent, s’extasient, se pâment, s’obsessionnent, glorifient, délirent, fulminent. Au bout de l’extase, on leur fabriquera une âme de riche, par la télévision, le marketing, le porno chic, le jeu, l’alcool... La peur et la destruction, aussi, s’il le faut. On vendra leur jeunesse à MacDo, Cola, à Nike, à mille régies publicitaires googuenardes, l’ordinateur et la console à 100 euros, à la toile, à Pétroleum, dégoulinants de clicks, overclockés à terra-hertzs, pixélisés, boulimiques de précieux gadgets, assoiffés de délicats miracles à l’occidentale, gorgés d’idéaux numériques, fertiles à saint dollar... Et toujours plus spoliés, frustrés, à désirer toutes les bassesses, les guerres... A espérer des orages, à convoiter toutes les ignominies pour se dépêtrer d’une condition qui devient de moins en moins humaine.

Mais tranquillisons-nous. Halte aux visions d’épouvante ! Par chez nous, tant que le petit noir n’atteint pas dix euros, que le litre de super continue à glouglouter gentiment à la pompe, qu’on n’a pas grillé nos douze points de permis, que la Française des jeux fournit encore un peu de grilles à gratter l’imagination mollassique de la communauté repue de la française des « je », on dira rien, on continuera à s’apitoyer gentiment au 20 heures, à consommer convulsivement, à polluer furieusement. Là, las, à attendre, résignés, sans révolte... On ne verra bientôt plus à l’horizon climatique que l’herbe qui verdoie. De moins en moins ! Et à l’horizon humanitaire que le G8 qui louvoie et saupoudroie. Et que l’Africain qui mouroie. De plus en plus !


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